Olivier Adam : "Georges Tron, à part l'histoire des pieds, personne ne sait qui c'est"

par Judith KORBER
Publié le 11 janvier 2016 à 9h01
Olivier Adam : "Georges Tron, à part l'histoire des pieds, personne ne sait qui c'est"

INTERVIEW – Dans son nouveau roman ''La Renverse'', Olivier Adam ("Je vais bien, ne t'en fais pas", "Les Lisières"...) raconte l'explosion d'une famille liée à un sordide fait divers. Rencontre avec l'auteur qui poursuit ici l'exploration de thèmes qui lui sont chers, comme la banlieue, l'injustice et les histoires familiales douloureuses.

Antoine mène une vie rangée en Bretagne jusqu'à ce qu'il apprenne la mort de Jean-François Laborde, un homme politique influent. Cette nouvelle va le replonger dix ans en arrière alors qu'adolescent, il habitait avec ses parents dans une ville de banlieue. Dans La Renverse, Olivier Adam nous entraîne au cœur de l'explosion d'une famille dont la mère est mêlée à un scandale au retentissement national. Alors que les émotions se bousculent à chaque page, l'auteur explore d'un ton très posé les thèmes de l'injustice et de l'humiliation à travers un sordide fait divers qui ne peut pas laisser indifférent. Attablé dans un café parisien, Olivier Adam nous raconte l'histoire de son nouveau roman.

Vous êtes-vous inspiré de l'affaire Georges Tron [le maire de Draveil et ex-secrétaire d'Etat chargé de la Fonction publique accusé de viol par deux anciennes employées de sa commune] pour écrire La Renverse ?
Ce roman est surtout inspiré par ce constat d'impunité dont bénéficient les hommes de pouvoir, une impunité qui a des conséquences politiques graves. L'abstention et le vote FN se nourrissent beaucoup de ce sentiment du ''tous pourris''. La Renverse s'inspire de ces maires de petites villes qui, malgré les casseroles, seront toujours réélus parce qu'ils passent à la télé. Bien sûr, j'ai grandi à Draveil et je suppose que l'affaire Georges Tron a forcément joué un rôle mais je ne suis jamais dit que j'allais faire un livre dessus. En plus Georges Tron, à part l'histoire des pieds, personne ne sait ce qui c'est.

L'avez-vous écrit en pensant à une future adaptation au cinéma ?
C'est vrai que j'ai la chance d'être un auteur adapté, mais je n'y pense jamais. J'ai écrit La Renverse très vite en quatre, cinq mois. Mais il me semble que ce n'est pas un livre facile à adapter, c'est très mental. J'aime faire en sorte que le lecteur ressente les choses plus qu'il ne les comprend. Ici, on est 10 ans après les faits. Ce n'est pas une narration mais une interrogation sur des faits.

''Ce n'est pas parce qu'on est artiste qu'on mène une vie si différente que cela''

Avant même que le scandale n'éclate, vous mettez en scène une famille dysfonctionnelle avec une mère frustrée, borderline, et un père englué dans ce que vous appelez la ''glaise du quotidien''. La routine, c'est quelque chose qui vous effraie ?
C'est un repoussoir absolu, encore plus quand on est adolescent. Mais finalement ce n'est pas parce qu'on est artiste ou journaliste qu'on mène une vie si différente que cela. On a beau tenter d'y échapper, c'est une illusion. On va chercher nos gosses à l'école, on fait à manger, on regarde les mêmes séries que tout le monde. Ce qui m'arrache à la glaise du quotidien c'est moins mon mode de vie que l'écriture. L'écriture est un lieu de liberté où on peut être à la fois soi-même et quelqu'un d'autre. Depuis la naissance de ma fille il y a treize ans, je ne fais plus qu'écrire des livres, c'est un luxe absolu.

Ce roman se passe dans la ville pas très réjouissante de M. La banlieue c'est forcément la sinistrose ?
Le problème du mot banlieue c'est qu'il regroupe des villes différentes comme Versailles, Neuilly et Clichy-sous-Bois. Je n'ai jamais eu de sentiment négatif pour Draveil. Il y a une culture de banlieue libertaire et populaire que j'aime beaucoup. Mais cela se perd. Il n'y a plus ces communistes syndicalistes qui lisaient Charlie et distribuaient l'Huma. On est face soit à une espèce d'acculturation soit à quelque chose de rance qui s'exprime lors des élections. Les choses se sont durcies en banlieue. Quand j'étais gamin, on ne parlait jamais de religion. On était la génération ''Touche pas à mon pote''. Il y avait de la circulation. Aujourd'hui, l'idée de relégation est de plus en plus prégnante.

''Le système est parfait rodé pour entretenir les inégalités''

A l'instar de votre narrateur, la Bretagne est-t-elle encore un refuge pour vous ?
Oui absolument même si depuis un an et demi, je tente la vie à Paris. Quant au narrateur, il ne choisit pas vraiment puisqu'il s'y laisse entraîner par une fille et finit par y passer dix ans de parenthèse flottante, muré dans le déni et la honte.

Le destin de certains personnages reste en suspens, peut-on imaginer une suite ?
Pas une suite au sens propre du terme mais mes livres sont toujours la suite d'autres livres. Quand je m’aperçois qu'un personnage me manque ou qu'il a quelque chose à me dire, je vais le rechercher. C'est pour ça qu'il y a autant d'Antoine dans mes livres. Ce ne sont pas les mêmes, ils n'ont pas le même vécu, mais ils font partie de ma bande d'alter ego.

Dans La Renverse, la fille de Jean-François Laborde est particulièrement révoltée par l'impunité dont bénéfice son père. Aujourd'hui quel type d'injustice vous révolte vous ?
Il y a dix ans déjà, j'ai écrit les scénarios de L'été indien et de Welcome par indignation totale de la manière dont on traitait les migrants. Qu'on puisse ne pas considérer des gens dans leur pleine humanité en raison de la nationalité, je ne peux pas l'intégrer. Tout comme les inégalités dans notre société. Le système est parfaitement rodé pour les entretenir et les accroître.

La renverse d'Olivier Adam, éditions Flammarion, 272 p., 19 €.

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Judith KORBER

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