Un barbu à Matignon : de Clovis à Edouard Philippe, qu'a symbolisé le poil en politique ?

par Léa BONS
Publié le 17 mai 2017 à 7h20, mis à jour le 17 mai 2017 à 11h47
Un barbu à Matignon : de Clovis à Edouard Philippe, qu'a symbolisé le poil en politique ?

AU POIL - Pour la première fois avec Edouard Philippe, un barbu fait son entrée à Matignon. Quelle influence peut avoir le poil en politique ? Quels symboles le nouveau chef du gouvernement véhicule-il avec sa barbe ? LCI fait le point avec Samir Hammal, enseignant à Sciences Po et spécialiste de la mode en Politique.

Après la barbe de trois jours d'Emmanuel Macron qui, lorsqu'il était ministre de l'Économie, avait fait le tour de la presse et séduit les internautes, c'est aujourd"hui son Premier ministre, Édouard Philippe, qui l'a porte et devient ainsi le premier barbu à fouler les marches de Matignon, au nez et à la barbe des conventions. Mais quelle est la dimension politique de la pilosité ? Retour sur son histoire à travers les siècles, jusqu'à l'arrivée du "cadre dynamique à barbe" sur la scène politique. 

Comme l'expliquait Samir Hammal, maître de conférence à Science Po et spécialiste de la mode en politique, en 2014 à nos confrères de l'Express, le poil se retrouve dès l'Antiquité dans les hautes sphères. En Égypte, la "doua-our", sorte de postiche en carton, est un attribut du pouvoir des pharaons. Chez les Grecs, Zeus, Poséidon, ou encore Hercule en sont les premiers représentants. Souverains, nobles arborent la barbe quand les esclaves sont rasés pour symboliser l'indignité. Une tendance qui se perpétue tout au long du Moyen-Âge avec Clovis, Charlemagne ou encore François 1er, avant de tomber dans l'oubli sous Louis XIV. 

Un symbole gauchiste mis à mal par De Gaulle

Alors que la Révolution française, avec la guillotine dénommée "le grand rasoir national", laissait présager la disparition du poil, la barbe fait son grand retour chez les contestataires au XIXème siècle. À partir de Louis Napoléon Bonaparte, président de la République puis Empereur des Français, la classe politique ne se conçoit plus sans un bouc ou une moustache. La révolution de 1848, qui donnera lieu à la seconde République, mettra à l'honneur les visages barbus du socialiste français Louis-Auguste Blanqui, du général italien Giuseppe Garibaldi, du philosophe Karl Marx et plus tard de Jean Jaurès. 

La barbe révolutionnaire devient tout un symbole avec le Cubain Fidel Castro, qui jure de la garder jusqu'à sa victoire face à Batista. 

La barbe est de retourSource : JT 20h WE
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Si dans les années 1960, la pilosité s'assume dans la société à travers le mouvement hippie, la Vème République, elle, va marquer la fin de l'alliance entre le poil et le pouvoir. C'est le général de Gaulle qui lance la mode en abandonnant la moustache qu'il arborait plus jeune. Depuis lors, nos Présidents s'affichent glabres et le poil se fait rare dans les couloirs du pouvoir, même s'il fait de la résistance avec des figures comme Robert Hue, Noël Mamère, Alain Lipietsz ou José Bové.

Le XXIème siècle, enfin, remet la barbe sur le devant de la scène. Après le phénomène du "métro sexuel", elle fait son retour en France avec le rugbyman "Chabal" et prend "un tournant viril", comme l'explique Samir Hammal à LCI. Si elle disparaît peu à peu des défilés, elle est partout dans la rue et devient ultra-tendance. Alors que dans les années 1980, le cadre dynamique était imberbe, il porte aujourd'hui fièrement sa barbe, démocratisée par les acteurs Guillaume Canet ou encore Jean Dujardin. 

Edouard Philippe "symptomatique de son époque"

Depuis une dizaine d'années ainsi, la barbe est (re)devenue incontournable, mais elle reste encore aujourd'hui marginale dans la classe politique. Reprendra-t-elle du poil de la bête avec Edouard Philippe ? Avec l'entrée du maire du Havre à Matignon, on assiste bien à un "renouvellement de génération", à "un changement de moeurs", nous assure Samir Hammal : "Avec sa barbe, Edouard Philippe se détache de son image de technocrate, énarque et froid, il devient plus humain, plus accessible". "Il correspond parfaitement à l'image marketée du cadre supérieur dynamique qui assume sa virilité. En ce sens, il est très symptomatique de son époque". 

En espérant tout de même que le nouveau Premier ministre n'aura pas un poil dans la main pour diriger son gouvernement.


Léa BONS

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