Comment lutter contre l'abstention aux élections ? 3 solutions passées au scanner

par Antoine RONDEL
Publié le 19 juin 2017 à 9h12

Source : JT 13h Semaine

AUX URNES CITOYENS - Après un premier et un second tours ayant enregistré une abstention massive, le tout favorisant le parti présidentiel, quelles solutions se présentent pour lutter contre l'abstention ? LCI a planché sur trois d'entre elles avec le sociologue Nicolas Framont.

Dimanche 11 juin, au premier tour des élections législatives, ils ont été 51,29% à bouder les urnes. Dimanche 18 juin, le score était encore plus élevé, à l'occasion du second tour, puisque 57,36% des électeurs n'avaient pas fait le déplacement dans les bureaux de vote. Soit moins d'un électeur sur deux. Un phénomène inégalé dans l'histoire de la Ve République pour un scrutin aussi important que les législatives, et qui a fait les affaires de la République en marche. "Qu'un parti obtienne une telle représentation en ayant 15% des électeurs pose question sur notre système électoral", remarque pour LCI le sociologue Nicolas Framont, co-auteur de "Les citoyens ont de bonnes raisons de ne pas voter". Il invite à s'interroger, au-delà des incantations politiques face à ces chiffres, sur ce qui pourrait amener les électeurs à retrouver le chemin des urnes.

Mettre le scrutin majoritaire aux oubliettes

C'est l'argument opposé par Marine Le Pen qui, au soir du premier tour, posait "la question du mode de scrutin" après avoir constaté "ce taux d'abstention catastrophique". Explication : un parti comme le Front national, particulièrement isolé sur la scène nationale et rarement dominant au local, est mathématiquement désavantagé par le scrutin majoritaire à deux tours. Rares sont les candidats prêts à se désister en sa faveur, ce qui limite fortement les réserves de voix. Impossible, dès lors, de transformer les 21% du premier tour de la présidentielle en autant de députés à l'Assemblée. Ce qui découragerait donc les électeurs. 

"Le scrutin majoritaire manque de lisibilité", estime de son côté Nicolas Framont, qui pointe la "multiplication des candidats, incités à y aller par le mode de financement : quand on reçoit 17 professions de foi, il n'est pas toujours évident de retrouver son candidat. Le découpage des circonscriptions ouvre aussi la voie à des incohérences sociologiques et électorales : on mêle des électorats populaires à des électorats aisés pour gommer les zones acquises à certains partis. Enfin, il induit de mener une campagne locale pour un mandat national. C'est la porte ouverte au clientélisme électoral et aux inégalités entre candidats. Quand on est un notable local ou un député sortant, prendre du temps pour faire campagne est nettement moins difficile que si on fait partie d'un milieu populaire."

"Le citoyen vote quand il saisit l'enjeu du vote. Là, les programmes sont restés un peu au second plan dans cette campagne, il s'agissait de savoir si tel ou tel candidat soutiendrait la politique présidentielle, quelle qu'elle soit. Le député est devenu accessoire. Un scrutin à la proportionnelle aurait le mérite de donner plus d'équilibre au système actuel."

Rendre le vote obligatoire ?

Tarte à la crème des lendemains de grande déroute pour la participation citoyenne, la question du vote obligatoire a évidemment animé les esprits, d'aucuns renvoyant les abstentionnistes à au qualificatif de "paresseux".

Un raisonnement insuffisant, estime, Nicolas Framont, qui fait valoir : "Si les abstentionnistes étaient paresseux, ils seraient plus équitablement répartis". Référence au fait que c'est dans des départements comme la Seine-Saint-Denis ou le Pas-de-Calais, parmi les plus pauvres de France métropolitaine, que l'on trouve l'abstention la plus forte. Pénaliser les abstentionnistes, comme cela se fait en Belgique, serait-il une solution ? "Ça pose un problème social : cela signifierait qu'il faudrait pénaliser en majorité les plus pauvres et les plus jeunes."

La solution de l'amende, telle que pratiquée en Belgique, a le mérite d'amener les électeurs aux urnes, avec, selon les derniers chiffres, une participation moyenne de 80% aux dernières élections (89% aux dernières élections fédérales). Mais elle manque une chose fondamentale, insiste Nicolas Framont : "Cela ne remettrait pas en question les institutions, qui jouent clairement un rôle dans le désintérêt des abstentionnistes."

Changer le calendrier

Interrogés par LCI, plusieurs citoyens faisaient part de leur lassitude après des mois de campagne, donnant là une part d'explication au désintérêt global ressenti pour ce premier tour. Après deux primaires et une élection présidentielle, les législatives seraient donc le scrutin de trop. "Les citoyens sont dans un choix de continuité : après avoir fait leur choix à la présidentielle, ils ne voient pas pourquoi quelqu'un d'autre gouvernerait", analyse Nicolas Framont.

Une impression renforcée par l'histoire puisque, à chaque fois que les législatives ont suivi l'élection présidentielle, les Français ont donné une large majorité au gagnant. "Nommer un gouvernement avant même les législatives, alors qu'il devrait refléter les forces en présence au Parlement, renforce cette dynamique. Ces logiques minimisent d'autant plus l'hypothèse d'une cohabitation que la dernière remonte à 1997. Les citoyens ne s'imaginent pas que le Parlement et le Premier ministre puissent faire autre chose que d'appuyer le Président."

Basculer le calendrier de ce scrutin pourrait alors lui redonner de l'intérêt et de l'incertitude. En organisant des élections à mi-mandat pour rebattre les cartes ? "Cela irait bien au système français où la majorité est généralement très impopulaire au bout de deux ans." Ou en s'inspirant de l'exemple américain où, le 9 novembre dernier, on élisait aussi bien le président que les représentants et les sénateurs ? "On pourrait imaginer qu'en venant voter pour la présidentielle en même temps que pour les législatives, on alignerait les taux de participation. 

Cela aurait le mérite, aussi, de respecter davantage les blocs nationaux observés au premier tour de la présidentielle." Et d'annuler le fameux "fait majoritaire". Car la situation contient quelque chose de "malsain", selon Nicolas Framont : "Le député n'est fait que pour soutenir le président. Là où il devrait incarner un contre-pouvoir législatif, il devient spectateur et ne remplit pas son rôle." De là à ce qu'une majorité remette en cause pareil avantage...


Antoine RONDEL

Tout
TF1 Info