Peut-on imposer un moratoire sur l'immigration légale, comme le propose Marine Le Pen ?

Publié le 3 mai 2017 à 14h00, mis à jour le 3 mai 2017 à 15h09
Peut-on imposer un moratoire sur l'immigration légale, comme le propose Marine Le Pen ?

IMMIGRATION ZÉRO - Marine Le Pen s'est engagée à imposer un "moratoire" sur l'immigration légale durant "quelques semaines" si elle est élue. A terme, le FN veut limiter à 10.000 la délivrance annuel de visas, contre près de 230.000 l'an dernier. Un engagement difficile à tenir, à moins de modifier les droits fondamentaux.

Marine Le Pen en a fait un thème central. La fermeture des frontières et l'arrêt de l'immigration, des propositions traditionnelles du Front national, ont trouvé une nouvelle expression dans la bouche de la candidate. Quelques jours avant le premier tour de l'élection, celle-ci s'est engagée à instaurer un "moratoire" sur l'immigration légale si elle était élue. 

Ce moratoire, a-t-elle précisé, durerait "quelques semaines", le temps d'évaluer la situation, avant de mettre en oeuvre son engagement de campagne, qui consiste à limiter à 10.000 le nombre de visas accordés annuellement. Après avoir évoqué un moratoire sur "toute l'immigration légale", elle cible ensuite "les visas de longue durée", écartant ceux délivrés aux étudiants. Enième précision : elle vise surtout les regroupements familiaux, suspects de fabriquer du "communautarisme". 

Un tel moratoire stopperait-il l'immigration ?

Dans son "moratoire", Marine Le Pen a donc écarté les visas de courts séjours pour se concentrer sur les longs séjours. Ces derniers représentaient, pour 2016, selon les statistiques officielles, près de 195.000 délivrances de titres. Par comparaison, les visas de courts séjours avoisinent les 3 millions de délivrances annuelles, toutes nationalités confondues. Le projet de Marine Le Pen ne peut donc se définir par le choix d'une "immigration zéro", cette formule initiée par Charles Pasqua en 1993 et jamais appliquée. Autrement dit, le moratoire n'arrêterait pas les flux migratoires. 

En outre, en ciblant tout particulièrement le "regroupement familial", Marine Le Pen restreint encore son champ d'action. Dans le vaste champ des titres de séjour "vie familiale", le regroupement familial, qui ne concerne que les étrangers vivant en France et souhaitant faire venir leurs proches, ne représente que 10.000 à 12.000 visas selon les années. Comme en témoigne ce tableau pour l'année 2015 :  

Pour le reste, l'immigration familiale est essentiellement composée des conjoints et des parents de citoyens français. Il s'agit notamment des mariages binationaux qui permettent au ressortissant d'un pays tiers de venir vivre au côté de son conjoint de nationalité française.  

Ce moratoire a-t-il des précédents ?

Dans le cadre de la présidentielle de 1974, le choc pétrolier et la crise économique naissante avaient poussé les candidats à se positionner sur des mesures restrictives à l'immigration. Après son élection, Valéry Giscard d'Estaing avait ainsi ordonné en juillet 1974 la "suspension provisoire" de l'immigration pour les travailleurs comme pour les familles pour une durée de trois ans. 

Mais en vertu des droits fondamentaux relatifs à la vie privée et familiale, qui régissent encore notre droit, le Conseil d'Etat avait retoqué la suspension pour ce qui concernait l'immigration familiale. Cette suspension de 1974 s'est traduite jusqu'à nos jours par des restrictions successives sur les délivrances de visa, sans interrompre pour autant les flux migratoires. Concrètement, la suspension s'était traduite, entre 1974 et 1975, par une division par deux (de 207.000 à 103.000) des entrées légales sur le territoire, comme le rappelle un ancien rapport de la Cour des comptes.

Depuis cette époque, l'immigration de main d'oeuvre légale n'a d'ailleurs cessé de se réduire. En 2016, elle ne représentait que 22.575 visas, contre 88.000 pour le motif familial. 

Le moratoire est-il légal ?

Techniquement, les autorités peuvent tout à fait signer un décret gelant les délivrances de visas. Mais en ciblant spécifiquement l'immigration familiale, elles se heurteraient rapidement au juge administratif, en vertu des droits fondamentaux garantis constitutionnellement et dans le droit européen, dont "le droit à une vie familiale normale". Autrement dit, un moratoire, même provisoire, pourrait être annulé par la justice s'il ne parvient pas à invoquer un critère d'ordre public. 

Au-delà du moratoire, la limitation de l'immigration à un plafond de 10.000 personnes par an (engagement numéro 26), qui passe par la "fin de l'automaticité du regroupement et du rapprochement familial ainsi qu'à l'acquisition automatique de la nationalité française par mariage", se heurterait aux mêmes obstacles juridiques. Et nécessiterait une rupture de la France vis-à-vis de ses engagements internationaux, européens et constitutionnels. 

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Vincent MICHELON

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