Tuerie d’Orlando : l’homophobie et la "frilosité déplacée" des médias

Anaïs Condomines
Publié le 13 juin 2016 à 15h27
Tuerie d’Orlando : l’homophobie et la "frilosité déplacée" des médias

DECRYPTAGE - Alors que la tuerie d’Orlando s'est déroulée dans un club LGBT et dévoile clairement une portée homophobe, la presse - française, tout du moins - a beaucoup de mal à décrire ce crime comme tel. La faute, selon sociologues et associatifs interrogés par metronews, à "une frilosité déplacée".

"Il ne manque pas quelque chose ? (…) cette discothèque, ce club… c’est un club gay." Nicolas Martin, dans sa revue de presse sur France Culture, est le premier à l’avoir remarquée. Cette criante absence, dans tous les gros titres, du mot "homophobe" pour décrire la tuerie qui s’est déroulée ce week-end au Pulse, un club LGBT d’Orlando (Floride, Etats-Unis).

Tous les gros titres, ou presque. Car en France, seul le quotidien local Sud Ouest a barré sa une d’un "massacre homophobe lié à Daech". Ailleurs, on évoque une "nuit d’horreur" (Le Parisien), "la terreur et la haine" (Le Figaro) ou encore "une fusillade dans une boîte de nuit" (L’Express).

Pages intérieures et sous-titres

Pourtant, le caractère homophobe de cette attaque est clairement établi. D’ailleurs, au sein-même des articles, parus depuis dimanche matin, tous décrivent le Pulse comme un lieu emblématique de la communauté LGBT et le tueur, Omar Mateen, comme un homme "violent et homophobe". Mais la qualification de cet acte, reste, systématiquement, relégué aux pages intérieures ou, au mieux, aux sous-titres.

capture d'écran Twitter

Une omission qui, d’ailleurs, vaut aussi pour les réactions officielles de nombreux hommes politiques. Sur Twitter, par exemple, où chacun d’entre eux a publié 140 signes d’indignation, d’émotion et de compassion, rares sont ceux qui ont rappelé que c’est bien la communauté gay qui a été touchée.

"Invisibilisation"

capture d'écran Twitter

Alors, pourquoi cet oubli ? La revue de presse de France Culture a bien une explication. Elle parle "d’invisibilisation". Ce procédé qui consiste à passer sous silence les minorités. "Un peu comme si au lendemain des attaques de Charlie Hebdo, la presse avait évoqué des attentats contre des bureaux, ou après l’hyper Casher, contre un supermarché. Sans préciser la nature de la cible de l’attaque terroriste… " précise encore l’auteur de la chronique radiophonique.

"Utiliser les vrais mots"

La sociologue Natacha Chetcuti-Osorovitz, chercheuse associée à l’université Paris 8 et spécialisée sur le genre et la sexualité, est bien de cet avis. Interrogée par metronews, elle explique : "C’est un grand classique de toujours rendre invisibles les minorités. On l’observe déjà dans la vie courante. Le problème, c’est que ce déni est une manière implicite de cautionner le crime. La presse doit s’engager à donner le sens exact de ce qui s’est passé, c’est-à-dire un crime, qui avait l’intention de viser la communauté LGBT : le dire relève d’un enjeu éthique journalistique !" précise la chercheuse, qui blâme "l’inconscient universaliste français, qui tend gommer les particularités".

De son côté, lui-même journaliste, Charles Roncier l’assure : cet oubli récurrent n’est pas intentionnel. "Personne ne pense que les rédactions sont homophobes, loin de là", détaille ce porte-parole de l’association de journalistes LGBT (AJL). "Pour autant, c’est assez symptomatique de la frilosité mal placée dont elles font preuve. On a même été surpris de voir Le Figaro illustrer sa une avec la photo d’un couple hétérosexuel. C’est dire que même visuellement, on a du mal à représenter l’homosexualité. Mais il est important de dénoncer le caractère homophobe de cet acte. Contrairement à ce qu’on a pu lire, ce n’est pas un hasard si ce lieu a été choisi. Dans le traitement de l’info, il faut utiliser les vrais mots. Ce n’est vraiment pas le cas ici."

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