Philippe Delerm : "J'essaie de susciter l'empathie, le partage"

par Jennifer LESIEUR
Publié le 26 août 2015 à 11h49
Philippe Delerm : "J'essaie de susciter l'empathie, le partage"

RENTREE LITTERAIRE – 18 ans après "La première gorgée de bière", Philippe Delerm renoue avec les textes courts sur les petits riens qui rendent la vie plus belle dans "Les eaux troubles du mojito" (Seuil). Où il est question d'apéros entre amis et d'une certaine mélancolie...

Avez-vous gardé le même regard sensible depuis La première gorgée de bière ?
La gageure, dans ces textes récents, c'était justement d'essayer de garder ça : qu'ils puisse refléter de la façon la plus authentique possible mon regard sur la vie, d'en garder le meilleur. Tout en ressentant la difficulté qu'il peut y avoir éprouver les choses avec la même sensualité, le même plaisir. Car il y a aussi des choses un peu plus graves qui s'y passent, des inquiétudes. Mais ça n'empêche pas de goûter les choses, bien au contraire ! Se sentir menacé, fragile par certains côtés, amène à goûter davantage l'instant présent en faisant appel à tous les sens.

Ecrivez-vous toujours pas volonté de partager ces instants fugitifs ?
Ça me fait plaisir quand les lecteurs me disent que ce sont des choses qu'ils ont ressenties aussi, sans le savoir avant de les avoir vues par écrit. J'essaie de susciter l'empathie, le partage, mais c'est une proposition, tout le monde ne ressent pas les choses comme moi. Quand on est surpris par une averse et qu'on se réfugie devant un magasin, on est secrètement ravi de ce moment où on est trempé mais où on a une complicité avec les autres gens qui s'abritent. Tout le monde a connu ça, on se sent vivant, avec les autres. Ça apparaît aussi dans ce recueil, le fait d'être ensemble.

"Se sentir menacé amène à goûter davatange l'instant présent, en faisant appel à tous les sens."

Vous invitez également à lever le nez, à observer, à rêvasser...
J'ai toujours eu du temps, même pendant ma carrière de prof, que j'ai arrêtée en 2007, pour faire du foot, de l'athlétisme... J'avais une vie très active, mais j'avais toujours du temps pour pour m'arrêter et regarder le paysage. C'est un peu désolant de voir qu'on vit aujourd'hui "en ie", tout le monde porte des écouteurs, le regard vissé sur son portable. Mais on peut attraper le sourire de quelqu'un qui reçoit un texto, c'est un sourire qui semble destiné à l'espace, à tout le monde.

Cette façon positive de voir les choses se teinte aussi de mélancolie...
Oui, d'ailleurs ce recueil se termine par un texte auquel je tiens beaucoup, sur la complicité amoureuse avec quelqu'un avec qui on a traversé toute la vie, et de sentir que le temps qui passe n'apporte aucune assurance ou certitude. Au contraire, plus le temps passe et plus c'est le fragile qui ressort. Ce recueil évolue par rapport à tous ceux que j'ai pu faire avant. J'ai 64 ans, j'ai des beaux-parents qui sont en fin de vie, et en même temps j'ai des petits-enfants. Il y a des textes est là-dessus, sur la maladie d'Alzheimer de ma belle-mère et sur mon petit-fils qui découvre la lecture.

"Pendant vingt ans, j'ai écrit des textes du même genre dont personne ne voulait."

Vous abordez également un terrain plus sensuel ?
Je trouve qu'il y a beaucoup de textes sensuels dans ce recueil. Boire un mojito est un peu une métaphore de la sexualité, cette façon de gagner la fraîcheur par le trouble, de plonger dans le glauque pour trouver la lumière... Croquer un navet cru est aussi un plaisir dérobé.

Vous êtes l'un des très rares à pouvoir publier des nouvelles en pleine rentrée littéraire...
Pendant vingt ans, j'ai écrit des textes du même genre dont personne ne voulait. Ecrire un roman était la seule façon d'espérer être publié. Ce qui est paradoxal, c'est que lorsque j'ai publié ce recueil qui a changé ma vie, La première gorgée de bière, tout d'un coup les gens ont dit que c'était normal, qu'on pouvait le lire dans l'ordre qu'on voulait, qu'on ne croyait plus aux grandes idées alors on se mettait à croire aux petites... C'était presque une recette imparable de succès alors que je m'étais battu pendant plus de vingt ans pour publier ce genre de chose !


Jennifer LESIEUR

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