Salah Abdeslam sans avocat : le droit au silence, une stratégie payante ?

par William MOLINIE
Publié le 12 octobre 2016 à 17h00
Salah Abdeslam sans avocat : le droit au silence, une stratégie payante ?

ECLAIRAGE – Le seul survivant des commandos du 13 novembre est sans avocat. Me Franck Berton a annoncé être sorti du dossier car son client continuait d’exercer son droit au silence. Une stratégie payante ?

C’est son droit le plus total. Un droit pointé du doigt par son désormais ex-avocat, Me Franck Berton, qui n’aura pas réussi à obtenir de son client une seule déclaration devant le juge. Salah Abdeslam, unique membre encore vivant des commandos du 13 Novembre, vient d’être lâché par son conseil. Raison invoquée ? Un silence de plomb, qui "l’emportait", selon l’avocat lillois, sur son "désir de s’expliquer". 

Depuis son incarcération dans la plus grande prison d’Europe à Fleury-Mérogis (Essonne) en avril dernier, Salah Abdeslam refuse de parler au juge d’instruction. A chaque interrogatoire, il oppose son "droit au silence". Une stratégie de défense qui lui permet désormais de valoriser sa parole, seule monnaie d’échange en sa possession pour faire évoluer ses conditions de détention. Le droit au silence, une pirouette à manier avec dextérité, surtout que dans cette affaire hors du commun, la pression de l'opinion publique jouera en sa défaveur.

Qu’est-ce que le droit au silence ?

L'annonce du retrait par Me Berton du dossier "Abdeslam" ne doit pas faire oublier que le droit au silence invoqué par son client est garanti par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et en France par une loi du 27 mai 2014 qui transpose une directive européenne et intègre dans le code de procédure pénale l’obligation pour "toute personne suspectée ou poursuivie soumise à une mesure privative de liberté" d’être informé de son droit de "faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire". 

La philosophie de cette disposition est que tout mis en cause ne peut être forcé de "s’auto-incriminer". Autrement dit, ce droit au silence ne peut être perçu comme une sanction. Ne pas répondre à une question d’un policier ou d’un juge lorsqu’on est mis en cause ne peut pas constituer un délit. Contrairement aux témoins, par exemple.

Le droit au silence en garde à vue préconisé par Me Eolas

Quand, pourquoi, comment opposer son droit au silence ? LCI a posé la question à l’avocat le plus connu de la twittosphère, le pénaliste Me Eolas. Ce dernier conseille systématiquement à ses clients d’exercer ce droit pendant la garde à vue. "La règle, c’est de se taire devant les policiers. Que vous soyez coupable ou innocent, il faut attendre de savoir précisément ce qu’on vous reproche", détaille-t-il. Les trois-quarts de ses clients commis d’office suivent le conseil. "Pas un seul ne s’en est plaint", ajoute-t-il. 

Devant le juge d’instruction, au cours de l’interrogatoire de première comparution, il préconise la même démarche. "Le mis en cause vient de passer 48 heures de garde à vue, voire plus dans les affaires de terrorisme. Il est fatigué. Si on se dirige vers une détention provisoire, il est préférable de reporter les déclarations au cours d’un deuxième interrogatoire. Les juges le comprennent tout à fait", poursuit-il.

Gage de mauvaise volonté ?

En revanche, faire du droit au silence un principe idéologique peut, selon l’avis des policiers, s’avérer contre-productif. Interrogé par LCI, un officier de police judiciaire (OPJ), rompu à la garde à vue, estime de son côté qu’un suspect qui se tait est "d’autant plus suspect". "C’est perçu comme un gage de mauvaise volonté", souligne-t-il. D’autant plus si le suspect est innocent : "Il a tout intérêt à jouer la carte de la franchise", ajoute un autre.

Avant chaque début de première audition en garde à vue, tous les mis en cause peuvent demander un entretien privé avec leur avocat, pendant trente minutes. Pour éviter, au cours de l’interrogatoire, que les avocats ne fassent des signes à leurs clients ou n’influent sur leurs réponses, les policiers ont trouvé la solution : "La bonne pratique, c’est de positionner le suspect en face de nous et de décaler la chaise de l’avocat à côté et un peu en arrière de celle de son client. De sorte qu’ils se voient moins", nous explique un OPJ.

Plus l’enquête avance, plus les langues doivent se délier

Si le droit de se taire est systématiquement préconisé par Me Eolas devant les policiers ou les gendarmes, la stratégie devant le juge n’est pas la même. "On a accès au fur et à mesure à l’intégralité du dossier. Plus on avance, plus je conseille de participer à la vérité et de démontrer les erreurs", ajoute-t-il.

Vient alors l’heure du procès. Le suspect a tout intérêt à parler, à implorer la pénitence, à endosser une part de responsabilité pour échapper à une autre… Sauf si, rappelle Me Eolas, "il creuse sa propre tombe en s’énervant, en insultant les juges, ou même s’il a des difficultés à parler et qu’il emploie des mots qui ne reflètent pas sa pensée". Mais quoiqu’il arrive, ce droit au silence ne peut être interprété comme une preuve de culpabilité ou d’innocence. Un droit, tout simplement. Ce que Salah Abdeslam, qu'on lui prête ou non des qualités de stratège, compte exercer tout au long de l'instruction.


William MOLINIE

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