ASSISES – Au troisième jour du procès d’Abdelkader Merah et Fettah Malki, jugés notamment pour complicité dans les attentats terroristes commis par Mohamed Merah en mars 2012 à Toulouse et Montauban, c’est la question de l’anonymisation de certains témoins, policiers, qui a fait débat. L’avocat du frère du "tueur au scooter", Me Dupond-Moretti, a vivement critiqué ce non-dévoilement d’identité, de surcroît quand la personne interrogée a été médiatisée quelques mois avant le procès…
Ils portent les numéros 23, 29, 30, 35, 41, 46 et 49. Avant l’ouverture lundi dernier du procès d’Abdelkader Merah et Fettah Malki, jugés devant la cour d’assises spéciale de Paris notamment pour complicité dans les tueries perpétrées par Mohamed Merah en mars 2012, ils avaient demandé l’anonymisation.
Jusqu’au 3 novembre, donc, date de la fin du procès, ces personnes, témoins, devaient faire état du dossier Merah et de leur connaissance du sujet devant les magistrats, le ministère public, les avocats, les familles, les journalistes, les accusés et le public, sans que jamais leur nom ne soit prononcé.
SI le numéro 46, premier témoin au procès et premier "témoin du genre", avait finalement décidé de venir mardi à la barre en dévoilant ses fonctions de l’époque (sous-directeur de la direction centrale de la police judiciaire) et son identité, les deux enquêteurs de police entendus ce mercredi avaient eux choisi de rester anonymes.
Visage dissimulé, voix modifiée
Mercredi matin, le "témoin 30" a donc déposé sous couvert d’anonymat devant la cour, donnant les informations dont il dispose sur les investigations menées au cours de l’affaire Merah. Par le biais de la visioconférence, de dos et la voix modifiée, le policier est donc revenu sur les faits commis en mars 2012 à Toulouse et Montauban.
Pour le numéro 35, qui témoignait un peu plus tard dans la journée, lui aussi en visioconférence, voix toujours modifiée et visage caché, l’exercice a été rendu bien plus difficile après l’intervention des avocats des parties civiles puis de la défense.
Peur des représailles ?
Me Elie Korchia d’abord, avocat de la famille Sandler, qui a perdu trois de ses membres, Jonathan, 30 ans, Arié 5 ans, et Gabriel 3 ans, tués par Mohamed Merah alors qu’ils se trouvaient dans l’école Ozar Hatorah, a interrogé le témoin sur la notion de "loup solitaire".
"Si l’on considère que Mohamed Merah était, pour certains policiers, un ‘ loup solitaire’, comment peut-on comprendre aujourd’hui que vous demandiez l’anonymisation ? A l’évidence il y a une crainte des représailles qui pourraient arriver… Est-ce à dire que le "loup" Merah faisait partie d’une meute ? Ce climat de peur intense aurait donc engendré l’anonymisation, du fait de la peur de témoigner à visage découvert", a continué Me Korchia.
A cette question, l’enquêteur du sud a répondu : "L’enquête a établi qu’il y avait des complicités, il y a deux personnes renvoyées dans le box". Et de poursuivre : "Toulouse et la région sont un fort bassin de radicalisation et des affaires récentes en attestent, notamment des interpellations. Travaillant sur place, ayant famille et enfants sur place, je refuse d’apparaître devant des mis en cause qui ont toujours des connaissances, des contacts sur place".
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Une interview récente à la presse
Me Morice, avocat de la famille du militaire Mohamed Legouad, abattu par Mohamed Merah, interroge à son tour le témoin.
- "Avez-sous été amené à donner une interview à la presse? ", demande-t-il.
- "Pas récente", déclare le témoin n°35
- "Vous êtes sûr ?" insiste l’avocat.
Le témoin précise alors avoir donné une interview "pour l'anniversaire des cinq ans".
- "Dorénavant s'il s'avère qu'un enquêteur s'est exprimé dans la presse, je m'opposerai à son anonymisation", fait savoir l’avocat.
"Vous vous moquez du monde !"
Me Dupond-Moretti, avocat d’Abdelkader Merah, revient lui aussi dans la foulée sur cette interview, donnée "il y a sept mois" par le policier : "Vous avez demandé l’anonymisation, j’étais le seul à m’y opposer. Votre nom, tout le monde le connaît, la presse l’a donné. Vous avez fait part des craintes pour vous, votre famille. Mais votre nom était il y a quelques mois dans un grand quotidien du sud-ouest ! (…) Aujourd’hui Monsieur, vous vous moquez du monde ! Vous nous faites le coup de 'j’ai peur pour ma famille' alors qu’il y a sept mois, vous donniez une interview ! Alors voilà, vous donnez des interviews mais devant les juges il n’y a plus personne", s’énerve le ténor du barreau.
Pour plaider sa cause, le témoin anonyme fait alors référence aux assassinats de Jean-Baptiste Salvaing, policier, et de son épouse Jessica Schneider, agent administratif, à Magnanville en juin 2016. "Seuls des policiers ont été égorgés à leur domicile jusqu'ici, pas des avocats !", dit-il.
Au président de décider
Le président clôt le débat et déclare alors : "Si j’avais été informé de cette interview, il est clair que la décision que j’aurais prise aurait été différente."
D’autres policiers ayant demandé l’anonymisation témoigneront avant la fin du procès, lundi prochain notamment. A chaque fois, le président et les avocats se réuniront avant leur témoignage pour évoquer la demande de chacun. Le président prendra la décision de l’anonymisation, ou non.