VIDEO - Comme "Le Dernier Tango à Paris", ces films ont questionné la représentation du sexe au cinéma

Publié le 6 décembre 2016 à 12h56
VIDEO - Comme "Le Dernier Tango à Paris", ces films ont questionné la représentation du sexe au cinéma
Source : SIPA

SCANDALE - Arte diffusait vendredi dernier un nouveau volet de la série documentaire "Histoires de cinéma", consacré à la représentation du sexe sur grand écran. Où la réalisatrice Florence Platarets revenait notamment sur la séquence de la "motte de beurre" dans "Le Dernier Tango à Paris" de Bernardo Bertolucci, de nouveau dans l'actualité.

Pendant longtemps, le cinéma a fait l'amour en éteignant la lumière. Si, dans les années 1920, les films "au contenu explicite", réservés à des cercles très privés, rivalisaient d'audaces érotiques, la censure y avait mis bon ordre. Et le célèbre "coup du feu de bois", censé figurer les flammes de la passion tout en ne choquant personne (y compris dans Le diable au corps), a connu de longues heures de gloire. Il a fallu attendre les audaces de Louis Malle (Les amants) et surtout la révolution sexuelle des années 1970 pour que le cinéma s'empare d'un des derniers territoires qui lui résistait : la sexualité. 

Pourtant, alors qu'Internet a fait de la pornographie un produit de consommation courante, la représentation d'actes sexuels explicites à l'écran provoque toujours, de plus en plus peut-être, la polémique. Comment expliquer le déchaînement d'attaques contre La vie d'Adèle et L'inconnu du lac, en 2013, plus de quarante ans après Le dernier tango à Paris (1972), plus de vingt après Basic instinct (1992) ?

Les Valseuses est sorti et a fait un triomphe. Un soir, à la fin d'un dîner, mon père me dit "J'espère que maintenant tu vas arrêter tes conneries !". Je lui dis: "quelles conneries ?."
Bertrand Blier, réalisateur des "Valseuses"

Pour ce troisième numéro d’Histoires de cinéma, diffusé ce vendredi soir à 22 h 20, Alain Guiraudie, Paul Verhoeven, Bernardo Bertolucci, Catherine Breillat (Romance X), Bertrand Bonello (Le pornographe) et Bertrand Blier (Les valseuses) dialoguent avec finesse, par montage interposé, sous la figure tutélaire des grands aînés Buñuel (Belle de jour) et Pasolini (Théorème, Saló ou les cent vingt journées de Sodome). 

Ils expliquent à Frédéric Bonnaud pourquoi, à l'opposé du racolage généralisé dont il fait l'objet de la part des commerçants de l'image, le sexe dans sa représentation cinématographique reste une inépuisable source de défi pour l'artiste comme pour le spectateur. Un documentaire qu'il est toujours possible de revoir en ligne sur le site d'Arte.

A cette occasion, voici notre sélection de 10 séquences au fort pouvoir érotique ayant marqué les mémoires cinéphiles... 

GORGE PROFONDE de Gerard Damiano

Gorge Profonde reste l'un des films les plus rentables de l'histoire du cinéma. Ancien coiffeur pour dames new-yorkais, le réalisateur Gerard Damiano l'a tourné pour seulement 25 000 dollars. Le succès fut tel qu'il a généré pas moins de 600 millions de dollars de recettes à travers le monde. Tourné en seulement six jours, ce film à pitch (une femme découvre que son clitoris est situé dans sa gorge) provoque un scandale et va jusqu'à emmener ses acteurs devant le tribunal. Aux Etats-Unis, 22 états l'ont interdit, 10 copies furent classées X, tandis que 5 copies ont été édulcorées afin qu'il puisse être vu par des adolescents de moins de 17 ans accompagnés d'un adulte. Retournement de situation : il a suffi qu'un article dans le New York Times démontre la charge sociale derrière les images sulfureuses pour que Gorge Profonde devienne un phénomène. Warren Beatty, Jack Nicholson et même Jackie Kennedy ont été les premiers à le soutenir. Depuis l'affaire du Watergate, Bob Woodward et Carl Bernstein, deux journalistes du Washington Post, se sont servis du titre du film pour désigner leur source dans le scandale autour de Nixon. Accessoirement, il est sorti dans une période post-Woodstook de libération sexuelle. L'époque a les films qu'elle mérite. 

LE DERNIER TANGO A PARIS de Bernardo Bertolucci 

Une rencontre à Paris : Maria Schneider, une jeune française cherchant un appartement, et Marlon Brando, un Américain un peu paumé de vingt-cinq ans son aîné. Ils ne connaissent rien l'un de l'autre, ils savent juste qu'ils ont envie de baiser, d'oublier (un peu) et de se perdre (beaucoup). En 1973, lors de sa sortie dans les salles françaises, Le dernier tango à Paris, de Bernardo Bertolucci - dans sa meilleure période - enregistre en surface le tumulte charnel, les corps qui s'électrisent, la mélancolie qui presse l'âme. En profondeur, c'est avant tout un drame cru et cruel, presque romantique, sur l'incapacité d'oublier une précédente relation amoureuse, surtout lorsque celle-ci s'est soldée par un suicide. Le sexe est une région expiatoire, une ligne de fuite salvatrice où la nécessité de baiser éloigne de la mort ("J'ai fait l'amour, j'ai fait le mort" chantait Bashung). Plus encore que sa partenaire, traumatisée par cette expérience, en raison de la fameuse "scène du beurre", c'est Marlon Brando, impérial, peut-être dans son plus beau rôle au cinéma, qui impressionne. Toute la détresse du personnage passe par le visage de l'acteur, inconsolable. Encore une fois, derrière la provoc apparente, une œuvre d'une infinie tristesse...  

LES VALSEUSES de Bertrand Blier

C'est en 1974 que le réalisateur Bertrand Blier choisit pour la première fois Gégé pour incarner Jean-Claude dans Les Valseuses. Il le trouvait très sous-employé auparavant et lui offrait avec ce rôle l'occasion de donner toute la mesure de son potentiel. Et Depardieu, qui a eu une jeunesse remuante dans les rues de Chateauroux où il était plus ou moins un mauvais garçon, donne corps à ce personnage d'une manière hallucinante. Il sublime même des répliques qui pourraient sembler difficiles ("tu les sens les coussins d'air, sous ton cul ?", "Tu réalises que tu es dans les bras d'un ténor ?" ou le mythique "On n'est pas bien là, à la fraiche, décontractés du gland ?"). Si Blier avait été un compositeur d'opéra, Depardieu aurait été son interprète idéal, mettant des accents sublimes à ses dialogues ciselés, les rendant tout bonnement inoubliables et riches comme des grands vins. Interviewé par nos soins, Blier qui se souvient : "Les Valseuses est sorti et a fait un triomphe. Un soir, à la fin d'un dîner, mon père me dit "J'espère que maintenant tu vas arrêter tes conneries !". Je lui dis « quelles conneries ?»."

L’EMPIRE DES SENS de Nagisa Oshima

Peu de temps après avoir dissous sa compagnie de production Sozosha, Oshima rencontre à Paris le producteur et distributeur Anatole Dauman qui lui propose de réaliser un film pornographique à partir d'un fait-divers ayant défrayé la chronique au Japon dans les années 30 (une jeune servante d'auberge, retrouvée avec les parties génitales sectionnées de son amant dans son kimono). Ce sera L'empire des sens. Nagisa Oshima y sonde la nature d'une passion où l'amour fou n'a jamais tutoyé d'aussi près la mort, rangeant au passage les productions de la Nikkatsu chez David Hamilton. Pour être conforme au projet (des scènes de sexe non simulées), il contourne la législation japonaise et fait développer les négatifs en France. Présenté au Festival de Cannes en mai 1976, le film connaît un triomphe à sa sortie en France en septembre de la même année. Au Japon, il reste encore aujourd'hui censuré dans les parties les plus explicites. En juillet 1978, le livre du tournage du film est saisi par la police nippone qui poursuit le cinéaste et l'éditeur du livre pour obscénité. Il faudra attendre quatre ans plus tard et des dizaines de plaidoyers de la défense pour que le cinéaste et l'éditeur soient relaxés de toute responsabilité.

BASIC INSTINCT de Paul Verhoeven

Nick Curran (Michael Douglas) inspecteur de police à San Francisco, enquête sur le meurtre d'une star du rock, Johnny Boz, tué de trente et un coups de pic à glace par une inconnue alors qu'il faisait l'amour. Nick apprend que le chanteur fréquentait Catherine Tramell (Sharon Stone), riche et brillante romanciere. Au cours de son enquête, il s'apercoit que les parents de Catherine sont morts dans un accident suspect, que son professeur de psychologie a été assassiné dix ans plus tôt à coups de pic à glace et qu'enfin, une de ses meilleures amies a, en 1956, tué ses trois enfants et son mari. La révélation du Festival de Cannes 1992 reste sans conteste Sharon Stone, venue présenter sur la Croisette Basic instinct avec Paul Verhoeven et Michael Douglas. Ce film au parfum de scandale a catapulté cette superbe blonde, aperçue dans Allan Quatermain et les mines du roi Salomon et Total recall, au rang de star hollywoodienne et de sex symbol international. Le film fit scandale notamment pour la scène de l'interrogatoire dans laquelle Sharon Stone croise et décroise langoureusement les jambes. Dans un plan, on peut constater que l'actrice ne porte pas de culotte. Celle-ci a par la suite expliqué son geste en disant qu'elle ne pensait pas que Paul Verhoeven filmerait cette partie intime du corps. 

CRASH de David Cronenberg

Avec Crash, Cronenberg a pris des risques monstrueux en transposant le roman culte et a fortiori intouchable du britannique James Graham Ballard, devenu au fil des années un classique de la science-fiction. A travers un récit d'anticipation sur les dangers de la technologie contemporaine et les effets qu'elle peut engendrer sur le corps humain, l'écrivain imaginait une nouvelle forme de fétichisme lié aux accidents de la route. Plus de vingt ans après, Cronenberg est resté fidèle à cette conception en représentant avec une rigueur de psychopathe le plaisir, la jouissance et l'extase sexuelle à travers des tumeurs, des cicatrices et de la tôle froissée. On n'est pas si loin de la thématique du Testuo, de Shinya Tsukamoto qui proposait une fusion androïde entre l'homme et la machine avec les mêmes connotations sexuelles. Mais avant de devenir des machines ambulantes qui ne contrôlent plus leurs corps, les personnages de Crash ont encore la possibilité de changer leur vie et d'échapper au gouffre qui les attend. La Croisette se souvient encore des sifflets lors de la projection de presse pendant le festival de Cannes.

LES IDIOTS de Lars Von Trier

Un groupe d’adultes anti-bourgeois passent leur temps à chercher leur idiot intérieur, en libérant leurs inhibitions et en se comportant comme s’ils étaient mentalement retardés en public, par conséquent provoquant l’opinion de la société, le politiquement correct. Ainsi, ils cherchent l’humiliation et les situations dégradantes. Lars réalisait alors le deuxième film, expérimental et assez minuscule, de sa trilogie "cœur en or" avant et après deux films monstres, soit après les cloches dans le ciel de Breaking The Waves (1996), son fantastique mélo érotique où tout passait sur le visage d’une actrice (l’inoubliable Emily Watson); et avant l’insoutenable pendaison de Dancer In The Dark (2000), mélodie du malheur génialement chantée par une actrice-chanteuse palmée (l’inoubliable Bjork). Un film qui s’appelle Les Idiots aurait dû mettre la puce à l’oreille de tout le monde. Dans sa grammaire, il est à l’image de ses personnages se vautrant dans l’avilissement comme certains, dans les années 70 et sous la houlette de Marco Ferreri, se suicidaient en mangeant (La Grande Bouffe): un modèle d’autodestruction. Donc un film au geste provocateur, plein de panache, de morgue, de joie, de tristesse, qui s’autodétruit. Donc un film qui ne se revoit pas, parce qu’il est douloureux, ou alors qui se revoit mal, parce que les happening X et couillon ne manquent pas sur Internet. On se souviendra alors que Lars était en pleine forme manipulatrice, trouvant de la beauté dans la gratuité et la laideur – laideur de l’image DV, laideur des corps, laideur morale, laideur X. S’y exprimait son sempiternel plaisir de démiurge tout puissant de nous malmener et le nôtre de l’être, gobant tout comme les illuminés d’une secte. Entre nous. Entre idiots.

"une très belle histoire, un amour magnifique auquel tout le monde peut s'identifier, peu importe la sexualité"
Steven Spielberg, au sujet de "La vie d'Adèle"

LA VIE D’ADELE : CHAPITRE 1 & 2 de Abdellatif Kechiche

Ce fut l'un des films les plus aimés de 66e Festival de Cannes : La Vie d'Adèle d'Abdellatif Kechiche demeure le grand choc de l'année 2013 au cinéma. Steven Spielberg, entouré de huit jurés, lui avait remis une Palme d'or amplement méritée. Comme nous, Steven Spielberg et son jury avaient connu le coup de foudre: "une très belle histoire, un amour magnifique auquel tout le monde peut s'identifier, peu importe la sexualité", estimait Steven Spielberg, le lendemain de la cérémonie de clôture.Avec son style charnel et trivial, cru et vivant, presque épicurien, totalement vrai dans la captation des sentiments et des émotions, Kechiche pose des questions passionnantes sur le groupe, sur l'éducation, sur la manière dont on se comporte avec ou sans les autres. A bien des égards, le film impressionne, subjugue par la durée et la crudité de ses scènes de sexe, bouleverse : l'histoire d'amour, qui se déroule de son émerveillement à sa fin, du coup de foudre à sa mort, tend à l'universel et ramène chacun à sa propre expérience du monde et des choses de la vie (comme on dit). 

L'INCONNU DU LAC de Alain Guiraudie

Toute l'action de L'inconnu du lac, le nouveau long métrage du réalisateur français Alain Guiraudie, se déroulera au bord d'un lac, sorte d'éden perdu où des hommes échoués comme des sirènes attendent l'amour sur la plage. Et dans ce contexte fort (un lieu de drague pour hommes), arrive ce qui arrive : Franck tombe amoureux de Michel jusqu'à l'obsession. Dans cette romance inédite, Guiraudie traite ouvertement et sans pudibonderie la sexualité entre hommes - quelques scènes explicites expliquant une interdiction aux moins de seize ans - mais de manière tellement joyeuse et sensuelle, touchante et absolument pas agressive, reflétant le tumulte, l'envie et le manque. La mise en scène traduit, avec une intense subtilité, le labyrinthe des passions, la peur de s'abandonner, la déambulation hypnotique où chaque chose est source de plaisir et en même temps source d'angoisse, les peurs primaires (la forêt, la nuit qui tombe, les créatures venues du lac). Bref, tous les vacillements perceptibles du protagoniste. Et ce que l'on oublie de dire, aussi, c'est à quel point L'inconnu du lac est un grand film d'amour fou. Amour-fou, amour-passion, amour-ami, amour-amant et amour-à-mort. Une merveille qui ne ressemble à rien de connu. 

LOVE de Gaspar Noé

Confessons-le d’emblée : présenté comme un porno en 3D lors de sa présentation en séance de minuit au Festival de Cannes, Love de Gaspar Noé n’est pas scandaleux. Les corps nus d’Adam et Eve ont beau être présentés sous toutes les coutures le temps d’une jolie séquence inaugurale de masturbation – sorte de version hard et picturale de l’orgasme qui naguère avait émoustillé au début du 37°2 de Beineix -, il serait totalement hypocrite de ne pas avouer que l’on peut tout voir, en plus près, à deux clics d’ici sur YouPorn. Gaspar Noe le sait mieux que les autres : montrer un sexe en érection et une pénétration en gros plan n’a vraiment plus rien de subversif en 2015. En revanche, raconter les "choses de la vie", comme Sautet les racontait (un accident, un homme, deux femmes, un fils, des souvenirs) et plonger dans un monde intérieur sans tricher le sont infiniment plus. Parler de l’amour au sens le plus pur, aussi.


Romain LE VERN

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