"Non, le tiers-payant généralisé ne transformera pas les malades en clients"

Publié le 16 octobre 2014 à 18h22
"Non, le tiers-payant généralisé ne transformera pas les malades en clients"

INTERVIEW – Plutôt que de brandir le carnet de chèques à la fin de la consultation chez le médecin, vous pourrez, d'ici 2017, sortir uniquement votre carte vitale. Une mesure qui fait débat, parce qu'elle déresponsabiliserait les patients. Explications avec Philippe Batifoulier, économiste politique.

Un tiers des Français renoncerait à aller chez le médecin faute d'argent. C'est pourquoi la ministre de la Santé souhaite généraliser le tiers-payant. L'objectif : "lutter contre les barrières financières" dans l'accès aux soins. Cette mesure suscite l'ire des médecins libéraux. Selon un sondage OpinionWay d'août 2014, 95% d'entre eux n'y seraient pas favorables. Ils craignent en effet une déresponsabilisation du patient.

Metronews a sollicité Philippe Batifoulier, membre des Économistes atterrés et auteur de l'ouvrage Capital santé – Quand le patient devient client (La Découverte), pour éclaircir la situation.

La non-avance de frais va-t-elle déresponsabiliser les patients ?
Non, la responsabilisation du malade est une fiction. Les gens qui adorent voir le médecin et hantent leurs salles d'attente sont rares. On ne choisit pas d'avoir une angine ou un triple pontage. On ne va pas aller se faire une prothèse de hanche parce que c'est gratuit ! Les besoins de santé sont largement involontaires, il faut le rappeler. Le tiers-payant existe déjà dans les pharmacies et les hôpitaux et ça n'a jamais transformé les patients en consommateurs.

Le tiers-payant généralisé aurait même plutôt l'avantage de faire sortir la France du clientélisme. Le fait que la consultation soit payante fait que les patients en veulent pour leur argent. Si la consommation de médicaments est si élevée en France, c'est parce qu'on ne sort pas du cabinet médical sans son ordonnance. On signe un chèque contre des médicaments.

Le tiers-payant généralisé va-t-il alors améliorer l'accès aux soins ?
Non, c'est une mesurette. Pour les plus pauvres et les bénéficiaires de la CMU-C, le système existe déjà. Et pour le reste des Français, ça ne changera pas grand-chose. Le prix de la Sécurité sociale n'est pas celui payé par le patient. L'Assurance-maladie rembourse mal les soins les plus fréquents, seulement 55% des frais. Le reste, c'est la mutuelle qui le rembourse – ou pas. Peu importe que le tiers-payant soit généralisé, il y aura toujours une avance de frais et donc des soucis de trésorerie.

L'État est en plein paradoxe. Il a renoncé à réguler les tarifs des consultations. Les prix pratiqués par les médecins libéraux lui ont échappé. Si le gouvernement veut arrêter la débâcle, qu'il lutte contre les dépassements d'honoraires et augmente les taux de remboursement. Et outre ces barrières tarifaires, encore faut-il que les gens puissent accéder au médecin. La première barrière au soin, ce sont les déserts médicaux.


La rédaction de TF1info

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