ENQUÊTE - Alors que la 4e saison de la série "Black Mirror" est d'ores et déjà attendue comme le messie, nous avons voulu savoir pourquoi cette série, racontant les dérives de notre époque, nous fascinait autant...
Bienvenue dans la série Black Mirror qui raconte sur le mode du cauchemar l'aliénation des vous-et-moi devant des écrans (Smartphone, tablette, ordinateur...) et les images qu'elles renvoient. D'abord diffusée sur Channel 4 de 2011 à 2014, la série a rapidement connu un succès international. En Grande-Bretagne, le premier épisode intitulé L'hymne national a attiré 2,01 millions de téléspectateurs. En France, en mai 2014, 350 000 téléspectateurs ont découvert le pilote de Black Mirror en seconde partie de soirée sur France 4.
Et c'est la troisième saison, produite par Netflix en 2016, qui a considérablement marqué les esprits de par sa qualité artistique, multi-visionnée sur la plateforme de téléchargement.
Que faire lorsque l'on n'a vu aucun épisode ?
Pas de souci ! Pour chaque saison (la première, la deuxième, la troisième et bientôt la quatrième), il s'agit du même fonctionnement. Comme le souligne le créateur Charlie Brooker, "chaque épisode a un casting, un décor et une réalité différente, mais ils traitent de la façon dont nous vivons maintenant et de la façon dont nous pourrions vivre dans dix minutes si nous commettions une erreur". Ainsi, les épisodes se suivent mais ne se ressemblent pas. On peut suivre n'importe quel épisode au moment où on veut.
Quand la fiction rejoint dangereusement la réalité
Alors, envie d'essayer la série Black Mirror ? Si oui, la meilleure façon de s’y initier, c’est tout simplement de découvrir le premier épisode de la première saison : L'Hymne national. Qui donne le la. Et quel la ! On y voit le Premier ministre du Royaume-Uni confronté à un (choquant) dilemme lorsque la princesse, membre bien-aimé de la famille royale britannique, est kidnappée : la jeune fille ne s’en sortira indemne que si le Premier ministre a des rapports sexuels avec un porc (!) et que leur relation passe en direct et sans trucages, avant 16 h, sur tous les médias nationaux (!!).
Un épisode d'autant plus extraordinaire lorsque la fiction semble rattraper le réel, comme dans cette biographie interdite de David Cameron écrite par le milliardaire Lord Ashcroft, ancien vice-président du Parti conservateur, avançant qu'étudiant, le Premier ministre David Cameron se serait livré à un rite sexuel impliquant... un cochon mort. L'affaire avait alors rapidement enflammé les réseaux sociaux avec l'apparition du hashtag #Piggate (ou scandale du cochon).
Shit. Turns out Black Mirror is a documentary series. — Charlie Brooker (@charltonbrooker) 20 septembre 2015
Peu de temps après la polémique, Charlie Brooker, le créateur de la série avait même été obligé de se justifier sur Twitter : "pour clarifier tout cela: nope, je n'avais jamais entendu quoi que ce soit à propos de Cameron et d'un cochon quand j'ai imaginé cette histoire. C'est un peu dérangeant."
Just to clear it up: nope, I’d never heard anything about Cameron and a pig when coming up with that story. So this weirds me out. — Charlie Brooker (@charltonbrooker) 20 septembre 2015
Effroyable, oui, mais vrai : si la réalité dépasse ce que le créateur Charlie Brooker a conçu comme un signal d’alarme, c’est qu’il est sûrement déjà trop tard.
Des spectateurs à la fois horrifiés et fascinés par ces dérives
Mélange de farce, de paranoïa et d'effroi que l'on regarde les yeux en spirale, la série Black Mirror, si elle dérange, n'en séduit pas moins les spectateurs en quête de productions offensives. Et ils sont nombreux.
En tant que série qui pose un regard sur les écrans, "Black Mirror" explique que le meilleur écran que l’on ait à notre disposition reste notre œil
Matthieu Rostac, journaliste au magazine "So Film"
Pour Matthieu Rostac, du magazine "So Film", il y a un plaisir manifeste à se faire du bien en se faisant du mal : “Mon petit (ou gros) plaisir de Black Mirror, c’est ce malaise post-épisode dont tu n’arrives pas à te débarrasser (...) A mon sens, l’épisode qui représente le plus cette sensation, c’est The Entire History of You."
Pour le journaliste, cet épisode "montre cette spécificité qu’on aimerait tous avoir : enregistrer tous ses souvenirs minute après minute pour ensuite pouvoir les réviser, en bien (analyser un entretien de travail) ou en mal (savoir si l’on est trompé par sa compagne). Ne plus être trahi par des souvenirs possiblement altérés et une mauvaise foi certaine. Et puis, en tant que série qui pose un regard sur les écrans, Black Mirror explique que le meilleur écran que l’on ait à notre disposition reste notre œil."
Le créateur de Black Mirror est le premier des hypocrites revendiqués d’une époque pour laquelle l’hypocrisie est devenue la pire affliction, en média ou en politique.
François Cau, journaliste au magazine "Vice"
Selon François Cau, journaliste à "Vice", Black Mirror fonctionne avant tout grâce à la personnalité de son créateur, Charlie Brooker : "C'est un observateur de la vie médiatico-politique depuis maintenant une bonne dizaine d’années, comme éditorialiste cynique puis comme créateur. Il entretient une énorme et significative différence avec les éditorialistes à la française : il ne se place jamais au-dessus de ce qu’il décrit. Il vomit la télé-réalité mais il passe son temps à la regarder."
Attention citizens: it is unpatriotic to question the wisdom or competence of the ongoing clown infestation that calls itself a government. https://t.co/XkyTIRmnG3 — Charlie Brooker (@charltonbrooker) 23 juin 2017
François Cau insiste sur un paradoxe, permettant de comprendre sa réussite et son impact : "la série Black Mirror met sans cesse en garde contre les excès du tout technologique à outrance mais son créateur de Charlie Brooker est le premier à s’acheter le nouvel ustensile connecté. Il dénonce régulièrement les réseaux sociaux sur les réseaux sociaux. Bref, Charlie Brooker est le premier des hypocrites revendiqués d’une époque pour laquelle l’hypocrisie est devenue la pire affliction, en média ou en politique."
Il poursuit : "Comme créateur, il a du flair, il a réussi à prédire des avancées technologiques ou à anticiper des enjeux moraux parfois plusieurs années avant leur occurrence. Et dans le même temps, il rit de ne pas avoir plus prévu Trump et le Brexit que tous ses "ennemis" des médias."
This isn't an episode. This isn't marketing. This is reality. — Black Mirror (@blackmirror) 9 novembre 2016
"Ceci n'est pas un épisode. Ce n'est pas du marketing. C'est la réalité", avait publié le compte officiel de la série au lendemain de l'élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis.
Avant la fin de l’année, les aficionados de Black Mirror pourront savourer la quatrième saison, contenant six épisodes réalisés entre autres par les réalisateurs John Hilcoat, Colm McCarthy et, last but not least, Jodie Foster.
En bons masos accros que nous sommes, on a évidemment hâte de découvrir leurs cauchemars préfigurant notre futur à l'imparfait.