Luc Abalo : "Ce que j’aime le plus, c'est dessiner"

par Hamza HIZZIR
Publié le 17 octobre 2016 à 0h31, mis à jour le 17 octobre 2016 à 9h11
Luc Abalo : "Ce que j’aime le plus, c'est dessiner"

INTERVIEW - Il n'y a pas que le sport dans la vie de Luc Abalo, loin de là. Le showman du PSG Handball et de l'équipe de France l'a prouvé, sur le plateau de Club 26 ce dimanche sur LCI, en nous réaffirmant son goût pour l'art, pour la guitare, ou pour son atelier où s'entassent plusieurs dizaines de ses toiles. Et où il nous avait raconté cette passion, en détail, lors de l'entretien fleuve qu'il nous avait accordé en 2014, à relire ci-dessous.

Ce n’est pas que cela ne l’intéresse pas. C’est juste qu’il a d’autres centres d’intérêt. Mercredi face à Nîmes en Championnat, puis samedi contre les Slovènes de Velenje en Ligue des champions, le Paris SG Handball jouera deux matches importants. Mais Luc Abalo, l’une des nombreuses stars de l’équipe , n’y pense pas encore. Après un arrêt de huit mois, l'ailier droit des Bleus vient, par exemple, de reprendre ses cours de guitare. Son prof, Cyrille Jacob, le qualifie d’élève "extraordinairement doué" et jure qu’il n’a jamais vu personne apprendre aussi vite. "J’aime le bruit de cet instrument. J’ai eu besoin de savoir comment on produisait ce son", explique l’intéressé à LCI.fr. Voilà tout Luc Abalo. Un sportif de haut niveau particulièrement sensible à l’art, bien au-delà de la musique. La preuve.

Il paraît que c'est grâce à une certaine Fifi que vous avez découvert le dessin et la peinture. Comment est-ce que ça s'est passé ?
Elle m’a seulement remotivé. En fait, j’ai commencé à prendre des cours de dessin quand j’avais 12 ans, aux ateliers municipaux de la mairie d'Ivry-sur-Seine. C’était des cours à des prix abordables (c’est-à-dire presque rien) pour les gens comme moi. Mes parents n’avaient pas forcément l’argent pour me payer des cours de dessin normaux. Mais à 14 ans, je me suis arrêté parce que je faisais du hand. Grâce à Fifi, je me suis remis à dessiner à l'âge de 17 ans. Je lui ai dit que j’aimais ça et il se trouvait qu’elle aussi. On s’est donc découvert une passion commune et je lui ai alors avoué que mon rêve était de faire une école. Elle m’a aussitôt répondu que je pouvais. Mais moi, je n’y croyais pas. Je manquais de confiance en moi. C’est elle qui me l’a donnée.

Qui est-elle au juste ?
C’est une dame qui était bénévole dans le club d’Ivry. Elle s’occupait des licences et des jeunes du centre de formation. Pour nous, c’était comme une maman. On la voyait tous les jours, elle faisait même les déplacements avec nous, préparaient nos sandwiches. Tu sais, dans le hand, on n’a pas beaucoup de moyens, c’était le système D. C’est ainsi que je me suis mis à peindre et dessiner avec Fifi, surtout à la pastelle, qu’elle maîtrisait à la perfection. Du coup, en me faisant réaliser ces œuvres, elle m’a aidé à monter un dossier pour entrer dans cette école, l'Isaa (l’Institut supérieur des arts appliqués, ndlr). Et finalement, ils étaient enchantés de me recevoir parce qu’ils n’avaient pas d’élève comme moi, qui finançait lui-même sa formation. J’ai payé avec mon salaire de joueur d’Ivry. Ma motivation leur a beaucoup plu. J’ai été pris et j’ai fait un an là-bas, en classe préparatoire. Mais c’est aussi cette année-là, en 2006, que j’ai signé à Ciudad Real (grand club de hand madrilène, ndlr) et que j’ai débuté en équipe de France. J’ai donc décidé de ne me consacrer qu’au hand.

D'où vient ce goût pour le dessin ? De l'enfance ?
Ouh ! Je ne sais pas ! Je pense que ce sont des choses qu’on a en nous. Tu sais, il y a des gens qui, sans que ça s’explique, vont être attirés par les mathématiques. Moi, j’ai toujours été attiré par l’image. La photo, la vidéo, la peinture... Quand je regarde un beau film, bien réalisé, ça m’intrigue, je me demande comment certaines scènes ont été éclairées. C’est tout con, hein. Mais j’ai toujours été comme ça, obnubilé par le sport et l’image.

Envisagez-vous de reprendre ces études à la fin de votre carrière ?
Pas des études mais je pourrais reprendre des cours de dessin, oui. Il le faudra parce que la pratique est indispensable. Je m’en rends bien compte quand j’arrête de dessiner pendant un ou deux mois, je perds des choses tout de suite. C’est comme pour le hand ou la guitare. Tout s’entretient, quelle que soit l’activité, à mon avis. J’ai d’ailleurs déjà essayé, l’année dernière, de reprendre des cours de dessin, mais c'était un peu le parcours du combattant. Les endroits sont trop loin de chez moi ou des lieux où on s’entraîne. C’est dommage parce que j’adore être dans cette atmosphère où, dans une salle, des gens sont en train de dessiner. Tu as le prof qui fait le tour, qui te conseille. Dans cet environnement, tu dessines mais tu n’es pas seul. Tu échanges avec les autres élèves. Tu regardes leur travail et tu t’en nourris. Ça te motive et tu apprends. C’est l’échange au sein d’une communauté qui me plaît. Je ne conçois la vie en général que dans le partage. D’où mon attirance pour un sport collectif.

A la fin de votre carrière, vous voyez-vous plutôt dans le milieu de l’art ou celui du sport ?
(il souffle) Sincèrement, c’est mitigé dans mon esprit. Des gens me disent que, n’ayant jamais baigné dans le milieu de l’art, ce serait très difficile pour moi d'y évoluer et d’en vivre. Mais qui ne tente rien n’a rien. Ce qui est sûr, c’est que j’essaierai parce que c’est ce qui me plaît.

Plutôt artiste qu’entraîneur, donc ?
Ah oui ! La question ne se pose même pas.

Ce n’est pas si banal…
Je sais (rires). Après, j'ai conscience que dans le hand, j’aurai des compétences, qu’on ne m’enlèvera pas. Mais je vois ça comme une roue de secours si je n’y arrive pas dans un autre domaine.

"Ce qui intrigue, c’est qu’un sportif s’intéresse à ces choses-là"

À l'époque d'Ivry, vous couriez les expositions…
C’est mon école qui me forçait à m’instruire en allant voir ces expos. Moi, à l’époque, je n’étais d’ailleurs pas très cultivé. Aujourd’hui, j’irais beaucoup plus volontiers mais je n’ai vraiment plus le temps. Pourtant, c’est une source d’inspiration. Ça met un grain de connaissance dans la tête.

Quelles sont vos références aujourd’hui ?
Les mêmes que tout le monde, j’ai l’impression. Le premier artiste que j’ai découvert, c’est Leonardo de Vinci, quand j’étais en 6ème. Je me souviens que ça m’avait beaucoup impressionné parce qu’il faisait de tout. Il créait des pièces de théâtre, il montait ses scènes, il faisait de la peinture, de la médecine… Un vrai génie. Après, j’ai connu Dali, Picasso… Je peux sortir plein de noms. J’admire ces gens parce que je me rends compte de la difficulté de leur travail, de leur engagement et de l’importance qu’ils ont eu pour le mouvement artistique. Les impressionnistes français me fascinaient aussi. Monnet, Manet… La France a une place considérable dans le monde de l’art. En plus, j’ai la chance de vivre à Paris. Toutes ces belles histoires qu’on m’a racontées m’ont passionné, tout simplement.

Est-ce aussi une source de motivation ?
Non, parce qu’on vit à une autre époque. Je ne sais pas si les artistes ont une telle influence aujourd’hui... Ce sont des questions que je ne me pose pas. Tu sais, il faut que tu l’écrives, même si je ne sais pas comment tu vas l’écrire, mais il y a des gens qui, pour justifier leur travail et leur passion, ont l’impression qu’ils doivent connaître tout sur tout. Et moi, ce qui m’intéresse, c’est plutôt de tout essayer. Je préfère la pratique à la théorie. Des fois, je tombe sur des gens, quand tu leur demandes s’ils aiment peindre, ils se sentent obligés de te sortir toutes les références possibles sur l’histoire de l’art. Et, dans ma tête, je me dis : "C’est bien mais qu’est-ce que tu fais, toi ?" Moi, ce que j’aime le plus, c'est dessiner. Ce qui a été fait est important mais je ne serai jamais un puriste.

Est-ce aussi pour l'art que vous avez choisi de revenir à Paris ?
Pas du tout. Il y a de beaux musées à Madrid, hein. J’en ai fait pas mal. Après, c’est sûr que vivre dans une capitale où tu peux trouver des expos, des restos ou des cours, ça te donne envie. Dès que tu cherches quelque chose, tu le trouves à Paris.

Au final, quelle place occupe l'art dans votre vie ? Aussi importante que le hand ?
Non, ça n’a rien à voir. Ce qui intrigue, c’est qu’un sportif s’intéresse à ces choses-là. Mais je ne suis pas un artiste confirmé. Je suis resté au niveau d’un étudiant. Disons que ça occupe tout mon temps libre. Quand je regarde la télé, c’est pour voir un beau film. Je suis sensible aux photos. J’ai plusieurs appareils et j’en ai toujours un sur moi. Mon but, c’est... les belles choses.

Quelles émotions cela procure ?
C’est dur de mettre des mots. C’est la première fois qu’on me pose autant de questions là-dessus (rires). Mais c’est bien d’essayer d’en parler. Moi, j’ai l’impression que j’aime tout. Mais j’ai besoin d’être créatif, surtout chez moi, où je ne peux pas rester les bras croisés. Créer est une nécessité. Il faut que je fasse quelque chose. C’est un peu comme si, après avoir passé toute mon enfance à jouer, il fallait maintenant que je sois productif. Je n’arrive plus tellement à me distraire. Sauf en créant. Quand je finis une oeuvre, je ressens de la satisfaction. Je sais que ces choses me permettront peut-être de vivre plus tard, parce qu’on peut vendre ses toiles ou les exposer, et ainsi procurer de l’émotion aux gens. La finalité, c’est que les gens trouvent ça beau.

À quand une exposition ?
Mes œuvres ne sont pas réfléchies. Il n’y a pas de logique. Je peux peindre juste pour essayer une technique, en partant simplement sur un personnage. Avant d’y penser, il faut que je trouve un sens dans ce que je fais. Je suis encore en train d’apprendre. Ce que je fais peut interpeller mais ce n’est pas abouti. Donc je n’ai pas encore envie d’exposer. Pour l’instant, je peins pour moi. Depuis quelques jours, j’essaie de trouver un chemin. Je suis parti sur des portraits en noir et blanc, après avoir essayé une fois. Le rendu m’a plu alors j’ai commencé une série. Si un jour j’expose (c'est le cas aujourd'hui, voir la vidéo ci-dessus, ndlr), il y aurait alors un sens, une histoire dans le circuit. Les œuvres doivent se répondre, dans un ordre précis. Je fais ça petit à petit. Je n’aime pas m’enflammer.

"Quand je vois Jay-Z en concert, j’aimerais être à sa place"

Ce serait de la peinture, pas de la photo ?
La photo, c’est différent. Je ne me sens pas photographe (il sourit en regardant notre photographe). Moi, je suis handballeur. J’ai commencé la photo par curiosité, j’en prends un peu partout, au feeling. J’ai dans l’idée de progresser, d’être bon. Je ne prends pas de cours mais je discute beaucoup avec des photographes puis je tente des choses. J’ai acheté des bouquins et des magazines aussi, pour apprendre le cadrage, etc. Ce qui m’aide d’ailleurs aussi en peinture. Dès que j’entends parler d’une technique, je note et je l’enregistre dans ma tête.

Avez-vous pris des photos pendant le dernier Euro  ?
Non, parce que c’est quelque chose qu’on pourrait me reprocher. Le coach pourrait me faire une remarque si je passais à côté de ma compèt’. Je suis acteur, pas spectateur. J’en ai fait quelques-unes mais je les garde pour moi. Je ne veux pas qu’en les voyant, les gens pensent que je les ai vendues, donc que j’ai utilisé l’équipe de France pour ça.

Est-ce que vos grands succès dans le handball vous ont permis de rencontrer, voire de nouer des liens d'amitiés avec des artistes admirés ?
Le hand m’a permis de croiser Youssoupha, Mokobé, Claudia Tagbo, Thomas Ngijol, Fabrice Eboué... Et encore, là je ne cite que ceux dont j’apprécie le travail. C’est toujours enrichissant d’échanger avec eux, mais comme avec tout le monde en fait. Tu rentres dans leur monde et réciproquement. C’est sympa. Et puis, on peut toujours apprendre. Quand j’aurai arrêté le hand et que j’aurai plus de temps, j’apprendrai encore beaucoup plus de choses. Je ne suis pas pressé, je sais que je regretterai quand ce sera terminé mais, de toute façon, c’est mon corps qui décidera.

Il paraît que vous aimez aussi beaucoup la BD…
C’est vrai, mais je ne m’intéresse pas aux histoires. Par exemple, j’ai tous les albums d’Enki Bilal mais je ne les lis pas. Je dissèque les dessins, chaque trait, la technique, comment il a superposé et associé les couleurs, mais je ne termine jamais les livres (rires). J’ai d'ailleurs suivi une formation pour devenir dessinateur de BD mais je n’ai pas accroché. Justement parce que la démarche de trouver une histoire ne m’intéressait pas.

Et le cinéma ?
Il y a beaucoup de cinéastes que j’aime bien... Sauf que je ne retiens même pas leur nom (rires). Bon, si, il y a Tarantino, qui est un peu chtarbé. En regardant ses films, je me demande souvent : "Mais pourquoi il a filmé ça comme ça ? Pour attirer mon attention ou pour la beauté de l’image ?" Moi, je crois que c’est pour attirer l’attention (rires). Mais au final, il a réussi son coup. Tu retiens. C’est comme de la publicité. Des fois, j’y suis très attentif dans le métro. Je me demande pourquoi ça m’interpelle. L’image, encore et toujours…

L’écriture vous intéresse aussi ?
Ah, j’aurais adoré... adorer écrire (rires). J’ai l’impression que j’aime plein de choses mais que je ne peux pas tout faire (rires). Après, mettre sur papier ce que j’ai dans la tête, ça ne me vient pas aussi naturellement que le dessin. Je pense que j’écrirai plus tard, quand je serai plus mature. Là, je n’ai que 29 ans. J'apprends encore à mettre des mots. Les goûts ne changent pas mais les envies, oui. Par exemple, quand j’étais plus jeune, je n’écoutais pas de rock. Pas parce que je n’aimais pas mais parce que je ne connaissais pas. C’est un ancien coéquipier qui m’a initié. Un Norvégien, Alexander Buchmann, avec qui j’ai joué à Ivry. Il m’a emmené à beaucoup de concerts.

Ça fait quelques années maintenant que vous prenez des cours de guitare électrique…
Oui, j’aime le bruit de cet instrument. C’est ce qui m’a donné envie d’en faire, en écoutant du rock. J’ai eu besoin de savoir comment on produisait ce son. C’était une nécessité. Mais ce n’était pas pour devenir compositeur. Je me dis que c’est une activité sympa mais je n’ai ni le temps, ni vraiment l’envie. Quand je vois Jay-Z en concert, j’aimerais être à sa place, mais comme tout le monde en fait. J’aimerais aussi être un grand peintre, une rock star, un surfeur, avoir la vie de Zlatan ou celle de Brad Pitt, et plein d'autres choses. Mais j’aimerais avoir ma vie aussi (sourire). C'est pour ça que je l’entretiens. Bon, je ne cite que des métiers en rapport avec l’art. Je ne dis pas que j’aimerais être ingénieur ou astronaute. Ce qui m’attire, c’est de faire kiffer les gens.

Est-ce que le sport, c’est de l’art ?
(il réfléchit) Non, mais ça procure aussi des émotions.


Hamza HIZZIR

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