"Sugarbabies", "nouvelles courtisanes" : 5 questions sur la prostitution étudiante en France

par Amandine REBOURG
Publié le 6 octobre 2017 à 8h00, mis à jour le 6 octobre 2017 à 10h28
"Sugarbabies", "nouvelles courtisanes" : 5 questions sur la prostitution étudiante en France
Source : STARZ

SOCIETE - La série de Steven Soderbergh, "The Girlfriend experience", le film "Mes chères études" d'Emmanuelle Bercot ou plus récemment, "Les nouvelles courtisanes", un livre de Nadia Le Brun : à maintes reprises, les cinéastes et écrivains ont tenté de dépeindre le phénomène la prostitution étudiante. Mais que sait-on de la réalité du phénomène en France ?

Septembre 2017, en Belgique. Une remorque publicitaire interpelle les jeunes femmes avec un "Hey, les étudiantes" et clame : "Améliorez votre style de vie, sortez avec un sugardaddy", en renvoyant vers un site de rencontres lancé quelques semaines auparavant. Le site dit vouloir mettre en relation des "sugardaddies" (littéralement "papas gâteaux", des hommes âgés et riches, qui se prétendent beaux et intelligents) avec des "sugarbabies", dont la principale caractéristique semble d'être jeunes, jolies et de préférence étudiantes. 

En France, au printemps 2011, les acteurs de la vie étudiante auditionnés par la Mission parlementaire sur la prostitution étaient unanimes : la prostitution étudiante est une réalité. "Elle existe bel et bien. Il est en outre possible que ce soit dans des proportions non négligeables en valeur absolue. Reste à en mesurer l'importance", peut-on lire. 

S'il est régulièrement évoqué comme une des conséquences de la précarité des étudiants, ce phénomène est pourtant difficile à cerner. Que sait-on de ces jeunes qui ont recours à la prostitution en parallèle de leurs études ?

Un phénomène en augmentation ?

Pour Sandrine Goldschmidt, chargée de communication du mouvement du Nid à Paris, difficile de mesurer la prostitution étudiante. "On a pas de données là-dessus, pas de chiffres précis. La dernière estimation chiffrée que l'on a, c'est qu'en France, il y a 37.000 prostituées." Impossible de savoir combien sont étudiants. "Les études sont partielles et géographiquement ciblées, mais on a tendance à soupçonner que cela augmente", estime toutefois Sandrine Goldschmidt. 

Quel part des étudiants sont concernés ?

En 2012, une étude menée sur les étudiants de l’Université Paul-Valéry Montpellier III par l’Amicale du Nid 34 intitulée  "La prostitution chez les étudiant-e-s : des représentations sociales aux pratiques déclarées", indiquait que 4% des répondant(e)s disaient avoir déjà accepté de l’argent ou autre chose en contrepartie d’un acte sexuel. Et 15,9% des étudiant(e)s déclaraient pouvoir envisager le recours à la prostitution en cas de situation très précaire (parmi lesquels 68% de femmes et 32% d’hommes). 

En 2013,  l'étude, "Précarité étudiante en Essonne et échange d’actes sexuels" menée par le conseil général de l’Essonne indiquait que 2.78% des répondant(es) déclaraient avoir déjà "rendu un service sexuel en échange d’argent, de biens ou de services", tandis que 7,9% avaient déjà envisagé d’y avoir recours. 

Pour la quasi-totalité des personnes qui ont répondu à cette étude, ce sont les difficultés financières chroniques qui ont poussé ces personnes à avoir recours à des pratiques prostitutionnelles. 91% des étudiant(e)s ayant échangé des actes sexuels contre de l’argent, des biens et/ou des services affirment rencontrer des difficultés financières régulières ou passagères, contre seulement 52% des étudiants n’ayant pas eu de telles pratiques.

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Quel rôle joue la précarité ?

Un rapport du Sénat datant de 2013 estimait d'ailleurs que la prostitution étudiante se développait en raison de la précarisation des conditions de vie des jeunes concernés. Une explication donnée par les principales organisations étudiantes sur le sujet. Selon la dernière étude en date sur les conditions de vie des étudiants en France, réalisée par l'Observatoire de la vie étudiante, 46% des étudiants ont une activité rémunérée durant l'année universitaire. Une activité qui permet une amélioration du niveau de vie pour 75% des étudiants qui travaillent. "Sur la difficulté étudiante, il est possible qu'il y ait un lien entre prostitution et précarité avec le mirage de l'idée que l'on gagne de l'argent facilement. L'argent est considéré comme facile et souvent il y a des histoires de violences, de fêlures et de trafic derrière", nous explique Sandrine Goldschmidt.

Eva Clouet, sociologue, a publié un livre il y a quelques années sur La prostitution étudiante à l'heure des nouvelles technologies de communication. Une enquête qui révèle que les rencontres se font souvent sur Internet, et que les motivations des jeunes étudiantes varient. Pour certaines, en situation de précarité, il s'agit de payer les dépenses courantes, quand d'autres motivent leurs actes par une volonté d'échapper à une éducation stricte ou l'envie de pimenter leur vie sexuelle. 

Ce sont très souvent des personnes avec des failles affectives et un sentiment de solitude
Benoit Kermorgant, membre du Nid

Quel rôle jouent les difficultés personnelles ?

La précarité semble donc être une motivation du passage à l'acte mais elle n'est pas la seule. Pour Benoît Kermorgant, membre du Nid, qui préfère parler de prostitution des jeunes entre 18 à 25 ans plutôt que de prostitution étudiante, l'âge moyen d'entrée dans la prostitution se situe entre 14 et 16 ans. Et, comme dans de nombreux cas de prostitution, il y a d'autres facteurs que la situation financière car "tous les étudiants précaires ne se tournent pas vers la prostitution. Les jeunes qui se prostituent justifient cela par la précarité", dit-il. "Être étudiant peut-être un déclencheur car on a besoin d’argent. Cela s’intègre dans la précarité globale des jeunes d'aujourd’hui. Mais ce sont très souvent des personnes avec des failles affectives et un sentiment de solitude", explique ce spécialiste.

"Pour beaucoup, ce sont des personnes abîmées dans l’enfance, victimes de violences familiales, morales, sexuelles. Ce sont des gens fragiles avec un parcours conflictuel marqué avec les parents et souvent, avec une envie féroce d’être autonome. C'est le même mécanisme que les violences conjugales où l'on se dit "j’assume, j’ai voulu partir, j’assume". Cela revient souvent dans la prostitution, cette notion d'autonomie", détaille-t-il. 

En outre, pour beaucoup d'entre elles, la situation n'est que temporaire, mais l'est-elle vraiment ? Mener de front ses études et être prostitué(e) semble toutefois très difficile. "On ne reste pas longtemps dans cette situation. La prostitution prend le pas", explique Benoît Kermorgant. 

Quid de la prévention ?

Des universités françaises ont fait le choix de misier sur la prévention via la distribution de tracts, comme à Strasbourg ou encore en organisant des conférences sur le sujet, à Amiens. Les assistantes sociales sont également sensibilisées à ce problème avec des formations pour repérer ces jeunes concernés. Mais pour Benoît Kermorgant, il y a un problème d'accompagnement des jeunes majeurs. "Dans la prostitution des mineurs, il y a un suivi activé par l’Aide Sociale à l'Enfance et ils ont un accompagnement plus ou moins adapté. Le problème est qu'à leur majorité, ils doivent faire eux-mêmes les démarches. Et comme ce sont des jeunes souvent abîmés par la vie, ils n'ont plus confiance en les institutions", explique-t-il. 

En 2015, l'étude Prostcost estimait que chaque année, en France, la prostitution coûte 1.6 milliards d'euros à la société. La prévention et l'accompagnement des personnes prostituées s'élèvent quant à elle à ... 65 euros par an et par personne prostituée, soit 2.4 millions d'euros. 


Amandine REBOURG

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