Raymond Poulidor : "Le Tour de France est devenu aseptisé"

par Hamza HIZZIR
Publié le 8 juillet 2015 à 12h12, mis à jour le 13 novembre 2019 à 9h39

INTERVIEW - À 79 ans, Raymond Poulidor reste au cœur de l'actu. Un superbe documentaire lui a été consacré lundi soir sur France 3 tandis que de récents sondages ont encore confirmé son immense popularité. Après une journée passée à arpenter les pavés belges de la 4e étape à bord d'une voiture de la caravane du Tour, le mythe a répondu aux questions de metronews depuis Cambrai, mardi soir. Passionnant et passionné.

Dans un sondage paru dans Le Parisien, 45% des personnes interrogées vous considèrent comme le cycliste français qui a le plus marqué l'histoire du Tour de France, devant les quintuples vainqueurs de l'épreuve Bernard Hinault et Jacques Anquetil. Comment l'expliquer ?
C'est assez étonnant. Dans un autre sondage, je suis même arrivé devant Voeckler pour la popularité, ce qui m'a encore plus surpris... À quoi c'est dû ? Il faut reconnaître que j'ai eu pas mal de malchance sur le Tour de France, à chaque moment où j'aurais pu le gagner. Il y a eu l'accident avec la moto en 1968, ce fameux tour 1964 où j'ai perdu de nombreuses minutes sur crevaison et incidents mécaniques, pour être finalement battu de quelques secondes, malgré cette mémorable montée du Puy-de-Dôme (où il a pris le dessus sur Anquetil, ndlr)... On a pleuré dans les chaumières.

C'est donc votre malchance sur le Tour qui vous a rendu si attachant aux yeux des Français ?
Il faut relativiser. La malchance, c'est Roger Rivière, qui a été obligé de mettre un terme à sa carrière à la suite d'un accident grave (2e en 1960, une chute dans un ravin le rend invalide à 80% après seulement trois ans et demi de professionnalisme, ndlr). Moi, à deux reprises, j'ai failli mourir sur le Tour de France. Je m'en suis assez bien tiré. Alors perdre une course, aussi importante soit-elle... La vie vaut davantage d'être vécue. Et puis j'ai fait 2e derrière trois générations différentes. Dix ans après le duel avec Anquetil, il y a eu celui avec Merckx en 1974. Des références. Ça montre ma longévité.

Mais les Français se sont appropriés vos malheurs sportifs...
Ce qui a fait ma popularité, c'est qu'on me considère comme l'éternel 2e. Tous les jours, il y a un Poulidor. Un Poulidor de la pétanque, de la belote, du rugby, de la boxe... Alors même les jeunes veulent savoir qui est ce Poulidor. Un boxeur ? Un artiste ? Les Français n'aiment pas trop celui qui gagne, qui est programmé pour gagner. C'est-à-dire qu'ils aiment bien le Français moyen (rires).

À 79 ans, est-ce que vous vivez encore le Tour de France avec la même intensité ?
Avec la même passion, oui. C'est mon 53e Tour de France et si je n'y étais pas, je peux vous dire que je passerais un très mauvais mois de juillet (rires). Ça s'arrêtera un jour, bien sûr, mais je crains ce jour. Il n'y aura jamais de lassitude. Malgré toutes les histoires qu'il y a eues, je continue à aimer profondément cette épreuve et ce sport, qui m'a tout apporté.

Qu'est-ce qui rend selon vous le cyclisme plus attrayant aujourd'hui qu'à votre époque ?
Les conditions sont meilleures. Il y a 30 ans, quand un favori tombait, était victime d'une crevaison ou avait un besoin pressant, on attaquait. Maintenant, le peloton ralentit et facilite son retour. C'est un peu normal, ça va tellement vite aujourd'hui que le coureur qui a crevé serait pratiquement éliminé sinon. Les courses sont moins longues. En cas de grosses chaleurs, vous partez avec un maillot de soie et au bout d'une demi-heure et 20 km, on vous ravitaille en boisson et autre. Avant, il n'y avait qu'un ravitaillement à mi-course, au bout de 150 km, et terminé. Il fallait emporter tout le nécessaire. Avec les bidons en ferraille et pas en plastique, sous 40°, vous pouviez faire du café avec la flotte. Et puis le confort des coureurs, les hôtels et tout... Moi, je me souviens qu'après une journée sous la pluie, on dormait sous la tente ou sur des lits de camp, dans des collèges. Il y avait une bassine d'eau pour 12 coureurs. Celui qui se payait un hôtel était mis hors-course.

Et à l'inverse, qu'est-ce qui était mieux avant et que vous regrettez ? 
Le Tour de France, c'était une famille. Tout le monde se côtoyait, il n'y avait pas besoin d'un badge A, B ou Y. Il n'y avait que deux voitures pour les directeurs sportifs. Et les coureurs étaient en contact avec la foule 50 mètres après la ligne d'arrivée. Maintenant, les gens n'ont plus accès à eux. Je ne sais même pas combien de journalistes il y a. Certains ne se croisent pas pendant un mois. Avant, il y en avait trois ou quatre. Les confidences se faisaient sur la table de massage. Il y avait une relation humaine. Le Tour est devenu une grande ville qui se déplace tous les jours.

Que pensez-vous de l'ajout récent du capteur placé sous la selle, en plus de l'oreillette, à disposition des directeurs sportifs ?
C'est un GPS ! On indique la direction et la force du vent, la position exacte des coureurs. Eux, forcément, sont plus ou moins stressés. Peut-être que ça provoque des chutes... En tout cas, maintenant, ils ne prennent plus aucune initiative. Si on n'y prête pas attention, dans quelques années, il n'y aura même plus de directeurs sportifs sur les routes. Les coureurs seront commandés depuis les bureaux. Comme en Formule 1. La preuve : maintenant, on ne contrôle même plus que les coureurs, on contrôle aussi leurs vélos ! Pour savoir s'ils ne sont pas trop légers ou s'il n'y a pas un moteur à l'intérieur (rires).

D'une manière plus générale, avez-vous l'impression que le calcul a pris le pas sur l'audace? 
Bien sûr, tout est calculé. Mais vous savez, Anquetil, il avait un chronomètre dans la tête. En une seconde, il avait tout anticipé. Il était comme ça dans la vie. Quand il conduisait sa voiture, il se faisait un plan et savait exactement à quel moment il arriverait à destination. C'était pareil. Aujourd'hui, c'est la façon de courir. Une échappée au départ est toujours rejointe à quelques km de l'arrivée. Il y a deux Tours de France, celui des favoris, qui se gagne en montagne, et celui des sprinters, la première semaine. Un coureur de qualité ne peut plus prendre quinze minutes d'avance dans une étape et éventuellement gagner le Tour. Ça n'existe plus. Avec toute la publicité qu'il y a autour, certaines firmes en sont à calculer à l'avance combien de temps un coureur passera à la télévision et le payent en fonction de ce nombre de minutes. Le cyclisme est devenu aseptisé.


Hamza HIZZIR

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