Quand des policiers relativisent d'eux-mêmes l’efficacité de l’état d’urgence

par William MOLINIE
Publié le 3 février 2016 à 17h33
Quand des policiers relativisent d'eux-mêmes l’efficacité de l’état d’urgence

SECURITE - Alors que le gouvernement veut prolonger l’état d’urgence de trois mois, metronews a interrogé des policiers pour savoir ce qu’ils pensaient de son utilité. Mis en place au lendemain des attentats de novembre, l’état d’urgence a permis de mener 3289 perquisitions administratives. Mais seulement 571 procédures judiciaires ont été ouvertes.

C’était un mardi matin du mois de décembre. Il était un peu avant 5h quand Fatima entend un bruit peu habituel dans la cage d’escalier de son immeuble à Chambéry. Elle pense d’abord à l’orage. Mais les bruits se font insistants. "Police, ouvrez la porte!", crie-t-on dans le couloir. Seule avec son fils de trois ans puisque son mari, ingénieur chez un constructeur automobile français, travaillait ce jour-là à Paris, elle hésite à ouvrir. "Je me demandais si c’étaient vraiment des policiers", raconte-t-elle à metronews. Finalement, face aux menaces de défoncer la porte, elle se décide à l'ouvrir. "Le chef des policiers m’a dit qu’ils étaient là parce qu’on pratiquait l’islam plus qu’il ne faut", assure cette mère au foyer, revendiquant la pratique d’un "islam normal". Après avoir fouillé l’appartement, les policiers repartiront bredouille, sans aucun scellé.

Les policiers s’attendent à des recours

Alors que le gouvernement a demandé mercredi 3 février le prolongement de trois mois de l’état d’urgence , metronews a interrogé des policiers pour connaître leur ressenti sur l’utilité de mener des perquisitions administratives ou de prononcer des assignations à résidence sans accord préalable d’un juge. "Ça nous a permis de photographier à un moment T l’état de la criminalité et de la menace terroriste en France. Mais il a pu y avoir des dérives. Au début, c’était un peu la course à l’échalote entre certains préfets, avec une course aux chiffres à celui qui réaliserait le plus de perquisitions", concède auprès de metronews Philippe Capon, secrétaire général de l’Unsa-Police.

Certains actes de procédure sous l’état d’urgence ont déjà été désavoués par l’autorité judiciaire. Comme l’assignation à résidence d’Halim Abdelmalek , soupçonné d’avoir fait des repérages autour du domicile d’un journaliste de Charlie Hebdo alors qu’il se rendait chez sa mère, qui a été suspendue par le conseil d’Etat le 22 janvier. "Nous devons nous attendre à un certain nombre de recours. C’est inévitable. Nos procédures vont être remises en cause par les avocats. D’où la nécessité de ne judiciariser que les dossiers les plus aboutis", estime un officier de police judiciaire (OPJ) de la capitale.

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Autre écueil pointé du doigt, l'assignation à résidence de militants écologistes pendant la COP 21. "Ces gens n’avaient rien à voir avec une menace terroriste", estime un policier. Un autre, qui n’a pas constaté de "dérives" à proprement parler, relativise toutefois les renseignements glanés lors des perquisitions administratives. "Pour nous à Paris, ça a surtout été l’occasion d’exercer une certaine pression sur des petits caïds, bref de leur rappeler qu’on est toujours là. Et de mettre à jour les informations, des changements d’adresse ou de situation, par exemple", poursuit ce policier.

"L’état d’urgence s’essouffle"

Le rythme des perquisitions administratives a considérablement diminué en trois mois, comme le montre ce graphique du service des affaires juridiques de l’Assemblée nationale :

"L’état d’urgence s’essouffle. On a rouvert les dossiers, mais aujourd’hui, on est dans les affaires courantes. Ce n’est plus la même activité", reconnaît auprès de metronews Jean-Marc Bailleul, secrétaire général du syndicat des cadres de la sécurité intérieure (SCSI). Selon lui, le gouvernement n’aurait pas dû prolonger l’état d’urgence. "On aurait préféré une loi qui nous permette d’intervenir plus facilement hors état d’urgence. Exemple, nous avons un renseignement sur untel qui a acheté une kalachnikov, nous perquisitionnons, nous trouvons l’arme, puis nous remettons le dossier au juge", explique-t-il.

Signe d'une certaine lassitude, on apprend  dans le compte rendu du Conseil des ministres du 3 février , que le gouvernement prévoit un nombre de perquisitions "nécessairement moins nombreuses" qu’après le 13 novembre. Depuis ce jour,  3289 perquisitions administratives ont été menées  au cours desquelles, 560 armes ont été saisies dont 42 armes de guerre. Ces perquisitions n’ont donné lieu qu’à l’ouverture de 571 procédures judiciaires. Soit dans moins de 20% des cas.

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William MOLINIE

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