Mission en terre Adélie #24 : Un raid au coeur de l'Antarctique

Michel Izard
Publié le 22 janvier 2017 à 8h28
Mission en terre Adélie #24 : Un raid au coeur de l'Antarctique

CARNET DE ROUTE - Une équipe de scientifiques français est partie il y a deux semaines sur la base française Dumont d’Urville, dans l’Antarctique. Tout au long du mois de janvier, nos reporters Michel Izard et Bertrand Lachat vous feront vivre cette aventure extraordinaire au pôle Sud. Voici la suite de leur périple.

Dans le vent du départ

5 heures : Soleil déjà haut. Vent frais. Jéremy Lasmastres, le boulanger, sort les croissants du four. C’est Dimanche!

Dorian Sagot, 20 ans, le benjamin de la base, achève sa nuit de garde à la centrale. Le système de production d’eau et de chauffage ne doit jamais s’arrêter. Les canalisations gèleraient et ce serait la mouise. Au séjour, Ann-Gaëlle boit un café. Pour son dernier jour après 13 mois sur place, elle a fait le tour du cadran, et s’est à peine couchée, enveloppée d’un châle, comme le soleil.

6 heures : La lumière, jailli d’un nuage, se pose sur la calotte de l’Antarctique. Eclat de blanc plus blanc que blanc dans un ciel qui promet du bleu. Les manchots épars sur les rochers font encore silence. Température extérieure -3°, mais le vent augmente la sensation de froid.

Il a commencé à souffler d’un coup vers minuit. Michel Legrand, qui opère le marégraphe, était inquiet. La bouée sur laquelle il a placé un GPS, matériel à 20 000 euros, commençait à dériver dangereusement. Et c’est là qu’est entré en action un personnage dont je n’ai pas encore parlé et qui vaut le détour. Fred Olivier, une française installée en Australie qui travaille régulièrement pour l’Institut Polaire. Je l’appelle Miss Banquise. Cela ne suffira pas à la résumer. Fred est un peu le couteau suisse de la base, la femme orchestre de DDU : spécialiste de la glace et de ses secrets, docteur en sciences, 15 ans d’expérience en Antarctique, plongeuse sous glace, pilote de bateau, photographe, camerawoman…  Elle explique : "C’est un vent catabatique. Il se forme sur le plateau du continent, de manière subite, la météo ne peut pas toujours le prévoir et il descend vers la côte en prenant de la vitesse."  Dans les bourrasques bruyantes qui frisent les 100 km/h, sur fond de lune qui se lève, un petit groupe s’affaire sur la banquise autour de la bouée en péril.  A 1 heure du matin, grâce à des crochets, des bouts, une ancre et une grande dose de bonne volonté, le précieux matériel est sauvé.

Le rotor en action

7 heures ce matin : Patrice Godon, le chef, la tour de contrôle, attaque l’organisation de la journée. Il y aura 33 personnes à ramener au bateau.

8 heures : Ça souffle toujours sur DDU. 

9 heures : Anouchka Krygelmans, plongeuse sous glace pour le Museum National d’Histoire Naturelle, regarde par la fenêtre la petite baie au pied de la station. Elle est radieuse : "Tu as vu ? Le vent a chassé la glace. On va pouvoir se mettre à l’eau." Le programme REVOLTA d’étude de la faune sous-marine, bloqué jusqu’alors, pourra enfin reprendre. 

10 heures : Les sacs sont apportés sur la passerelle prés de la Drop Zone. Le rotor entre en action. Peu à peu, tout le monde se rassemble. Joël Dolet, le cuisinier, petite larme à l’oeil mouillé mais content d’aller retrouver sa famille

Benjamin Golly, qui a passé un an au laboratoire de glaciologie, s’est mis un peu à l’écart. Il regarde le paysage, vers le glacier qui se jette dans la mer du côté est de la base. Il prend une dernière gorgée de Terre Adélie puis se jette dans les bras de ses copains. Accolades, embrassades et quelques larmes. Sur le toit, Martin brandit des fusées éclairantes comme à l’arrivée d’une grande course au large. Sur la passerelle, les mains s’agitent, les bras se lèvent. L’hélicoptère s’éloigne. Le ciel est bleu. Le ciel est blanc. Le vent nous gifle.

Sur les rochers à côté des bâtiments les manchots Adélie, eux aussi, s’en vont petit à petit. La colonie se vide depuis 8 jours, c’est net. Ils reviendront au printemps prochain dans 6 mois. Ce matin, au pied de la statue de Jules Dumont d’Urville, j’en ai vu 2, facétieux, face à face, lever leur cou droit au ciel et caqueter à pleins poumons en claquant du bec. Le son nous manquera. 

12 heures : Appel à la soupe. La relève a faim. La vie continue à DDU. 


Michel Izard

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