Avec une limite à 62 ans, la France possède-t-elle l'âge de départ à la retraite le plus bas d'Europe ?

par Claire CAMBIER
Publié le 14 janvier 2020 à 22h59

Source : TF1 Info

A LA LOUPE - Le sujet explosif de la réforme des retraites était débattu au Sénat le 7 janvier dernier. A cette occasion, le sénateur LR René-Paul Savary a remis en cause l'âge légal du départ à la retraite, actuellement fixé à 62 ans, assurant que nos voisins européens partaient bien plus tard. LCI est allé vérifier.

L'âge du départ à la retraite est un des points de tension du projet de réforme des retraites. "Il est évident que dans le futur système (...), nous serons obligés de travailler plus longtemps, à partir du moment où il y a de plus en plus de retraités et de moins en moins d'actifs", a notamment souligné la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, sur LCI.

Si le Premier ministre a fait un pas vers les syndicats réformateurs en retirant provisoirement l'âge pivot du texte - initialement fixé à 64 ans, et établi progressivement entre 2022 et 2027 -, un âge d'équilibre est maintenu. Pour bénéficier d'une retraite à taux plein, sans malus, il faudra dorénavant atteindre ce seuil, qui fait aujourd'hui l'objet de discussions avec les partenaires sociaux. Si les actifs continuent de travailler au-delà, ils percevront à l'inverse un bonus. Cet allongement de la durée du travail crée des remous, jusqu'au Sénat.

Avant de présenter les deux projets de loi portant sur la réforme en Conseil des ministres (le 24 janvier) et devant le Parlement (fin février), le secrétaire d’État à la Réforme des retraites, Laurent Pietraszewski a effectué un premier "tour de chauffe" dans la chambre haute la semaine dernière. "Nos inquiétudes sont grandissantes", lui a indiqué le sénateur de la Marne, René-Paul Savary, qui estime que la réforme telle qu'elle est proposée est mal ficelée. "Nulle part en Europe, il n'y a de régime unique. Nulle part, on part avec un âge légal à 62 ans", a-t-il martelé.

Un régime "universel" loin d'être "unique"

Si elle se veut "universelle", la future réforme des retraites qui prend forme ne prévoit pas un régime unique. Et elle n'est pas la seule à le faire en Europe. Elle prend pour "modèle" le régime suédois qui a abandonné dans les années 90 un système par répartition (qui reste d'actualité en France, y compris dans la prochaine réforme), où les retraites étaient indexées sur les 15 meilleurs années (25 en France actuellement dans le privé) à un régime universel dans laquelle une couronne cotisée ouvre les mêmes droits pour chaque citoyen.

En fonction des corps de métier et de la pénibilité, des différences existent bel et bien. Des concessions ont ainsi été accordées aux policiers, militaires, marins, aide-soignants ou encore personnel naviguant, bien qu'ils adopteront, eux aussi, le système à points. 

Un âge légal à 60 ans en Autriche

Concernant l'âge légal, la France ne détient pas le record européen, comme le dévoile un tableau du Cleiss (le Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité social), portant sur les données de juillet 2019. C'est en Europe de l'est que l'on observe les seuils les plus faibles, mais uniquement pour les femmes. Comme c'est le cas dans différents pays européens, l'âge légal n'est pas toujours le même en fonction du genre. 

Il est ainsi de 61 ans pour les femmes en Pologne, les hommes devant attendre 65 ans. Fait peu commun, contrairement à la majorité des pays qui reculent l'âge du départ à la retraite, le gouvernement - aux mains du parti ultra-conservateur PiS (Droit et justice) - l'a récemment abaissé. En octobre 2017, il a tout simplement annulé une réforme de 2012 qui imposait un âge légal pour tous à 67 ans et qui avait été programmée en 2020 pour les hommes et 2040 pour les femmes.

D'autres pays connaissent pour le moment des situations plus favorables à la France, mais des réformes devraient rapidement changer la donne. En Autriche, l'âge légal de départ à la retraite est de 60 ans pour les femmes et 65 ans pour les hommes. Entre 2024 et 2033, l'âge légal des femmes va cependant progressivement augmenter pour atteindre celui des hommes.

En Bulgarie, une réforme est déjà en cours, l'âge augmente progressivement : il est actuellement (2020) de 61 ans et 6 mois pour les femmes et 64 ans et 3 mois pour les hommes. Mais d'ici 2037, hommes et femmes devront attendre d'avoir 65 ans, indique l'institut national de la sécurité sociale bulgare. Il en est de même en République tchèque où les femmes peuvent aujourd'hui partir à la retraite entre 59 ans et 2 mois et 63 ans et 2 mois, en fonction du nombre d'enfants, et les hommes à 63 ans et 6 mois. Ces seuils augmentent là aussi d'année en année, jusqu'à atteindre à terme les 65 ans.

Seule la Suède propose un âge légal de départ à la retraite moindre que la France que ce soit pour les femmes ou les hommes, ses citoyens pouvant ouvrir leurs droits à partir de 61 ans. 

Comme le montre la carte interactive de Toute l'Europe, basée sur les données du réseau européen Missoc, la France n'est pas le pays qui enregistre le plus faible âge légal mais elle reste bien en-deçà de la norme européenne. Résultat d'une série de réformes touchant la plupart des pays, l'âge légal moyen y est bien plus élevé et avoisine plutôt les 65 ans.

Age à taux plein, âge effectif et âge légal

Il est important toutefois de noter que ces âges légaux sont difficilement comparables et équivalent rarement aux départs effectifs. "De fortes variations existent d'un pays à l'autre, en termes de conditions d'éligibilité, de durées de cotisation et d'affiliation, ou de salaires pris en compte pour le calcul, etc.", souligne le Cleiss. 

Prendre sa retraite dès que l'on atteint l'âge légal ne signifie ainsi pas que l'on puisse toucher une retraite à taux plein. En France par exemple, il faut avoir cotisé 172 trimestres soit 43 ans, ou bien attendre 67 ans pour obtenir ce taux plein, si le nombre de trimestres validés n'est pas atteint. L'OCDE estime ainsi qu'une personne ayant débuté sa carrière à l'âge de 22 ans, sans accident de parcours, doit, en 2018, attendre 63,3 ans pour partir à taux plein, et non à 62 ans.

Le gouvernement suédois, qui a fixé un des âges légaux les plus bas d'Europe, a mis en place des incitations à travailler plus longtemps encore plus drastiques. Les pensions de retraite y sont calculées en fonction de l’âge de départ, de l’espérance de vie et des performances économiques du pays. Plus un travailleur part tard, plus sa pension sera conséquente. 

L'OCDE souligne cependant que ces incitations ne fonctionnent pas toujours. L'âge effectif du départ à la retraite est bien souvent inférieur à l'âge légal. Les Français travaillant dans le privé partent à la retraite en moyenne vers 63 ans (62,7 ans en prenant en compte les départs anticipés et 63,4 ans sans, selon la Caisse nationale d'assurance-vieillesse). Mais si l'on prend en compte l'ensemble des Français, cet âge de départ à la retraite chute à 60,8 ans entre 2013 et 2018. Il convient toutefois de noter que la période étudiée est plus large et que les conditions sont aujourd'hui plus strictes. 

Sur cette période, seuls la Belgique, la Grèce, le Luxembourg et la Slovaquie enregistraient, eux aussi, un départ à la retraite en deçà de 62 ans, que ce soit pour les hommes et les femmes. 

Quelques pays font figure d'exception. En Lettonie, les travailleurs partent plus tard, aux alentours de 65 ans, quand l'âge légal est de 63 ans et 6 mois. Il en est de même au Portugal où les hommes partent à 68,5 ans quand l'âge légal, qui est pourtant rehaussé chaque année en fonction de l'espérance de vie, est de 66 ans et 5 mois pour 2019.

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