Rentrée universitaire : le difficile parcours des étudiants étrangers sans-papiers

par Youen TANGUY
Publié le 10 octobre 2017 à 12h59
Rentrée universitaire : le difficile parcours des étudiants étrangers sans-papiers

ENQUÊTE - Chaque année, plusieurs milliers d'étudiants étrangers sans-papiers s'inscrivent dans les universités françaises. Une situation dénoncée par les associations étudiantes qui réclament leur régularisation systématique. LCI a rencontré plusieurs d'entre eux.

Vendredi, 18h. Ce soir, ils sont une vingtaine à patienter devant la petite salle B904 de l’université Panthéon-Sorbonne à Paris. A l’intérieur, cinq militants de Réseau université sans frontières (RUSF) se disputent deux petits bureaux installés entre quelques étagères brinquebalantes. Sur la fenêtre qui fait face à la porte d'entrée, une affiche autocollante indique en lettres capitales : "ETUDIANT·E·S SANS-PAPIERS. UNE SITUATION INTOLÉRABLE."

Ceux qui attendent à l'extérieur de la salle ont tous un point commun : ils sont en situation irrégulière ou en passe de le devenir. "Est-ce que tout le monde a son dossier ? On a uniquement des étudiants en master ?", demande Emmanuel, un membre de RUSF. Face à lui, la vingtaine de personnes acquiesce. 

Chaque vendredi, l’association tient une permanence destinée aux étudiants étrangers sans titre de séjour. Le but est de renseigner les exilé·e·s sur leurs droits, les conseiller et leur apporter un soutien moral et parfois financier (frais d'inscription, taxe de régularisation, loyer, nourriture...). Car la réalité du terrain est souvent bien différente de ce que ces jeunes étudiants imaginaient.

Depuis les attentats de novembre 2015, les préfectures refusent de régulariser des étudiants en licence
Passy, militant à l'Unef

Lorsque Laora* est arrivée en France avec un simple visa touriste il y a trois ans, elle pensait qu'une carte étudiante lui ouvrirait automatiquement les droits à un titre de séjour. Mais cette Marocaine de 24 ans, cheveux bruns et visage fin, va vite déchanter. "Depuis les attentats de novembre 2015 et la proclamation de l'état d'urgence, les préfectures refusent de régulariser des étudiants en licence", assure Passy, bénévole de l'Unef. Un constat partagé par RUSF qui souligne que seuls les étudiants en master peuvent aujourd'hui espérer obtenir un titre de séjour.

Interrogée par LCI, la préfecture de police de Paris assure que "l’état d’urgence n’interfère pas sur les décisions prises par l’administration en matière de délivrance du titre de séjour étudiant", sans réagir directement sur les différences entre licence et master.

Nous avons reçu des appels d’étudiants ayant subi les pressions de l'administration et qui doivent présenter un titre de séjour au plus vite
Estelle, militante de RUSF

Par crainte de se voir opposer une fin de non-recevoir qui pourrait conduire à la délivrance d'une Obligation de quitter le territoire français (OQTF), Laora ne demandera pas de titre de séjour pendant trois ans. Comme elle, des milliers d'étudiants - sans qu'il soit possible d'en donner un chiffre précis - s'inscrivent chaque année à l'université alors qu'ils se trouvent en situation irrégulière, au risque de se faire contrôler et renvoyer dans leur pays d'origine.

Contacté par LCI, le ministère de l'Enseignement supérieur nous confirme que les universités sont tenues d'inscrire les étudiants internationaux sans vérifier la régularité de leur séjour. Ce que contredit RUSF, selon qui elles sont nombreuses à exercer ce contrôle, citant notamment Paris Descartes, Sciences Po Paris ou Lyon II. "Nous avons reçu des appels d’étudiants ayant subit les pressions de la scolarité [l'administration, ndlr]et qui doivent présenter un titre de séjour au plus vite", nous assure Estelle, militante de l’association.

Tribunal de Roissy : la justice pour les sans-papiers en perte d’égalité ?Source : JT 20h WE

Ca fait trois ans que je vis avec la boule au ventre dès que je croise des policiers
Laora, étudiante sans-papiers

Aujourd'hui, Laora vient d'intégrer un Master 1 en droit et sciences politique à l'université d'Assas et va enfin demander sa régularisation auprès de la préfecture de Paris. "Ça fait trois ans que je vis avec la boule au ventre dès que je croise des policiers, nous confie la jeune femme. Je veux juste pouvoir étudier tranquillement".

La peur, Abdoulaye l'a connue. Après avoir fui la répression politique en Guinée, où il était menacé de mort, il s'est tourné vers la France où il est arrivé en septembre 2016. Excellent élève, il est tout de suite accepté à l'université Paris 1, mais ne fera jamais sa rentrée scolaire. Après un contrôle policier à la gare de Lyon, il sera placé en centre de rétention administrative. Après une forte mobilisation, il est finalement resté dans l'Hexagone. Toujours sans titre de séjour, cet étudiant espère pouvoir sortir de la procédure Dublin, enfin déposer sa demande d'asile et connaître les études et les déplacements sans la peur.

La préfecture n'a aucune obligation légale de renouveller ou d'émettre un titre de séjour étudiant

Si les cas d'étudiants sans-papiers sont nombreux, ils ne sont pas majoritaires, rappelle toutefois Estelle de RUSF. "L’immense partie des étudiants sans-papiers commencent leur études de façon légale et suite à un redoublement ou une réorientation perdent leurs droits".

C’est ce qui s’est passé pour Omar*, arrivé d’Algérie il y a douze ans. Cet étudiant en informatique s'est inscrit à l’université de Lille en 2007 via le service d’accueil des étudiants étrangers Campus France. Mais les soucis financiers s'accumulent et Omar a du mal à joindre les deux bouts. Il restera SDF jusqu'en 2012 et passera ses nuits entre les canapés de ses amis, les banquettes des voitures et même les tables des salles de cours. Pour assurer l'essentiel, il travaille la journée et donne des cours de soutien le soir. Difficile de trouver le temps d'étudier avec tout ça.

"C'est très difficile de poursuivre des études dans ces conditions et certains doivent même les arrêter, car sans logement et sans financement c’est très dur", insiste Passy de l'Unef. A partir du moment où vous êtes sans-papiers, vous n'avez droit à aucune aide (Crous, APL…). Omar redoublera à plusieurs reprises avant de finalement se voir refuser sa demande de renouvellement de visa étudiant en  2012. Des décisions qui se font à l'appréciation de la préfecture, qui n'a aucune obligation légale de renouveler ou d'émettre un titre de séjour étudiant.

En 2016, 260 refus de renouvellement ou d’émission de titre de séjour étudiant ont été notifiés à Paris

Interrogée à ce sujet, la préfecture de police de Paris nous a indiqué que le renouvellement de la carte de séjour étudiante était subordonnée à deux points : le "respect des conditions de délivrance de la carte" et la "justification du caractère réel et sérieux des études entreprises en France" (assiduité, présence aux examens, contrôle de la progression des études…). Et de préciser que les "éléments privés et familiaux" invoqués par l’étudiant et leur lien avec "l’absence constatée de résultat ou de progression" sont pris en compte dans cette décision.

En 2016, 260 refus de renouvellement ou d’émission de titre de séjour étudiant ont été notifiés à Paris, soit "1% du nombre total de titre de séjours étudiants délivrés à Paris", précise la préfecture. Pour revenir au cas d'Omar, il a décidé de poursuivre ses études à Paris. Aujourd'hui en master 2, il a obtenu un nouveau visa étudiant et doit entamer en stage en entreprise en janvier prochain.

Un fonctionnement vivement dénoncé par RUSF qui estime que "la préfecture n’a pas à se substituer à l’université". "Si une faculté a accordé la réorientation, le redoublement ou le transfert d'un étudiant, c'est censé être terminé", abonde un membre de l'association. Et de conclure, un peu dépité : "La préfecture ignore tout l'aspect social en se concentrant uniquement sur le légal".


Youen TANGUY

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