"Tour de France" : pourquoi il faut défendre Gérard Depardieu envers et contre tous

Publié le 17 novembre 2016 à 11h10
"Tour de France" : pourquoi il faut défendre Gérard Depardieu envers et contre tous

FLASHBACK. Si on a connu Gérard Depardieu dans tous ses états, on peut le découvrir, comme on ne l'a encore jamais vu, dans "Tour de France" de Rachid Djaïdani, en salles ce mercredi, qu'il soutient haut et fort dans la presse. Une "Gégé Story" s'impose.

Si les médias actuels et les réseaux sociaux aiment à ne retenir de lui que ses déclarations enflammées sur Poutine ou Trump, il n'en demeure pas moins une évidence : Gérard Depardieu reste le meilleur acteur français. La preuve avec un énième défi audacieux, celui de jouer et de défendre avec conviction un petit film comme Tour de France, en salles depuis mercredi, qui en sondant l'humeur de la France d'aujourd'hui rend hommage au monstre de comédien tout en donnant au rappeur Sadek quelque chose du Dewaere des Valseuses. De manière générale, un simple regard à sa filmographie, à la manière dont il a évolué et construit sa carrière, suffit à calmer les ardeurs des haters et impose le respect. 

Adolescent, Gérard n'était pas encore Gégé. Il quitte à peine son giron de Châteauroux pour Paris. Une fois dans la capitale, il suit des cours de comédie sous l'égide de Jean-Laurent Cauchet. Quelques courts métrages pour apprendre, quelques rencontres marquantes (Michel Audiard, Michel Serrault, Bernard Blier, Paul Meurisse...) et c'est gagné : Gérard Depardieu rejoint vite la cour des grands, soit la cour des monstres sacrées : Jean Gabin (Le tueur, L'Affaire Dominici), Jean-Paul Belmondo (La scoumoune, Stavisky), ou bien encore Alain Delon (Deux hommes dans la ville), tout cela en l'espace de trois ans seulement. 

Forcément, le fils Blier, en quête d'un casting de jeunes prometteurs pour ses Valseuses en 1974, va immédiatement s'enticher du caractère canaille et en même temps très touchant de Depardieu. Le film fait scandale, Valéry Giscard-d'Estaing quitte l'avant-première au bout de dix minutes de bobine, Brigitte Fossey, la petite fille de Jeux Interdits (1952) révèle sa poitrine... Patrick Dewaere et Miou Miou forment avec lui un trio mythique, libre, insolent, menacé par la tragédie. Bertrand Blier prévoit qu'à la fin, la voiture conduite par Depardieu se crashe pour suggérer à quel point les années 70 étaient désabusées, faussement peace, faussement love. C'est le distributeur américain qui incitera Blier fils à laisser les personnages conduire la route sans accident (sous prétexte qu'il les trouvait sympa), à donner tout un sens à la réplique "on n'est pas bien là ? Paisible ? À la fraîche ? Décontracté du gland ? Et on bandera quand on aura envie de bander !". En 1974, Depardieu devient grand Gégé. 

Star du jour au lendemain

Au mitan des années 70, Depardieu devient le parangon du cinéma d'auteur français. Marguerite Duras (Le camion), Claude Sautet (Vincent, François, Paul et les autres), André Téchiné et même Serge Gainsbourg (Je t'aime moi non plus) le réclament. Malgré cet engouement, auquel l'acteur répond souvent présent (il démontre d'ores et déjà un certain "appétit"), il reste d'abord fidèle à ses amis, Bertrand Blier en tête, notamment sur Préparez vos mouchoirs où il retrouve Dewaere et ne comprend plus les désirs de Carole Laure et Buffet Froid en compagnie de Bernard Blier, Michel Serrault et au bout du chemin Carole Bouquet, belle et froide comme la mort. 

Gégé s'aventure dans des productions audacieuses, à haut risque, impensables aujourd'hui, en France (le génial et hélas trop méconnu Maîtresse de Barbet Schroeder) comme en Italie, chez Marco Ferreri (Le dernière femme, Rêve de singe) ou Bernardo Bertolucci (l'hallucinant dyptique 1900 aux côtés de Robert de Niro et un Donald Sutherland psychopathe). Chez les cinéastes étrangers, Depardieu inspire la mélancolie. Qui lui sied merveilleusement. 

En France, on cantonne volontiers Depardieu à la comédie. L'image reste tenace mais il ne faudrait pas sous-estimer ce qu'il a fait en mode super bien chez les superstars du cinéma d'auteur, d'Alain Resnais (Mon Oncle d'Amérique) à François Truffaut (Le dernier métro, La femme d'à côté) en passant par Maurice Pialat (Loulou), Claude Berri (Je vous aime) et Alain Corneau (Le choix des armes avec Catherine Deneuve). C'est également dans les années 80 qu'il commence à incarner des personnalités historiques (Danton) et se retrouve à la tête de projets ambitieux (Fort Saganne). Sa passion pour les grands textes apparaît également au grand jour. Il réalise Le Tartuffe, d'après Molière, et interprête Jean de Florette, inspiré par Marcel Pagnol. 

Si Bertrand Blier exploite également le "filon comique" avec noirceur et lyrisme (difficile de ne pas penser au fabuleux Tenue de soirée, avec Gégé dans la peau d'un cambrioleur tatoué au coeur tendre), Depardieu devient une référence du buddy movie à la française en compagnie de Pierre Richard, grâce à la plume alors inspiré de Francis Veber (La Chèvre, Les Compères et Les Fugitifs). D'énormes succès populaires que Depardieu tente de réitérer dans les années 90, puis 2000, avec Christian Clavier (Les Anges Gardiens), Gad Elmaleh (Olé !), Gérard Lanvin (San Antonio), Jean Reno (Tais-toi), Gérard Jugnot (Boudu) ou Michel Boujenah (XXL). Il faudra attendre le duo Kervern-Delepine pour redécouvrir Depardieu, avec une longue tignasse blonde dans Mammuth et des cheveux blancs dans Saint-Amour

Amoureux de Josianne Balasko ou de Michel Blanc

En somme, Gégé peut tout jouer, peut tout scander, la langue de Voltaire, le rap comme la truelle (Tour de France). Il peut tout aussi bien tomber amoureux de Josiane Balasko (Trop belle pour toi) que de Michel Blanc (Tenue de soirée), clamer les vers d'Edmond de Rostand (Cyrano de Bergerac) ou sublimer un texte écrit par Marcel Aymé (Uranus). Thriller (La Machine), drame (Elisa) ou polar (36, Quai des Orfèvres), comédie (Potiche)... 

Rien ne résiste à Depardieu dont on commente hélas trop souvent les déclarations-sorties-de-route sans affirmer à nouveau, à chaque nouvelle expérience cinématographique, son génie de jeu, sa poésie, sa joie comme sa tristesse. Sans négliger un fait, têtu : tourner vite dans des productions protéïformes et partir en vrille à la première occasion permettent aussi d'oublier ce qui fait mal. Secrètement. Comme une plaie à jamais béante.  

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Romain LE VERN

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