Pourquoi les chiffres de l'épidémie en Chine sont-ils remis en question ? 

Publié le 29 mars 2020 à 22h50, mis à jour le 30 mars 2020 à 12h38

Source : TF1 Info

BILAN - Officiellement, la Chine dénombre 3.295 décès dus au Covid-19 depuis le début de l'épidémie. Or, plusieurs médecins remettent en cause ce bilan, qu'ils estiment trop bas, tandis que des soignants de Wuhan alertent sur le fait que des cas ne sont pas pris en compte par les autorités.

"Probablement que l'ampleur de l'épidémie a été minimisée." Dimanche 29 mars sur LCI, Karine Lacombe, infectiologue à l'hôpital Saint-Antoine de Paris et chargée de communiquer ponctuellement sur l'épidémie aux côtés du gouvernement, a émis des doutes au sujet de la véracité du bilan fourni par les autorités chinoises. 

Des doutes aussi bien sur la date à laquelle l'épidémie est réellement survenue dans le pays que sur le nombre de morts et de cas déclarés : "Nous pensons que l'épidémie a commencé beaucoup plus tôt en Chine, probablement dès septembre. Ils ont aussi probablement caché la vraie mortalité parce que 3 000 morts, quand on voit ce qui se passe en Italie ou en Espagne, on a du mal à le croire. Probablement que les données de description des personnes atteintes du coronavirus ont été biaisées." Le problème, c'est que la Chine ne fournit pas les données brutes de surveillance de l'épidémie mais seulement des agrégats de données", selon l'infectiologue.

Les données brutes sont les informations liées à l'épidémie et à son évolution, dont disposent les agences de santé de chaque pays avant qu'elles ne soient traitées et rendues publiques, sous forme de communiqués. Comme le relate La Libre Belgique, celles-ci "représentent un intérêt majeur pour la compréhension de l’évolution et de la transmission du virus et sont utilisées tant par les scientifiques que par les journalistes". Dans le détail, elles reprennent le nombre de cas détectés, la distribution géographique, le nombre de malades hospitalisés, ou encore le nombre de tests réalisés. 

Karine Lacombe sur l'estimation des malades par la Chine :"Probablement que l'ampleur de l'épidémie a été minimisée"Source : TF1 Info

3000 morts en Chine, 10.000 en Italie

Selon les derniers chiffres tombés dans la soirée, samedi 28 mars, le Covid-19 aurait causé la mort de 3295 personnes en Chine continentale et infecté plus de 81 000 personnes. Dans le même temps, le pays semble se relever de cette période de crise, longue de deux mois : à Wuhan, la levée de la quarantaine a été annoncée pour le 8 avril, tandis que le nombre de nouveaux cas est resté extrêmement faible ces dernières semaines dans la province du Hubei.

En comparaison, en Europe, devenu l'épicentre de la pandémie, l'Italie a dépassé la barre des 10.000 décès et déplore plus de 92.000 cas déclarés tandis que l'Espagne dénombre 6528 morts et environ 80.000 cas. Mondialement, ce sont les Etats-Unis qui battent tous les records en nombre de cas, avec plus de 116 000 personnes détectées positives sur le territoire, à la même date du samedi 28 mars. Alors, comment expliquer rationnellement que la Chine, pays de plus de 1,3 milliard d'habitants et foyer de l'épidémie due au coronavirus, s'en sorte mieux que des pays européens, touchés depuis un mois seulement ? 

Une opacité chinoise critiquée

Karine Lacombe n'est pas la seule parmi le corps médical à considérer les chiffres de Pékin avec prudence. "Il y avait une mortalité annoncée par les Chinois qui, a mon avis, a été certainement sous-estimée. On a beaucoup de mal à croire qu'un pays, même avec des mesures de confinement, ait si peu de morts", a avancé Patrick Berche, ancien directeur de l'institut Pasteur, au micro d'Europe 1. Et certains politiques se mettent aussi à douter du bilan officiel, comme au Royaume-Uni où le ministre Michael Gove a dénoncé sur la BBC l'opacité chinoise "sur l'ampleur, la nature et l'infectiosité" du virus. Si une petite musique de suspicion commence à monter doucement, remettant en cause les chiffres de Pékin, difficile pourtant d'apporter les preuves de ces doutes alors que le pays est encore largement verrouillé. 

Pourtant, des éléments font vaciller le discours officiel. Comme des images, publiées par le média chinois Caixin et relayées par l'agence de presse Bloomberg, d'une longue file d'attente devant un salon funéraire du quartier de Hankow, à Wuhan, formée par des habitants venus récupérer les cendres des défunts. Ou encore celles de l'arrivée d'urnes en importante quantité, notamment une divulguée par Caixin et montrant 3 500 urnes empilées au sol, soit déjà bien plus que le nombre total de défunts du coronavirus reconnu par le pays. Comme le relate le Time, environ 2 500 urnes ont été reçues dans un autre salon de la ville mercredi 25 et jeudi 26 mars. Rien ne dit toutefois que ces urnes sont destinées à des personnes atteintes du virus et ayant déjà succombé. A Wuhan, berceau de l'épidémie, 2.535 personnes sont mortes du Covid-19, affirment les autorités.

Le nombre de cas minimisé ?

Mais c'est aussi le nombre de cas déclarés par Pékin qui interroge. Au pire de l'épidémie à la mi-février, plus de 50 000 cas de virus actifs avaient été officiellement déclarés à travers la Chine continentale, provoquant la mise en quarantaine de la province du Hubei. Jeudi 26 mars, moins de 3.947 cas ont été enregistrés dans le pays. Or, sans accès aux fameuses données brutes de la Chine, comment savoir si le recensement est exhaustif ? 

Auprès du Financial Times, des médecins de Wuhan expliquent qu'en réalité, la situation est bien pire qu'indiquée par les autorités et que des patients pourtant diagnostiqués positifs ne seraient pas pris en compte dans le bilan officiel. C'est le cas, disent-ils, des personnes asymptomatiques mais aussi d'autres malades infectés par le virus, afin que le décompte journalier reste proche de zéro, comme depuis quelques jours. De son côté, la Commission nationale de la santé a toujours assumé de ne pas les inclure dans les chiffres officiels. Pas de quoi rassurer les experts locaux, qui s'inquiètent du fait que ces patients sont tout aussi contagieux que les autres malades. 

"Les médecins que je connais me disent tous que l'hôpital et la Commission de la santé mettent tout en oeuvre pour contrôler le nouveau nombre de cas", confie une infirmière de Wuhan au quotidien. Un chercheur, basé à Pékin et souhaitant garder l'anonymat, affirme également que "la Chine compte les cas asymptomatiques mais ne les rend pas publics". De son côté, la Commission nationale de la santé assume le fait de ne pas inclure les cas asymptomatiques dans les chiffres officiels mais les experts locaux s'inquiètent du danger de ne pas les comptabiliser, puisque ces patients sont tout aussi contagieux que les autres malades. 


Caroline QUEVRAIN

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