Fichage d'intérimaires chez Leroy Merlin : jusqu'où l'employeur peut-il (légalement) aller ?

Publié le 10 octobre 2017 à 20h52
Fichage d'intérimaires chez Leroy Merlin : jusqu'où l'employeur peut-il (légalement) aller ?

ÉCLAIRAGE - Après Ikea, la RATP ou France Télévisions, Leroy Merlin suscite à son tour un tollé avec un listing sur lequel se multiplient des commentaires désobligeants visant des employés. Mais que dit vraiment la loi concernant la tenue de ce genre de fichier ? LCI fait le point avec un avocat spécialiste du droit du travail.

C'est une nouvelle affaire de fichage de salariés qui ne passe pas. Leroy Merlin se retrouve au coeur d'une polémique après la découverte d'une série de commentaires peu flatteurs sur des intérimaires de la plate-forme logistique de Valence, dans la Drôme. "Vicieux", "beurk", "branleur", "mou du genou" sont autant de qualificatifs figurant sur le listing "sauvage", trouvé sur intranet par les syndicats.

Le cas de l'enseigne spécialisée dans le bricolage et le jardinage, qui succède notamment à ceux de Conforama en 2011, d'Ikea en 2012, puis de France Télévisions et de la RATP en 2016, interroge une nouvelle fois sur ce que peut se permettre l'employeur. Si la collecte de données sur ses collaborateurs n'est pas illégale en tant que telle, elle n'en demeure pas moins encadrée par la loi, et doit donc répondre à certaines conditions.

"On a le droit de tenir des fichiers, mais ceux-ci deviennent illégaux dès lors qu'on y indique des éléments personnels, comme la race, la religion, l'orientation sexuelle, une éventuelle grossesse", précise d'emblée, Thierry Vallat, avocat spécialiste du droit du Travail au barreau de Paris. En d'autres termes, ces derniers "ne doivent comporter absolument aucun commentaire lié la vie privée des salariés, et se limiter aux aptitutes professionnelles sans aucune appréciation pouvant être considérée comme dégradante." Aussi, comme le prévoit l'article L1222-2 Code du travail, les données qui peuvent être collectées doivent se résumer à l'identité du collaborateur, sa formation, la gestion de sa carrière, l’évaluation professionnelle ou encore la validation des acquis de l'expérience. 

Ce qui s'impose à l'employeur

Si elles sont autorisées, les zones commentaires, "sont néanmoins à utiliser avec la plus grande circonspection", la loi informatique et libertés précisant que les appréciations qui y figurent "doivent être pertinentes, adéquates et non excessives".

"La CNIL est extrêmement vigilante sur le contenu des zones commentaires et, au besoin, sanctionne les comportements abusifs. Les sanctions peuvent aller d’un avertissement public comme elle l’a fait récemment avec un organisme spécialisé dans l’aide aux devoirs, jusqu’à une sanction financière. La CNIL peut également transmettre les éléments dont elle dispose à la justice si elle constate des infractions pénales", rappelle Me Vallat sur son blog personnel. Et de conseiller un "auto-contrôle permettant de n’écrire que ce que l’on est en mesure de présenter et d’assumer."

L'autre condition qui s'impose à l'employeur concerne la publicité la pratique. "Généralement, le salarié ne connaît pas ce droit, mais il peut s'enquérir à tout moment des fiches tenues par l’entreprise et dont il fait l'objet", précise le spécialiste. Et de regretter : "Cela doit normalement être précisé dans le réglement intérieur en expliquant que l'entreprise peut être amenée à ficher et dans quelles conditions. Mais ça n'est bien souvent pas le cas."

Enfin, s'ajoute la question des fichiers informatisés. "Ceux qui comportent des données personnelles, c'est-à-dire permettant d’identifier directement ou indirectement une personne physique, doivent être déclarés à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL)", rappelle Me Vallat.

Que risque l'employeur ?

Lorsque l'une ou plusieurs de ces conditions ne sont pas respectées, le salarié peut bien évidemment se retourner contre son entreprise. "Bien souvent, comme dans le cas de Leroy Merlin, la direction générale se désolidarise en précisant qu'il ne s'agissait que d'une initiative personnelle d'un manager et qu'aucune consigne de fichage du personnel n'a été donnée", constate l'avocat. "Ce qui explique que les plaintes déposées au pénal sont très souvent classées sans suite. Mais cela n’empêche pas d'obtenir un dédommagement aux prud'hommes, qui évaluent le préjudice. Car si on fiche une personne en des termes peu flatteurs, c’est en général à des fins d’évaluation. Cela impacte dans la plupart des cas sa situation professionnelle : pas de promotion, dépression."

Si dans "l'affaire" Leroy Merlin, les victimes de fichage de peuvent pas se retourner contre l'entreprise à cause de leur statut d'intérimaire, la société d'intérim qui les emploie, elle, le peut.  Le syndicat CGT de Leroy Merlin lui, a déjà menacé de porter plainte. "Nous enquêtons pour identifier les responsables de cette regrettable situation et condamnons fermement l'existence de ce document", a réagi la direction de Leroy Merlin, qui insiste sur le caractère "isolé" de cet acte.


La rédaction de TF1info

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