Procès des attentats du 13-Novembre : "La volonté de tuer est manifeste, il n'y avait pas d'ambiguïté"

Publié le 16 septembre 2021 à 21h24

Source : JT 13h Semaine

JUSTICE – Trois enquêteurs de la brigade criminelle sont venus ce jeudi déposer devant la cour d'assises spéciale au procès des attentats du 13 novembre. Photos et vidéos à l'appui, ils ont décrit, non sans émotion, les scènes de crime auxquelles ils ont été confrontées ce soir-là.

"Le pouvoir vulnérant de l'engin explosif", "la volonté manifeste de tuer", "la violence inouïe". Ce jeudi, au procès des attentats du 13 novembre 2015, trois enquêteurs de la brigade criminelle se sont succédé à la barre pour décrire les scènes de crimes sur lesquelles ils se sont déplacés dans la soirée, il y a six ans. 

S'appuyant sur des vidéos extraites des caméras de vidéosurveillance (sans son, donc) et des photos projetées sur grand écran dans salle d'audience, ces policiers, en costume-cravate et dont l'un a plus de 25 ans de métier, ont détaillé non sans émotion  ces "scènes de guerre" maculées de sang et couvertes par des cavaliers jaunes désignant l'emplacement des indices.

Des cadavres en morceaux, des vêtements déchiquetés.

Le premier à se présenter, un certain Xavier, enquêteur en 2015 de la section antiterroriste de la brigade criminelle, est revenu sur les constatations faites au Stade de France après que les terroristes Ahmad Al Mohammad, Mohammad Almahmod et Bilal Hadfi ont déclenché successivement leur ceinture explosive à 21h16 porte D, 21h20 porte H, et 21h53 porte B. Quatre personnes sont décédées sur place : les trois terroristes et Manuel Dias, 63 ans, qui sera la première victime des attentats du 13-Novembre. 

L'enquêteur décrit les trois lieux des explosions  près du stade qui rassemblait ce soir-là 80.000 spectateurs à l'occasion d'un match amical opposant la France à l'Allemagne. " Contre la grille du stade porte D nous allons découvrir un os, une main, des morceaux d'os, une partie de corps qui pourrait s'apparenter à un bras et des morceaux de chair humaine sur les tables", continue-t-il, évoquant tour à tour les cadavres et les vêtements déchiquetés des trois premiers intervenants du commando. 

Habillés aux couleurs du Bayern de Munich, les kamikazes voulaient-ils pénétrer ce soir-là dans l'enceinte du stade pour y faire un carnage, sans doute. Ils n'y sont pas parvenus. Ces explosions auraient pu faire bien plus de victimes. Les projections après le déclenchement des ceintures ont été jusqu'à une cinquantaine de mètres. En plus de Manuel Dias, ont été dénombrés au Stade de France "143 blessés", rappelle l'enquêteur. 

"Enchevêtrement de corps"

Succède à cet enquêteur un collègue anonymisé répondant à l'identité admirative de BC099 et dont le groupe a été envoyé sur la SDC1, "scène de crime numéro 1" à Paris intra-muros, à savoir rue Bichat et rue Alibert où se trouvent les restaurants Le petit Cambodge et Le Carillon. "Tous les enquêteurs de notre groupe sont des enquêteurs expérimentés qui avaient vu beaucoup de scènes de crimes. Les premiers instants, c'était de la sidération en voyant ces enchevêtrements de corps et ce qui était autour : les taches de sang, les compresses et tout le matériel médical laissé pour soigner ces personnes", insiste le témoin en introduction. 

Les enquêteurs ont dû alors "mettre de côté leurs émotions" pour procéder aux tristes constatations. "C'était une scène de guerre tout simplement". "Il y avait 13 morts, des personnes en urgence absolue ... Nous avons dû faire du tri". L'enquêteur énumère, encore bouleversé par la scène, le nom des treize victimes découvertes sous des draps blancs. "Au total, pendant les constatations, nous avons saisi 121 douilles percutées sur cette scène de crime. 203 éléments de munitions sur l'ensemble de la scène. 121 douilles, ça correspond à 4 chargeurs de Kalachnikov", informe BC099. Ils visaient avec leur salve parfois une personne. Une victime présentait 36 orifices, 36 plaies par arme à feu". L'attaque a duré 2 minutes et 31 secondes.

"Nous sommes dans une volonté d'immense et grande violence. Comment qualifiez-vous les faits ?",  questionne Me Reinhart, avocat d'une centaine de parties civiles. "Je ne vais pas vous donner de mots pour qualifier les choses. ll ne m'appartient pas de le faire. Nous avons 36 orifices par balles sur 1 victime, 22 sur 1 autre, 14 sur une troisième. Je vous laisse vous-même qualifier les faits", répond, ému, le policier à la barre. Il ajoutera: "Vider plus de 121 cartouches en l'espace de 2mn30 en tirant parfois 14 projectiles dans une seule victime, on peut dire que la volonté d'assassiner est caractérisée". 

56 secondes, 168 munitions, cinq morts

Le dernier témoin venu déposer est "chef de groupe à la brigade criminelle de Paris". "BC037" s'est rendu lui avec ses équipes sur la "scène de crime numéro 4" à savoir La bonne bière, Le restaurant casa Notra. En arrivant, il découvre "cinq personnes décédées, huit personnes en urgence absolue et onze en urgence relative". L'attaque a duré 56 secondes et 168 éléments de munition ont été retrouvés sur site. "Les personnes décédées sont restées sur place. Les blessés ont été évacués", précise-t-il, la voix tremblante, avant de présenter deux vidéos glaçantes des attaques. Les parties civiles souhaitant quitter la salle sont invitées à le faire, comme pour les précédentes vidéos montrées dans la salle. "Je suis désolé pour les familles", déclare l'enquêteur, ajoutant qu'il y avait une utilité à montrer les images au procès.

Dans un silence de plomb, les vidéos sont projetées sur grand écran. Sur les images, des coups de feu, des personnes qui tombent au sol, d'autres qui courent, certaines qui cherchent des refuges... Glaçant. "Vous pouvez voir la violence et l'intensité de cette scène", commente l'enquêteur BC037.

Puis quelques-unes des "470" photos prises ce soir-là par les policiers sont présentées. "Ici, les corps des quatre victimes au sol, qui ont été rassemblées", murmure l'enquêteur, troublé. Puis il poursuit : "Les impacts de balles sont à hauteur des personnes assises ou au sol. La volonté de tuer est manifeste, il n'y avait pas d'ambiguïté". 

"Tout le monde dans la salle a ressenti votre émotion, vous avez 25 ans de bagage, pourtant. Y a-t-il quelque chose de particulier qui suscite chez vous toute cette émotion ?", questionne Me Reinhart, avocat de la partie civile. "Dans les affaires sur lesquelles je suis chargé d'enquêter, on a peu de victimes innocentes, de personnes qui sont là en train de passer le vendredi soir en terrasse à boire un verre avec des amis.  Habituellement, il y a des connexions entre auteurs et victime. Là, tout un chacun aurait pu se trouver à cet endroit-là", conclut BC037 avant de quitter la salle. 

L'audience doit reprendre vendredi à 12h30, avec les constatations faites au Bataclan. 


Aurélie SARROT

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