Frédérique Vidal annonce la fin du tirage au sort à l'université "en 2018" : et après ?

par Claire CAMBIER
Publié le 17 juillet 2017 à 11h04, mis à jour le 17 juillet 2017 à 11h10

Source : JT 20h WE

EDUCATION - La fin du tirage au sort à l’université ? "C’est mon objectif", affirme Frédérique Vidal. La ministre de l’Enseignement supérieur a réaffirmé, dans une interview accordée à France Inter ce lundi, son intention d’en finir avec ce mode de sélection "dont on ne peut plus se satisfaire" et jugé "le plus injuste qui soit". Cela tombe bien, les différents partenaires, syndicats étudiants et présidents d’université, s’opposent à ce système à l’unisson... mais ne s'accordent pas toujours sur les conditions.

"Personne n’accepte le tirage au sort", souligne Jimmy Losfeld, président du syndicat étudiant FAGE, "c’est une aberration". Même son de cloche à l’UNEF. Sa présidente Lilâ Le Bas voit d’un bon œil l'annonce de la suppression de ce système "complétement aberrant et injuste". Une situation d'autant plus inepte que, à ce jour, 87.000 futurs étudiants se retouvent encore sans orientation pour la rentrée prochaine. La faute au manque d'anticipation des politiques publiques sur la démographie galopante de cette classe de la population, ces quinze dernières années.

La Conférence des Présidents d'Université (CPU) faisait savoir elle aussi dans un communiqué daté du 2 mai sa ferme opposition au tirage au sort. Ce système, entériné par l’ancienne ministre Najat Vallaud-Belkacem, avait été instauré pour faire face au manque de places dans les établissements du supérieur. 169 licences sont aujourd'hui concernées. En tête de ces filières sous pression : la psychologie, Staps (la filière sportive), le droit ou encore la médecine. 

Fin du tirage au sort : ouverture des filières ou sélection "au mérite" ?

La suppression est souhaitée par la ministre de l'Enseignement supérieur pour la rentrée prochaine. "C'est fini en 2018, je m'y suis engagée", a-t-elle répété lundi 17 juillet sur France Inter, évoquant par ailleurs un "gâchis" pour qualifier la plate-forme admission post-bac. En attendant, Frédérique Vidal assure étudier "toutes les pistes, site par site" pour la rentrée prochaine. "Dans certains cas, les capacités sont limitées à cause du manque de locaux et, en deux mois, nous n'allons pas pousser les murs", prévenait-elle au mois de juin sur France Inter. Par contre, quand cela est possible, nous allons donner des moyens supplémentaires aux établissements afin qu'ils dédoublent les amphithéâtres".

Si tous les acteurs du secteur se réjouissent de cette annonce, ils restent vigilants. Pour la FAGE, dont le président "se félicite" de cette prise de position, le tirage au sort est "l'aveu d'échec de notre système éducatif". Mais il ne souhaite pas que la réforme se fasse "à n'importe quel prix". La question qui se pose réside plutôt dans "la mise en place d'un système au mérite", comme le souhaite la conférence des présidents d'université, "ou est-ce qu'on permet à tous les jeunes d'accéder à l'université ?" La FAGE comme l'UNEF optent pour la deuxième solution. Lilâ Le Bas s'oppose ainsi "à toute forme de sélection" et refuse le système des prérequis, qui est "une sélection qui ne dit pas son nom".

Le marché du travail ne va pas intégrer tout le monde
Yannick Vanpoule, directeur de l'UFR STAPS - Lyon

C'est pourtant vers cette voie que souhaitent s'orienter les universités. La CPU privilégie un recours aux  "prérequis affichés et définis par licence". Illustration à l'université Lyon 1, en STAPS (Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives). "Ici le tirage au sort n'a jamais été vraiment effectif. Une partie des étudiants refoulés l'année dernière ont été réorientés vers la faculté de Saint Etienne", nous explique le doyen de l'UFR STAPS. Et "avec le jeu des échecs au bac et des changements d'orientation, tout le monde a été rappelé", poursuit Yannick Vanpoule. 

Reste que, selon lui, il faut "arrêter la logique qui veut que tout le monde viennent à l'université". Et de s'expliquer, chiffres à l'appui : chaque année "10% des étudiants en L1 (première année de licence) ont entre 0 et 3 de moyenne". Au total, "30% des élèves ne dépasseront jamais la Licence 1". Yannick Lepoule sait bien que le terme sélection n'est "ni à la mode, ni le bon terme", mais avec un système de prérequis, il serait plus facile, selon lui, de faire réussir tous les élèves. Ceux qui ne seraient pas admis pourraient être réorientés vers d'autres parcours, "le but n'étant pas de les abandonner", rassure-t-il. Autre souci : si les universités font le choix d'ouvrir grand leurs portes, "le marché du travail, lui, ne va pas intégrer tout le monde".

Une meilleure orientation, un besoin qui fait consensus

Une orientation plus ciblée, c'est aussi ce que souhaitent les syndicats étudiants. Même s'ils s'opposent à un système de prérequis, la FAGE comme l'UNEF espèrent une meilleure orientation dès le lycée "pour mieux répondre aux envies personnelles et aux besoins de la société" estime Jimmy Losfeld. Au ministère comme dans les directions des universités, ce point ne fait pas débat. "Il est essentiel de travailler sur l'orientation", convient Frédérique Vidal. "Cela passe par la diffusion d'une bonne information auprès des lycéens et leurs parents sur ce que sont les filières et leurs contenus. Beaucoup d'élèves veulent faire, par exemple du droit, sans avoir la moindre idée de ce à quoi consiste un cours dans cette filière". Un aiguillage qui devra arriver bien en amont "des trois derniers mois de la Terminale", rappelle le président du FAGE .

Autre solution affichée par les syndicats étudiants: proposer des licences pluridisciplinaires pour faire face aux changements du marché de l'emploi. "La licence en psychologie forme les futurs psychologues mais cela permet aussi d'acquérir une compétence recherchée dans de nombreux autres métiers", explique le président de la FAGE. Une approche transversale, proposant des compétences dans plusieurs domaines, est selon lui la voie à suivre. "L'adéquation entre une formation et les besoins du marché ne fonctionne pas" renchérit Lilâ De Bas. "On est amené à changer de travail tout au long de notre vie, il faut donc diversifier les disciplines."

Attention cependant à ne pas créer "un super bac" alerte Yannick Vanpoule. Etre trop généraliste créerait selon lui un mode de pensée unique et ne permettrait pas de créer des débouchés. Ainsi, il explique que la licence STAPS "est déjà pluridisciplinaire" et souhaite plutôt la mise en place de blocs de compétences qui pourraient être acquis tout au long d'une carrière. 

Quel en sera le coût ?

En attendant la fin du tirage au sort à la rentrée 2018, la ministre de l'Enseignement Supérieur tente de trouver des places pour les actuels refoulés. Elle s'est notamment engagée à trouver une place aux 1000 élèves actuellement sur liste d'attente en Ile-de-France en médecine. Frédérique Vidal promet également "des moyens supplémentaires" pour pallier le manque de capacités d'accueil. L'effort est estimé à 1 milliard d'euros par an sur dix ans.

Différentes pistes sont envisagées : investissement gouvernemental et pourquoi pas, selon la FAGE, une participation du monde économique par le biais d'une taxe paritaire, prélevée sur les salaires. Cette aide est évidemment bienvenue mais ne fera pas tout prévient Yannick Vanpoule. Au-delà de l'argent, dans sa filière "il faut des hommes et des installations sportives". Et il a fait ses comptes, 70 étudiants de plus en L1 à l'université de Lyon, c'est 800 heures de cours supplémentaires à assurer, soit l'équivalent de deux enseignants du second degré et 14 créneaux sur les installations sportives. Impossible actuellement.


Claire CAMBIER

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