Thomas B. Reverdy : "Même dans un monde très déshumanisé, on reste toujours humains"

par Jennifer LESIEUR
Publié le 4 septembre 2015 à 10h31
Thomas B. Reverdy : "Même dans un monde très déshumanisé, on reste toujours humains"

RENTREE LITTERAIRE – Son roman "Il était une ville" (Flammarion) figure dans la première sélection du prix Goncourt. Après le Japon des "Evaporés", Thomas B. Reverdy nous emmène à Detroit pour une histoire forte où le courage et l'humanité surgissent des ruines de la faillite économique.

Votre précédent roman, Les évaporés, se situait au Japon. Comment avez-vous atterri à Detroit ?
En 2009, j'ai découvert un beau livre d'Yves Marchand et Romain Meffre, deux photographes français, qui s'appelait Les ruines de Detroit. De cette ville, je ne connaissais que la légende de l'automobile. Là, je découvrais les immeubles décrépis, les maisons qui brûlent, la végétation qui reprend ses droits... Des ruines comme on est habitué à en voir depuis le XVIIIe siècle, sauf que celles-ci étaient les nôtres, avec des usines comme les nôtres, des maisons dont les occupants sont partis en abandonnant tout, comme après une catastrophe naturelle ou une guerre. J'avais l'impression de voir les ruines de notre propre civilisation.

Un décor de fin du monde qui semble inspirer pas mal de créateurs...
Ça s'ajoute à tout un discours de fin du monde, qu'on trouve aussi bien dans la fiction, avec les histoires de zombies, que dans la philosophie, qui s'interroge sur un monde sans hommes. Comment est-il possible, dans un pays industrialisé comme les Etats-Unis, d'avoir une ville qui disparaît ? A Detroit, il y avait aussi beaucoup d'écoles abandonnées, avec les dossiers scolaires des élèves encore dans les casiers. L'absence d'enfants rendait encore plus difficile le fait de penser à l'avenir.

"Comment est-il possible, dans un pays industrialisé comme les Etats-Unis, d'avoir une ville qui disparaît ?"

Avez-vous passé du temps sur place ?
J'ai mis longtemps à organiser mon voyage à Detroit. Il fallait que je trouve des gens qui avaient décidé de continuer à vivre en ville, qui me montreraient les coins que j'avais envie de voir... En plus, je n'ai pas le permis de conduire, et sans voiture, ce n'est pas possible. Finalement, j'y suis allé alors que j'étais déjà assez avancé dans l'écriture. J'ai préféré fantasmer la ville, d'après des photos, ce qui m'a permis de travailler davantage les personnages et les atmosphères. Je suis allé à Detroit en début d'année, comme une espèce de récompense, histoire de voir si mon bouquin était conforme, ce qu'en disait la réalité.

Avez-vous vu Lost River, le film de Ryan Gosling qui se déroule également à Detroit ?
Non, j'ai lu tellement de mauvaises critiques au moment de sa sortie que ça m'a échaudé ! Mais je le verrai quand il sortira en DVD. En revanche, j'ai vu Only lovers left alive de Jim Jarmusch (qui se passe aussi à Detroit, ndlr.)

Votre héros, Eugène, est un ingénieur français chargé de lancer un gros projet automobile. Un projet qui devient lui aussi fantôme...
Eugène est un personnage qui permet d'explorer ce monde des grandes entreprises, où la perte de sens dans le monde du travail se traduit par une perte de sens politique. Ça peut condamner à la faillite de villes comme Detroit, ou de pays comme la Grèce. Il est important que des économistes écrivent des essais là-dessus, mais aussi que les romanciers s'emparent de ces problèmes modernes. On peut se projeter sur des personnages, ça rend tout plus concret. A Detroit, il est plus facile de voir le courage de sa population puisqu'elle a touché le fond.

"Il est important que les romanciers s'emparent des problèmes modernes, on peut se projeter sur des personnages, ça rend tout plus concret."

Et au milieu des décombres surgit l'amour, avec la barmaid Candice, et le courage, avec l'inspecteur Brown...
L'humanité, c'est cet inspecteur qui s'acharne à retrouver un gamin disparu, avec ses bottes pleines d'eau, parce que c'est son job. Parce qu'on ne peut pas s'asseoir et ne rien faire. Ça aussi c'est très actuel : on vit dans un système très déshumanisé, mais dans le fond, on continue d'être humains. J'ai joué avec un genre d'anticipation anglo-saxon, sur une société censée être idéale mais où l'on voit bien qu'elle ne l'est pas... Un personnage tombe amoureux, ça lui ouvre les yeux et il découvre ce qui ne va pas. J'avais envie de travailler sur ce courage, cette espérance. Parce que j'y vis, dans le monde moderne, je me bats tous les jours pour avoir plus envie de sourire que de vomir. Et je voulais que mes personnages aient aussi cette énergie, cette volonté de s'en sortir. C'est la seule dimension morale du roman finalement, de ne pas se contenter de ricaner du désastre.


Jennifer LESIEUR

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