Hellfest, Main square... : mais pourquoi le prix des festivals augmente-t-il autant ?

par Matthieu JUBLIN
Publié le 27 juillet 2017 à 9h50, mis à jour le 27 juillet 2017 à 10h34
Hellfest, Main square... : mais pourquoi le prix des festivals augmente-t-il autant ?
Source : LIONEL URMAN LIONEL/SIPA

INFLATION - Si le succès des festivals est incontestable, le prix des places augmente d'année en année. Confrontés à l'explosion des cachets des artistes, aux exigences de sécurité toujours plus grandes, ainsi qu'à la baisse des subventions publiques, ils comptent de plus en plus sur leur billetterie... et sur les fonds privés.

Avec un ticket d'entrée dépassant les 90 euros pour une journée et un "pass 3 jours" tutoyant les 200 euros, le Hellfest 2017, qui s'est tenu à la mi-juin, est l'un des festivals les plus chers de France. Pourtant, la billetterie a affiché complet en à peine une semaine, plusieurs mois avant que 160.000 amateurs de métal se retrouvent à Clisson, en Loire-Atlantique, pour écouter Deep Purple, Linkin Park ou Aerosmith, les têtes d'affiche du festival. 

Un mois plus tard, c'était au tour de Paris d'accueillir le festival itinérant Lollapalooza. Pour 79 euros la journée et 150 euros les 2 jours, il était possible d'assister aux shows de Lana Del Rey, Red Hot Chili Peppers, The Weeknd et autres stars mondiales. Là aussi, la programmation était impressionnante et le succès au rendez-vous, mais jamais un festival parisien n'a été aussi onéreux.

De tels tarifs n'existaient pas il y a quelques années. Entre 2008 et 2016, le prix moyen des billets de festivals de musique a augmenté de 3% par an, selon une étude du Centre national de la chanson des variétés et du jazz (CNV) portant sur plus de 80 événements. 

Explosion du cachet des artistes

"Ce sont en partie les têtes d'affiche qui font monter le budget", explique François Moreau, chercheur en économie à l'université Paris 13. En 2009, par exemple, le festival des Vieilles Charrues, à Carhaix, a déboursé un million d'euros pour "booker" Bruce Springsteen. Un tarif prohibitif qui ne refroidit plus les programmateurs, car il s'agit d'artistes "capables de drainer 40.000 spectateurs à eux seuls", estime Jean-Paul Roland, le directeur général des Eurockéennes, dans Challenges. Pour Springsteen, ils étaient 43.000, le maximum autorisé. 

"Si les cachets des artistes augmentent, c'est que les artistes tirent de plus en plus leurs revenus de leur spectacle et de moins en moins des disques", analyse François Moreau. "Avant, le concert servait à promouvoir l'artiste et les albums à le rémunérer. Aujourd'hui, c'est l'inverse."

Les consommateurs veulent vivre un moment unique et sont prêts à payer pour ça
François Moreau, professeur d'économie

Les cachets explosent, mais le public en redemande. Pour François Moreau, "le développement du téléchargement puis du streaming, avec Youtube, Spotify ou Deezer, a énormément baissé les dépenses de consommation de musique enregistrée. Mais à côté de cela, les consommateurs sont de plus en plus attirés par le spectacle vivant. Ils veulent vivre un moment unique et sont prêts à payer pour ça."

Dans ce contexte de crise du disque, la gestion des artistes et l'organisation de festivals est souvent assurée par une même entreprise. Et le mastodonte du secteur s'appelle Live Nation. Cette entreprise côtée au Nasdaq pèse plus de 5 milliards de dollars et compte dans son écurie Madonna, Jay-Z, Shakira, U2, Lady Gaga, les Rolling Stones ou encore Joe Cocker.

En France, c'est Live Nation qui a organisé Lollapalooza, mais aussi, entre autres, le Download festival à Brétigny-sur-Orge, I Love Techno à Montpellier, Marsatac à Marseille, des festivals devenus au fil des ans de véritables industries : davantage de stars, davantage de public, mais aussi des billets qui augmentent. Selon les chiffres du CNV, qui portent sur plusieurs dizaines d'événements, la part des dépenses liées aux artistes n'a cessé d'augmenter depuis presque 10 ans.

Multiplication des exigences de sécurité

Il n'y a pas que les cachets des artistes qui augmentent. Les frais liés à la sécurité, à la logistique et à la technique ont, eux, encore plus progressé dans le budget des festivals de musique depuis 2008 : + 7% par an depuis 2008, selon le CNV. Pour rassurer les festivaliers et les autorités, les organisateurs investissent : blocs de béton pour empêcher des véhicules d'entrer sur les sites piétons, effectifs supplémentaires pour les équipes chargées de palper les spectateurs à l'entrée des festivals, etc. 

Le budget sécurité des Vieilles Charrues a ainsi doublé en sept ans, pour atteindre 1,3 millions d'euros, rapporte Le Monde soit un surplus de 2 à 3 euros par spectateur. Selon les chiffres du CNV, les surcoûts liés à la sécurité depuis 2015 se montent à 3,7 millions d'euros pour les 87 festivals étudiés.

Quand vous payez un billet pour l'un de ces festival, les frais liés aux artistes, à la sécurité et à la logistique représentent en moyenne plus de 50% du prix.

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Moins d'aides publiques, plus de sponsors privés

Autre raison qui contribue à l'inflation des prix des billets : le désengagement des collectivités locales. Alors que les budgets des festivals ont augmenté de plus de 5% par an entre 2008 et 2016, le financement public a progressé de moins de 2%. Parallèlement, les recettes propres des festivals ont, augmenté de plus de 6% par an. "Pour beaucoup de festivals, le désengagement des collectivités locales est préjudiciable", explique François Moreau. 

Il n'y a pas que les festivaliers qui compensent ce manque à gagner. Les sponsors privés et le mécenat ont explosé, avec une hausse annuelle moyenne de 9% depuis 2008. Pour les gros événements estampillés Live Nation ou pour le Hellfest, les financements publics ont même complètement disparu, remplacés par des partenariats avec diverses marques de boissons, alcoolisées ou non. Des fonds privés qui permettent de limiter la facture pour les festivaliers, ou de proposer des événements plus gros, plus longs, et avec des stars plus renommées.

Une arrivée des fonds privés qui profite aux plus gros acteurs
François Moreau

"C'est un phénomène identique à ce qui se passe dans le monde du sport", analyse François Moreau. "On observe une concentration des acteurs, et une arrivée des fonds privés qui profite aux plus gros acteurs". Car tous les festivals ne sont pas égaux devant les sponsors privés. "Les investisseurs sont attirés par les gros festivals, mais beaucoup moins par les petits indépendants. La logique du financement public, en revanche, c'est de favoriser l'accès à la culture sur tout le territoire." Sans ces fonds publics, les petits festivals boudés par les investisseurs devront mettre la clé sous la porte, ou augmenter le prix de leurs billets. 


Matthieu JUBLIN

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