La mère d'Eric Lang, battu à mort dans un commissariat du Caire : "La France nous a abandonnés"

par Maud VALLEREAU
Publié le 17 avril 2016 à 14h33
La mère d'Eric Lang, battu à mort dans un commissariat du Caire : "La France nous a abandonnés"

INTERVIEW - Le Français Eric Lang a été battu à mort dans une cellule d'un commissariat du Caire en septembre 2013. Une semaine plus tôt, la justice avait pourtant ordonné sa libération. Une affaire qui fera l'objet de "discussions" entre François Hollande, attendu dimanche et lundi au Caire, et son homologue égyptien. La mère d'Eric Lang accuse le Quai d'Orsay d'avoir "étouffé" l'affaire pour ne pas froisser l'entente franco-égyptienne.

Au bout du fil, ses mots sont entrecoupés de silences. « J’ai encore du mal à parler de lui », reprend-elle, la voix étouffée par les larmes. Deux ans et demi après la mort de son fils en Egypte, Nicole Prost attend toujours de connaître la vérité. Le 6 septembre 2013, Eric Lang, 49 ans, est arrêté à un barrage de police au Caire pour un défaut de passeport. Le lendemain, la justice égyptienne ordonne sa remise en liberté. Mais l’enseignant français, installé en Egypte depuis vingt ans, ne sera jamais libéré. Son décès sera annoncé une semaine plus tard à sa famille.

Officiellement, Eric Lang a été frappé à mort dans sa cellule par six codétenus. Une enquête "sommaire" et une version mise en doute par la famille qui estime que la responsabilité des policiers présents doit notamment être interrogée. "L'affaire Lang fera l'objet de discussions" au cours de la visite de François Hollande à son homologue égyptien al-Sissi dimanche et lundi, a indiqué une source diplomatique au  Monde . Nicole Prost a du mal à croire en la volonté du chef de l'Etat, elle qui accuse le Quai d’Orsay d'avoir « abandonné » sa famille. Et d’avoir « étouffé » l’affaire pour ne pas froisser les relations franco-égyptiennes. Entretien.

Que savez-vous de ce 6 septembre 2013 ?
Eric est allé voir un ami et il est arrêté à un check point. Il était environ 16 heures sachant que le couvre-feu était à 18 heures. Il n’y avait donc aucune raison de l’arrêter pour ça, comme on a pu l’entendre. Mais il n’avait pas ses papiers. Il a donc été emmené au poste de police. On lui a aussi reproché d’avoir une matraque. Il avait ça pour se protéger en raison de la situation sécuritaire. A l’époque, au Caire, tout le monde se protégeait (lire encadré). Le lendemain, un juge égyptien a ordonné sa remise en liberté immédiate puisqu'il n’y avait aucune raison de le garder. Mais pour une raison inconnue, les policiers ont ramené Eric au commissariat et l'ont maintenu en détention. L’ambassade de France était au courant. Le Quai d’Orsay m’avait dit de ne pas m’inquiéter, qu’il était dans une cellule sécurisée, que tout allait bien... Le 13 septembre, mon fils a été battu à mort, torturé dans une cellule. Le dimanche, les gendarmes venaient nous annoncer son décès. On nous a parlé d'une soi-disant dispute à propos de la lumière dans la cellule avec ses codétenus, qui lui auraient alors sauté dessus.

Vous n'y croyez pas... 
Non, pas du tout. Ce n’est pas possible que le commissaire ou les policiers qui étaient présents n’aient rien entendu. Eric a été… (sanglots). Un tel déchaînement de violences et on n'entend pas un bruit ? Les deux autopsies qui ont été pratiquées sont contradictoires. Celle de l’Egypte dit qu’il est mort d’une commotion cérébrale. Celle du CHU de Nantes, qu’il a eu les pieds ligotés et a été tabassé à mort. La seule chose que je sais, c'est que mon fils a été arrêté et torturé pour rien…Nous voulons que toutes les personnes présentes au commissariat ce jour-là soient convoquées et entendues.  

Quelles démarches judiciaires avez-vous engagé ?
Nous avons porté plainte pour violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Ainsi qu'une plainte contre l'Etat égyptien (pour non-assistance à personne en danger et détention illégale, ndlr). Six codétenus ont été désignés mais je ne sais même pas s'ils étaient là. Ils ont peut-être choisi ces six garçons au hasard. Dans tous les cas, à chaque fois que les audiences débutent, il en manque toujours un ou deux, et elles sont tout simplement renvoyées.

"On a voulu étouffer l’affaire"

Vous avez également lancé une procédure en France. Où en est-elle ?
Le juge qui nous a reçus au tribunal de Nantes a tout de suite vu que quelque chose n’allait pas dans le dossier. Il avait donc l’intention d’envoyer une équipe sur place (commission rogatoire, ndlr). Mais il a été muté juste après. Depuis, la juge qui a repris le dossier ne fait rien. Nous avons fait maintes demandes. Je téléphone régulièrement au tribunal, on ne me répond pas ou on me raccroche au nez. On refuse même de donner à mon avocat les notes écrites par Eric. Ecrire, c’était sa passion. Il écrivait tout le temps. Et il a visiblement écrit tous les jours durant sa détention. Même ça, on me le refuse !

Vous pointez aujourd'hui du doigt l'inertie volontaire, selon vous, du Quai d'Orsay...
Au moment de la mort d'Eric, le ministre des Affaires étrangères de l’époque (Laurent Fabius, ndlr) rencontrait son homologue égyptien. Il y avait des contrats en jeu, l’Egypte voulait également rassurer les touristes français, montrer que tout allait bien là-bas... Je suis persuadée que c’est pour cela qu’on a étouffé l’affaire, que le Quai d’Orsay ne m'a jamais répondu et que la juge de Nantes ne fait rien. Elle ne fait même pas suivre notre dossier à l'avocat. Ça veut dire quoi ? A-t-elle des ordres ? Agit-elle ainsi de son propre chef ? Tout cela rime à quoi ? Quand je suis trop en colère, quand je ne sais plus quoi faire, je téléphone. Parfois je vais jusqu'à "traîner" devant le tribunal. J’ai besoin de faire quelque chose, d'avoir des réponses. Mais personne ne me dit rien. Après avoir été si peinée, si déboussolée, la colère a pris le dessus.

Vous avez l'impression de ne pas avoir été soutenue par la France ?
Quand mon fils est décédé, j’ai rappelé le Quai d’Orsay pour le rapatriement. Je suis tombée sur la même personne qui m’avait dit de ne pas m’"inquiéter pour sa détention". Elle m’a alors simplement dit que c’était à la famille de s’occuper de ça. J’ai dû crier quelque chose comme « C’est inhumain, comment fait-on pour rapatrier le corps de son enfant, je n'ai jamais fait ça moi ! Mon fils est Français, il vit à l’étranger, normalement, vous devez nous aider ! ». Et elle a répondu : "C’est comme ça". Voilà, ce sont les derniers mots. Et depuis, nous n’avons plus eu de nouvelles. Nous avons tapé partout avec ma fille pour qu’on nous aide et c’est finalement la justice qui a rapatrié le corps d’Eric plus d’un mois après. Depuis que le nouveau ministre des Affaires étrangères est arrivé, Jean-Marc Ayrault, les choses évoluent un peu. On daigne enfin nous répondre.

Qu’attendez-vous de la visite de François Hollande en Egypte ?
Je n’attends rien, ça fait deux ans et demi que ma fille et moi attendons. Deux ans et demi sans un mot de la France... Quand le jeune Italien a été retrouvé mort au Caire*, le gouvernement italien a immédiatement réagi. Il a envoyé un avion pour rapatrier le corps, il s’est occupé des parents, a demandé des comptes à l'Egypte. Nous, la France nous a abandonnés. Ma fille prend toujours des médicaments, moi je me bourre de trucs pour dormir. C'est invivable. On voulait juste savoir la vérité. 

* Giulio Regeni, un étudiant italien, qui selon les milieux diplomatiques occidentaux, aurait été torturé à mort par les services de sécurité égyptiens.

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Maud VALLEREAU

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