Projet de loi post-état d'urgence : "Tout le contraire de l'état de droit"

Publié le 6 janvier 2016 à 17h08
Projet de loi post-état d'urgence : "Tout le contraire de l'état de droit"

INTERVIEW - Le Monde a dévoilé mardi de nouvelles mesures du projet de loi "contre la criminalité organisée", qui a été transmis par Manuel Valls au Conseil d'Etat. Pour l'avocat Emmanuel Pierrat, membre du conseil national des barreaux, il s'agit d'une prolongation pure et simple de l'état d'urgence, "attentatoire aux libertés individuelles".

Face à la "menace terroriste", le gouvernement veut à nouveau muscler les prérogatives du parquet et de la police. Mardi, une nouvelle mouture de la loi sur la "criminalité organisée" a été transmise pour avis par Manuel Valls au Conseil d'Etat, et pourrait passer en conseil des ministres courant février... au moment où l'état d'urgence, décrété le 13 novembre dernier, arrivera à son terme. 

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Selon Le Monde, qui a en obtenu la copie, les nouvelles mesures du projet de loi visent à renforcer considérablement les pouvoirs du parquet, de la police et des préfets. Au menu : perquisitions de nuit sur ordre du préfet ; fouilles, surveillance téléphonique et vidéo étendues ; ou encore, possibilité de maintenir une personne au poste pendant 4 heures pour un simple contrôle d'identité, sans avocat… Pour Emmanuel Pierrat, avocat et membre du conseil national des barreaux, il s'agit ni plus ni moins qu'une pérennisation masquée de l'état d'urgence. 

En quoi ce projet de loi pose-t-il problème selon vous ?
Jusqu'ici, les prérogatives d'enquête de la police nécessitaient l'autorisation d'un pouvoir indépendant, celui du juge d'instruction. Le principe du texte est de donner ce pouvoir au préfet, ou bien à la police et au procureur, qui sont des fonctionnaires au service d'un ministère. C'est tout le contraire de l'état de droit et du principe de séparation des pouvoirs. En gros, ce projet de loi n'apporte pas grand chose de nouveau, si ce n'est de faciliter des mesures attentatoires aux libertés individuelles. 

Quelles sont les mesures qui vous choquent ?
Ce texte vise une 'éventuelle' menace terroriste. Cela revient à un délit de sale gueule, sans aucun contrôle possible. Par exemple, on pourra assigner quelqu'un à résidence même si l'on n'a aucun élément permettant d'ouvrir une enquête judiciaire. On peut également citer l'assignation à résidence de 8 heures par jour ou encore les perquisitions de nuit sur ordre du préfet, sans passer par le juge. Dans certains cas, un avocat ne pourra intervenir qu'après un an d'enquête. Ce système renverse complètement les principes du droit. 

Ce que vous décrivez, c'est l'état d'urgence permanent…
C'est une prolongation par la loi de l'état d'urgence. Initialement, l'idée de François Hollande était de faire inscrire l'état d'urgence dans la Constitution, au même titre que la déchéance de nationalité. Mais à cause de cette dernière, très contestée, il n'est pas sûr d'obtenir une majorité au Congrès. L'astuce pour contourner cet obstacle constitutionnel est de mettre dans cette nouvelle loi, une par une, les mesures prévues pour l'état d'urgence. C'est jouer avec des allumettes. 

Les politiques sont déchirés sur la déchéance de nationalité, mais ne semblent pas émus par ce texte…
La déchéance de nationalité, ça leur parle. C'est l'histoire du droit du sol contre le droit du sang. Ici, nous sommes dans un débat très technique. Du reste, ils n'ont pas lu ce texte qui a été transmis directement au Conseil d'Etat. A ce propos, ce dernier va probablement tiquer sur certaines mesures qui risquent de ne pas passer le cap de la constitutionnalité et de la jurisprudence européenne. Mais quel que soit l'avis du Conseil d'Etat, le gouvernement pourra passer outre pour aller plus vite.


Vincent MICHELON

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