Virginie Efira : "Je n'ai pas de plan de carrière"

Publié le 13 septembre 2016 à 11h43, mis à jour le 13 septembre 2016 à 13h17
Virginie Efira : "Je n'ai pas de plan de carrière"

INTERVIEW - Virginie Efira en impose dans "Victoria", de Justine Triet, ouverture en fanfare de la Semaine de la critique au dernier Festival de Cannes et visible en salles ce mercredi.

Dans Victoria de Justine Triet, Virginie Efira incarne une avocate pénaliste en plein néant sentimental. Lorsqu'elle débarque à un mariage, elle y retrouve son ami Vincent (Melvil Poupaud) et Sam (Vincent Lacoste), un ex-dealer qu'elle a sorti d'affaire. Le lendemain, Vincent est accusé de tentative de meurtre par sa compagne. Seul témoin de la scène: le chien de la victime. Victoria accepte à contrecœur de défendre Vincent tandis qu'elle embauche Sam comme jeune homme au pair. Le début d'une série de cataclysmes pour Victoria. La sensibilité de la réalisatrice Justine Triet fonctionne idéalement avec la tonicité de Virginie Efira. Déjà épatante dans Elle de Paul Verhoeven, la comédienne trouve un rôle à la hauteur de son talent. 

Comment avez-vous découvert le cinéma de Justine Triet?

Virginie Efira: J'ai souvent menti sur ma découverte de La bataille de Solférino, le premier film de Justine. En fait, je ne l'avais pas vu avant de rencontrer sa réalisatrice. Je ne connaissais le film que de nom, j'avais lu les interviews de Justine, mais je n'ai vu son film qu'après notre rencontre. Et quand nous nous sommes rencontrées pour la première fois, Justine m'a parlé de son premier film avec un regard presque critique, pointant du doigt toutes les limites. Elle avait sur son film un recul nécessaire pour construire son second qui serait une continuité et qui s'inscrirait en réaction. Ce qui m'a séduit chez elle, c'est sa manière de penser comme de s'exprimer. Ce personnage de Victoria me séduisait totalement, essayant d'être solide au moment où tout s'écroule autour d'elle. C'est comme s'il fallait que Victoria touche le fond pour avoir un éclair, une révélation. D'ailleurs, c'est drôle car je me souviens de Justine dans le tumulte du Festival de Cannes, où les discussions sont plus frivoles que profondes. Je voyais comment elle donnait le change, pas du tout comme quelqu'un qui est rompu aux mondanités, tout en ne trouvant pas de réel sens à tout ça. Elle est comme ça, tout le temps. Elle imprime un sens juste aux choses. Quand elle dit quelque chose, on a accès à toutes les strates de sa pensée. Elle a l'intelligence, la réflexion, des amis supers aussi... Son passé dans le documentaire, dans les Beaux-Arts, lui a donné un beau bagage. Elle a un niveau de réflexion élevé ainsi qu'une grande spontanéité. Elle est à la fois cérébrale et physique. Tout ce que j'adore.

Après "20 ans d'écart", je ne voulais pas me spécialiser dans la comédie romantique et je ne voulais pas non plus refaire ce que j'avais déjà fait à la télévision, en présentant La Nouvelle Star.
Virginie Efira

Vous êtes sensible au jeune cinéma français?

Virginie Efira: Honnêtement, je me fous de casser une image. Je n'ai jamais réussi à me prendre en charge, j'ai jamais réussi à écrire, alors ça passe par l'autre. Je n'ai pas de plan de carrière. Ce qui me plait, c'est le contraste. Je ne me considère pas comme cinéphile; il y a tant de grands films que je n'ai pas encore vus. Mais j'aime profondément voir des films comme simple spectatrice. Et en cela, j'adore défendre l'inventivité du jeune cinéma français. Je crois profondément au triomphe de la curiosité. Quand on est curieux, réellement, la déclic se produit. Je ne cherche pas du tout le positionnement. Ce sont des choses qui arrivent et s'éteignent aussitôt. Par exemple, après 20 ans d'écart, je ne voulais pas me spécialiser dans la comédie romantique et je ne voulais pas non plus refaire ce que j'avais déjà fait à la télévision, en présentant La Nouvelle Star. J'avais des bases de comédienne, j'avais étudié le théâtre en Belgique mais je n'avais pas vraiment confiance en moi, j'avais un peu peur. Présenter une émission à la télévision a été très salvateur, très rassurant pour moi. Comme si tout d'un coup je pouvais être moi-même.

C'est-à-dire?

Virginie Efira: Dans les années 90, j'ai commencé en présentant un Hit Parade avec des musiques de merde.

Comme Ophélie Winter?

Virginie Efira: Oui. Et puis, c'était costaud, hein. Oui, oui, les mêmes daubes que vous aviez en France. Alors forcément il y avait une obligation de dérision. Je pouvais choisir mon humour et ça me rassurait beaucoup d'avoir ce choix à cet âge-là. Pendant toutes ces années, j'avais suffisamment expérimenté la notoriété télévisuelle et le système médiatique pour comprendre que tout cela n'était pas très épanouissant. Car on vient féliciter le système auquel vous appartenez. J'avais vraiment envie de jouer dans un film, j'ai obtenu un premier rôle; ce qui n'était pas très simple au départ. Je ne venais pas de Canal+, j'avais l'image de quelqu'un qui présentait une émission populaire sur M6. Je n'étais pas la branchée type. Au moment où je présentais La Nouvelle Star, je passais mon temps à demander au spectateur d'envoyer ses SMS et je me surprenais à discréditer ce que je faisais en permanence. C'est normal d'avoir des préjugés. Ce que les spectateurs ne savent pas, c'est qu'il faut s'imposer pour présenter cette émission avec une telle assurance.

J'ai découvert tout un pan de cinéma d'auteur français que j'admire... "Trois souvenirs de ma jeunesse", le dernier Arnaud Desplechin, m'a totalement transcendé.
Virginie Efira

A quel moment avez-vous senti un déclic pour le cinéma?

Virginie Efira: Sur Mon pire cauchemar d'Anne Fontaine. Pour la première fois, j'avais un producteur cinéphile, Philippe Carcassonne, qui m'a dit des choses gentilles et m'a félicité. Comme Pierre Lescure qui m'a encouragé en me proposant une pièce de théâtre. Au contact d'acteurs comme Isabelle Huppert, André Dussollier ou Benoît Poelvoorde, j'adorais les échanges. A cette époque, je conservais un rapport d'infériorité par rapport aux acteurs; limite si je ne m'excusais pas en me présentant à eux. Avec le côté un peu populo que j'ai, aussi. On est le produit de tout ça, ça a une valeur. Mais tant que nous-mêmes on se dit que ce passé dans la télé est un boulet, c'en est un. Pour choisir, il faut un peu de pouvoir pour avoir quelques propositions et quand vous avez du pouvoir, vous devez faire face à des responsabilités. Comme les films ont marché, j'ai reçu des choses nouvelles. Et ainsi de suite. En rencontrant David Moreau, le réalisateur de 20 ans d'écart, j'ai découvert un autre monde encore, je suis séduite par la culture du réalisateur, sa cinéphilie. Il me donne des références fortes et pour lui, faire ce film se révélait un engagement très fort; alors j'ai adhéré. C'est cette conviction qui m'a donne envie de collaborer avec lui, de travailler sur ce projet avec lui. Et par la suite, j'ai découvert tout un pan de cinéma d'auteur français que j'admire... Trois souvenirs de ma jeunesse, le dernier Arnaud Desplechin, m'a totalement transcendé. J'ai trouvé ça beau, vivant, romanesque et, vraiment, je n'étais la même en sortant de la salle. De même, je suis activement les carrières de Rebecca Zlotowski, Katell Quillévéré, Mia Hansen-Love... Le romanesque est très important pour moi et ce que je remarque dans le jeune cinéma français, c'est qu'il y a la volonté de se débarrasser des chapelles, des étiquetages comme la capacité à mettre du romanesque dans les comédies, avec une réflexion propre à la France. Les mouvements neufs me touchent beaucoup et parvenir à faire un film aussi stimulant que Victoria aujourd'hui, c'est une chance. Imaginez donc, faire un film sur la dépression qui contient de la joie.

En voyant Victoria, on pense beaucoup à une comédie américaine.

Virginie Efira: C'est revendiqué. On a beaucoup parlé du réalisateur James L. Brooks et de son film Comment savoir. Justine avait pensé à moi pour ce film en me voyant à la télé présentant La Nouvelle Star. Ce que j'aime dans Victoria, c'est le mélange du comique et du tragique. Il y a une forme d'exubérance mais tous les personnages autour de Victoria sont cintrés. Par moment, en tant qu'actrice, j'avais l'impression de ne pas faire grand-chose. Comme si le corps de mon personnage indiquait que quelque chose n'allait pas. C'est comme ça que ça se passe lorsque les gens autour de soi sont agressifs. Et puis Justine chope l'époque. La vanité mise en avant, la technologie comme rempart à la solitude... Elle ne m'a jamais dit pendant le tournage qu'elle allait faire un film sur la solitude contemporaine. Tout se comprend au sein d'une histoire chaos, de manière instinctive. Cela peut donner l'impression d'un bordel alors que tout est écrit. On ressent tout ça mais c'est jamais dit.


Romain LE VERN

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