CORRUPTION - D’après des documents confidentiels cités par "The Guardian", l’actuel président de la Commission européenne aurait posé son veto à des initiatives de l’UE pour lutter contre l'évasion fiscale, alors qu’il était chef du gouvernement du Luxembourg, dans les années 1990 et 2000.
Après s'être fait taper sur les doigts, il s'était fait le chantre de la lutte contre l'évasion fiscale. Pourtant, des documents confidentiels transmis par le groupe de radio allemand NDR au journal britannique The Guardian laissent entendre que l’actuel président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, aurait déployé toute son énergie à bloquer des mesures anti-évasion fiscale proposées par des Etats-membres de l’UE, lorsqu’il était... Premier ministre du Luxembourg.
Ces notes concernent les travaux du comité "Code de conduite (fiscalités des entreprises)", créé en 1998 par le Conseil européen afin de lutter contre l’évasion fiscale croissante des multinationales. Ces documents "révèlent comment une petite poignée de pays ont utilisé leurs sièges au comité pour faire avorter une action concertée de l’UE et protéger leur propre régime fiscal", écrit The Guardian.
Des projets anti-évasion fiscale que le Luxembourg et les Pays-Bas étaient souvent seuls à rejeter
The Guardian
De 1995 à 2013, le chef du gouvernement luxembourgeois aurait notamment posé son veto, au nom de son pays, à une proposition visant à accroître le partage d’informations entre les États au sujet des accords confidentiels avec les multinationales, ou encore à une enquête sur les stratégies d’évitement fiscal des grands groupes. "Des projets anti-évasion fiscale", note The Guardian, "que le Luxembourg et les Pays-Bas étaient souvent seuls à rejeter". Or, les décisions du comité "Code de conduite", qui réunit des représentants des États en amont du Conseil de l’UE, ne peuvent être prises qu’à l’unanimité.
Cité par The Guardian, un porte-parole du ministère luxembourgeois des Finances a affirmé ne pas avoir connaissance de ces documents, et ne pas pouvoir les commenter. "Ces dernières années, le Luxembourg a été en première ligne dans la tendance globale vers plus de transparence fiscale et dans le combat contre la concurrence fiscale dommageable", a juste tenu à préciser ce porte-parole.
De son côté, la Commission européenne, par l'intermédiaire de son porte-parole Margaritis Schinas, a balayé les révélations du quotidien britannique en les qualifiant de "réchauffées". "Pendant les vacances de Noël [...], période traditionnellement faible en actualité, des gens ont tendance à réchauffer leur soupe froide", a-t-il ainsi déclaré. Insistant sur le travail de la Commission Junker dans le cadre de la lutte contre l’évasion fiscale, le porte-parole a souligné que l’ex-Premier ministre luxembourgeois avait toujours été "totalement transparent" sur les questions relatives au scandale "LuxLeaks".
Jean-Claude Juncker dans la tourmente de l'affaire "LuxLeaks"
Ce n'est pas la première fois que l'ancien chef du gouvernement du Luxembourg est accusé d'avoir oeuvré à faire de son pays un paradis de l'optimisation fiscale en Europe du temps de son passage à la tête du Grand-Duché. En novembre 2014, en révélant les "LuxLeaks", Le Monde avait en effet dévoilé les accords fiscaux "anticipés" négociés (tax rulings) avec plus de 300 multinationales par le Luxembourg. Des révélations qui avaient plongé Jean-Claude Juncker dans la tourmente.
Si ce dernier a depuis voulu faire montre de ses velléités anti-opacité fiscale, il reste encore du chemin à parcourir pour convaincre les sceptiques. Et en novembre dernier, c'était au tour du prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz de pointer du doigt l'actuel président de la Commission européenne en déplorant que l’UE ait à sa tête un "architecte [...] d’un programme d’évasion fiscale qui a nui [...] à d’autres pays".