HORS PROJO - Le Festival est un microcosme fortement hiérarchisé. Des accréditations de différentes couleurs sont distribuées pour différencier le vulgaire de l'ultra-privilégié. Tout le monde en a, ou presque, mais ses usages diffèrent fortement. Explications.
Regardez-moi dans les yeux. J'ai dit : dans les yeux ! Rien à faire, les festivaliers de Cannes ont le regard braqué sur toutes les poitrines. Pas pour se délecter du galbé parfait de votre anatomie (si vous êtes une femme, s'entend), mais pour vérifier la couleur de l'accréditation que vous portez autour du cou. Et d'en déterminer votre place dans la hiérarchie cannoise. Blanc, rose, bleu... Voici l'explication de ces petits papillons multicolores qui pullulent sur la Croisette.
Le badge blanc, ou le graal suprême
Avec lui, c'est bien simple, vous entrez partout, avant tout le monde, sans faire la queue. Aux projos, aux cocktails, partout sauf aux WC, question de courtoisie. Conféré à une poignée de VIP, le badge blanc distingue le prestige de son porteur, son ancienneté dans le métier, son degré d'intimité avec Gilles Jacob ou Thierry Frémeaux, son inaccessibilité. En fait, leur propriétaire est tellement connu qu'il n'a pas besoin de le montrer. Comme Michel Denisot, par exemple. Le badge invisible, c'est le badge ultime.
Le badge rose, pour les journalistes habitués
L'accréd' rose avec pastille jaune sur un coin se trouve juste en-dessous de la blanche, et est remise aux journalistes habitués, qui couvrent généralement le festival pendant toute la quinzaine. Ils entrent assez rapidement dans les salles de projo, sous les regards courroucés de ceux qui poireautent depuis une heure. Après seulement entrent les "rose sans pastille", un peu moins considérés. "Mais pourquoi tout les journalistes n'ont pas la pastille ?" demanderez-vous. Pour des questions de quotas. « Mais pourquoi on ne colle pas tout simplement une gommette jaune dessus ? » insisterez-vous. Parce que c'est le code barre de la carte qui est bipé par les vigiles à l'entrée des projos. De quoi griller direct votre petite entourloupe.
Le badge bleu, pour la middle class des festivaliers
Le bleu, c'est bien mais pas top, comme on disait dans La Cité de la Peur. En-dessous du rose, mais au-dessus du orange, son porteur ne sait plus trop s'il doit frimer avec ou le cacher dans sa poche de chemise. "Un statut de crotte de nez", selon une consoeur qui préfère garder l'anonymat. Qui sait, peut-être rosira-t-elle l'an prochain...
Le badge orange, pour les pros de l'image
Il est remis aux photographes et aux caméramen, ces hommes rudes et courageux qui restent debout toute la journée au pied des marches, à cramer en smoking sous le soleil, pour attraper un chignon ou un talon aiguille de star, hurlant en chœur le prénom des actrices, dans l'espoir fou qu'elles lui lanceront une oeillade à eux, et à eux seuls, pour ce qui sera à n'en pas douter la photo du siècle. Le plus beau, c'est que souvent, ça marche.
Le badge jaune, pour les poussins
C'est le petit dernier, celui qu'on regarde avec tendresse, parce qu'il marque souvent le premier festival de son propriétaire. On ne peut pas faire grand-chose avec, puisqu'il faudra attendre que toutes les couleurs précédentes soient entrées avant de pouvoir squatter un strapontin, s'il en reste. Le badge jaune a de grandes chances de faire la queue pendant deux heures pour rien. Ça suffit à lui témoigner sympathie et considération.
S'ajoutent à cette collection d'autres pass, transparent, violet, bleu foncé ou couleur caca, réservés aux acteurs du Marché du Film et aux associations de cinéphiles. Très utiles pour retrouver fissa le nom de cet affable acheteur roumain avec qui on a trinqué la veille, et qui arrive vers vous tout sourire, main tendue. Ou tout simplement pour se souvenir de son propre nom, à la fin d'une soirée bien trop arrosée. Et dans ce cas précis, tous les badges sont égaux.