Pubs géantes sur les monuments historiques : Paris devient-il une "ville-sandwich" ?

par Sibylle LAURENT
Publié le 15 décembre 2016 à 16h49
Pubs géantes sur les monuments historiques : Paris devient-il une "ville-sandwich" ?
Source : Montage photos twitter

INTRUSIF ? - Depuis 2007, une dérogation au code du patrimoine autorise, en cas de travaux, les publicités géantes sur les monuments historiques. Résultats : les bâches ont tendance à se multiplier, notamment à Paris. Le week-end dernier, un collectif d'associations anti-pub a dénoncé cette invasion. Il demande un meilleur encadrement. Explications.

Des pubs. Géantes, monumentales. Sur des monuments historiques. Le fait n’est pas nouveau à Paris. Mais il a tendance à se multiplier. Dernier exemple en date, la colonne de Juillet, place de la Bastille, qui s’est vu affubler le mois dernier d’une peu discrète publicité pour une marque de vêtements, puis pour un site de streaming musical. Ce week-end, un collectif d’associations est monté au créneau pour dénoncer un telle omniprésence sur ce site symbolique. 

Il y a quelques mois, c’était l’église Saint-Augustin, qui se parait d’une - fort peu discrète, là encore - réclame pour un téléphone dernier cri. 

Pub sur l'Eglise St-Augustin : les imagesSource : Sujet JT LCI
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C’est un fait, ces pubs sont désormais partout, grandeur maximale. Et impossible de passer à côté. Point commun à tous ces monuments historiques, normalement protégés : ils sont en travaux.  Et c’est bien pour cette raison qu’ils peuvent accueillir ces bâches publicitaires XXL. Car normalement, le code de l’environnement interdit strictement depuis 1979 et la loi relative à la publicité, aux enseignes et préenseignes  toute publicité  "sur les immeubles classés ou inscrits au titre des monuments historiques", et à leurs abords. 

Sauf qu’en 2007, le gouvernement Villepin a introduit une petite dérogation au code du patrimoine : des bâches publicitaires sont possibles en cas de travaux sur les monuments historiques. Trois conditions sont posées : que les échafaudages masquent des travaux extérieurs, que les recettes perçues soient affectées au financement des travaux du bâtiment, et que l'affichage publicitaire ne dépasse pas 50 % de la surface de la bâche de chantier. 

Les premières affiches XXL ont  ensuite débarqué à Paris en 2008. C’est Air France qui avait dégainé le premier, avec une bâche géante installée sur le Grand palais. Inratable, depuis la rive gauche et quiconque traversait le pont Alexandre-III . Jusqu’en 2010, l’utilisation de ces "toiles évènementielles" par les sociétés était cependant restée parcimonieuse. Mais, dès 2011, la pub géante commence à s’étaler à Paris : musée d’Orsay, Pont-Neuf, Louvre, Conciergerie ou encore Opéra de Paris… Les annonceurs s’en donnent à cœur joie, au gré des travaux programmés. Et des travaux à Paris, il y en a souvent. 

Aujourd'hui, l’"épidémie" n’est plus que parisienne : Lyon, Marseille, Cannes, les grandes villes de province sont touchées.

Il est vrai que pour un annonceur, c’est diablement tentant : le site de JC Decaux, le géant de la vente d'espaces de publicité en milieu urbain, fourmille ainsi d’un paquet d’annonces pour placer sa publicité XXL "au plus près de flux", sur "des axes à fort trafic", sur ces sites "à visibilité maximale" que sont les monuments historiques. 

"Faites rayonner votre marque en l'associant à des emplacements emblématiques ou chargés d'histoire, tels que les monuments historiques", vend le loueur d’espace.  Au choix, suivant la population visée, vous pouvez donc opter pour la colonne de Juillet place de la Bastille, "lieu incontournable et tendance de la capitale, fréquenté par une population très variée". Colonne chargée, qui plus est, d'une symbolique forte puisque le monument est "dédié à la mémoire de la révolution de 1830, symbole d’union nationale et d’émotion collective", décrit le site de JC Decaux. Pourquoi pas, sinon, l’hôtel Lutetia, "un caractère d’exception, à proximité du quartier Saint-Germain-des-Prés, théâtre privilégié de la vie intellectuelle et culturelle parisienne" ; ou encore, l'église Saint-Eustache, "stratégiquement située dans le Paris branché et ultra-touristique". Intéressé ? Un espace est disponible en janvier prochain. Pour les tarifs, les consulter.

Capture écran JC Decaux

"C’est difficile de tenir le compte précis de ces publicités à Paris, car cela bouge sans cesse", explique Thomas Bourgenot, membre de Résistance à l’agression publicitaire. "Mais en ce moment, il y en a énormément." Les associations décomptent environ 5 000 m2 de bâches publicitaires cumulées sur les monuments parisiens, soit l’équivalent du total des 350 emplacements publicitaires de 8m2 du mobilier urbain. Samedi dernier, ils ont donc demandé à la ministre de la Culture Audrey Azoulay, un plafonnement à 12 m²de ces affichages – qui sont plutôt de 500 m2 actuellement - pour mettre fin à ce "gigantisme publicitaire".  

Ces bâches géantes sont d’autant plus critiquées par les associations  que les annonceurs prennnent, ça et là, des petites libertés avec la réglementation. Certaines sont manifestes : "En 2014, grâce à notre action, nous avons fait retirer une bâche place des Vosges", explique Thomas Bourgenot. "Il y avait des travaux, mais pas en extérieur. Rien n’autorisait donc cette pub. Pourtant, la Drac (Direction régionale des affaires culturelles, rattachée au ministère de la Culture et compétente en la matière) avait renouvelé son autorisation".  Résistance à l’agression publicitaire s'interroge aussi sur d'autres cas, comme l’hôtel Lutetia, en travaux. "Il y a une bâche sur la façade depuis 2014. Pratiquement trois ans pour renouveler un extérieur, ça parait extrêmement long", note Thomas Bourgenot.

Et c’est sans parler, sur ces toiles autorisées, d’effets visuels, bien réfléchis, pour jouer sur le "50% de bâche" autorisé. "A Bastille, la bâche contient par exemple des grandes bandes blanches, de 3 mètres de large, sur lesquelles il est marqué 'cette bâche finance les travaux'". Cela ne fait pas partie de la pub, mais donne quand même une impression de grandeur, rend la réclame plus visible", analyse Thomas. "A Saint-Augustin, la pub est blanche et la bâche blanche : on ne voit plus où commence ni s’arrête la réclame." Coïncidence ? 

Un argument financier en béton

A Paris, la mairie, qui a pourtant son règlement local de publicité, ne peut pas faire grand-chose : cette dérogation du code du patrimoine lui enlève tout pouvoir. C’est la Drac  -et donc indirectement le ministère de la Culture- qui autorise et contrôle ces affiches XXL. Et, dans les faits,  elles sont rarement refusées. Avec un argument massue : l’argent collecté permet donc de financer les travaux, pour des installations qui sont de toute façon éphémères. Dominique Cerclet, conservateur des monuments historiques à la Drac, estimait ainsi dans  Le Monde en 2014 que ces publicités contribuaient "en moyenne à la moitié des travaux de restauration" et qu’elles rapportaient "entre 40.000 et 100.000 euros par mois". Les chiffres fournis par la Drac sont en effet loin d’être anodins : la campagne d’Apple sur le Palais de Justice, en 2014, a rapporté environ 103.000 euros ; les deux années de rénovation de la Conciergerie ont rapporté 2 millions ; la place de la Concorde, aux couleurs de montres en 2014, a fait gagner 3,7 millions d’euros. 

Mais pour les anti-pub, l’argument financier ne tient pas : "Ces sommes restent très faibles dans les apports pour la rénovation des monuments historiques", indiquent-ils, citant la somme "d’à peine 92 millions d'euros entre 2007 et 2014, soit en moyenne entre 10 et 12 millions d'euros par an." Qu’ils comparent, acides, "avec l’évasion fiscale de certains des annonceurs qui s’y affichent !" Quant à l’aspect éphémère du dispositif, Thomas Bourgenot le balaie aussi : "Les travaux sont toujours relativement longs…et le nombre de monuments dans Paris permet un affichage géant permanent pour un annonceur."  Les anti militent donc pour le mécénat, "une alternative crédible au système actuel", qui permet de "ne pas dénaturer nos plus beaux sites urbains". Contactée à plusieurs reprises par LCI, la Drac n'a pas encore répondu à notre sollication.

En mars 2015, une députée écologique, Laurence Abeille, avait tenté de faire sauter cette dérogation sur les monuments historiques dans le cadre d’un projet de loi sur la biodiversité. L’Assemblée nationale avait alors voté la fin des bâches géantes en première lecture, contre l’avis de la commission et du gouvernement. Mais le Sénat l’avait rejeté. Depuis, les publicités continuent à proliférer. 


Sibylle LAURENT

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