"Je suis plus forte que ça" : le combat permanent d'Agnès rescapée de violences conjugales

par Amandine REBOURG
Publié le 23 novembre 2019 à 9h44, mis à jour le 23 novembre 2019 à 10h08
"Je suis plus forte que ça" : le combat permanent d'Agnès rescapée de violences conjugales

TÉMOIGNAGE - Agnès a vécu l'enfer. Un enfer bien connu des femmes battues. Celui des coups, des viols, des menaces, de l'insécurité constante. Aujourd'hui, en ce jour de manifestations contre les violences faites aux femmes, elle veut parler "pour aider les femmes, même si ça me coûte de raconter une fois encore tout ça".

Agnès* est une jeune femme comme les autres. Employée, maman... mais aujourd'hui, c'est comme rescapée qu'elle s'exprime. Une rescapée des coups de son ancien compagnon. Lorsqu'elle rencontre son "monstre", comme elle l'appelle, c'est sa gentillesse qui lui a plu, tout de suite. Il la traitait comme une "princesse" et elle n'avait "pas connu ça avant". "Ça m'a plu", dit-elle. Il s'installe chez elle, rapidement, au bout de quelques semaines de relation. 

Si rapidement et de façon si intrusive, qu'elle lui demande de rentrer chez lui, un matin. Le début du cauchemar. "Il a pété les plombs. Il m'a serré les poignets très fort. Il n'y avait plus rien dans son regard. J'ai essayé de me débattre, j'ai retiré mes mains, je l'ai giflé et je suis partie. Il m'a récupéré en bas des escaliers de chez moi et m'a serré les poignets une fois encore. Je voulais partir de chez moi mais lui ne l'entendait pas comme ça et il m'a massacrée", raconte-t-elle.

"Ses coups étaient si violents que je me suis évanouie"

"Il m'a frappée sur le crâne, sur le corps, m'a jetée par terre. Je n'avais plus la force de marcher, alors j'ai rampé jusqu'à la porte. Il s'est assis sur moi et a tenté de m'étouffer. Je n'avais plus d'air, je sentais que je partais et j'ai pensé à mes enfants, j'ai eu une montée d'adrénaline ou l'instinct de survie... j'ai réussi à me faufiler comme une anguille, à partir de chez moi et je me suis réfugiée quelque part. Il est ensuite parti de chez moi, en voiture. Je suis alors rentrée, je me suis nettoyée, et je suis allée travailler", poursuit-elle. Son calvaire aurait pu s'arrêter là mais l'homme l'attend. Il rôde là, en bas de son travail, lui envoie des messages lui signifiant sa présence, photos à l'appui. 

Un jour, elle quitte son travail en voiture pour aller récupérer ses enfants à l'école, il se jette sur son véhicule. "Il m'a frappée une nouvelle fois. Ses coups étaient si violents que je me suis évanouie", dit-elle. Lorsqu'elle reprend ses esprits, sous la menace, elle prend sa voiture : "Sur le trajet, il m'a cogné la tête sur le volant et a volé l'enveloppe dans laquelle se trouvait l'argent de mon loyer. Je me suis évanouie une seconde fois, alors que je conduisais. Alors il a arrêté. Il voulait que je l'embrasse, que je lui dise que je l'aime. Il me disait qu'il m'aimait. Cela a duré jusqu'à 16h. Il est parti".

Elle rentre alors chez elle, tente de camoufler ses blessures, file récupérer ses enfants à l'école sans leur raconter ce qu'il s'était passé et trouve refuge chez une amie. "Le lendemain, je les ai emmenés à l'école, comme si de rien n'était et je suis rentrée chez moi. Il fallait que je dorme. En me réveillant, je l'ai découvert là, chez moi, il me regardait dormir. Il m'a fait comprendre que je lui appartenais et qu'il était hors de question qu'on se sépare. C'est là que le cauchemar a réellement commencé", dit-elle.

Séquestrée durant presque une semaine chez elle, avec ses enfants

Malgré les sévices, il faut cacher la vérité aux enfants et les préserver. Alors en allant les chercher, elle veut "aussi tenter d'alerter quelqu'un" mais contusionnée de toutes parts, elle peine à marcher et est devancée par le "monstre" à la sortie de l'école. "Il avait pris mes enfants et nous a séquestrés durant presque une semaine, chez nous. Les journées ne paraissaient pas très longues mais les nuits étaient horribles. Je me réveillais, il était en train de m'étrangler ou de me violer. Ça arrivait cinq à six fois dans la nuit. J'étais morte de l'intérieur", dit-elle. Un coup de téléphone de quelques minutes lui permettra d'alerter une amie qui prévient à son tour les gendarmes. 

Ces derniers se rendent alors à son domicile et effectuent les premières constatations. Questions, photos des blessures et des contusions... Agnès a peur que son "monstre" ne la surprenne en compagnie des militaires. Alors, lorsqu'elle le voit revenir, elle leur intime de partir. Ils refusent : "Un gendarme m'a dit que si je n'allais pas porter plainte, ils allaient me retirer mes enfants pour mise en danger alors je les ai mis à l'abri et je suis allée à la caserne. Là-bas, ils m'ont demandé de porter plainte mais j'ai refusé. Pendant que j'étais à la gendarmerie, il continuait de m'appeler". Agnès finit par porter plainte mais uniquement pour des faits de violences. "Les gendarmes m'ont emmenée faire les constatations médicales, il y en avait pour trois pages. J'ai passé la nuit avec mes enfants en sécurité et je suis partie, comme me l'avaient conseillé les gendarmes. J'ai tout laissé derrière moi : mes amis, mon emploi..."

Elle fuit et trouve refuge chez une amie, dans un autre département et entame des démarches auprès d'associations d'aide aux victimes. Par sécurité, ses enfants sont mis à l'abri "là où personne ne pourrait les retrouver". Il lui faut alors trouver un toit, d'hôtels en lieu d'hébergements, gérer la rentrée scolaire des enfants, pour enfin s'installer dans un logement pérenne. Un parcours de combattante au cours duquel une personne en particulier, l'a épaulée : Madame G. "C'est elle qui m'a redonné goût à la vie, elle qui m'a aidé à trouver un nouveau logement sans que mon nom n'apparaisse sur le bail, par sécurité. Elle m'a sauvé la vie, c'est un ange", dit-elle, empreinte d'une reconnaissance quasi-éternelle. 

Incarcéré, il continue de la menacer

Pendant le temps de la mise à l'abri, son ex-compagnon reste introuvable. Résidant non loin d'un pays frontalier, il fait l'objet d'un mandat d'arrêt européen. La cavale, au cours de laquelle il continue de la harceler au téléphone, jusqu'à trois cents appels par heure, dure deux mois. Puis, plus rien. L'homme est arrêté, placé en garde à vue. Quelques jours plus tard, l'affaire passe en comparution immédiate. Il est condamné à une peine de deux ans dont 18 mois ferme.

Pendant son incarcération, il réussit à se procurer un téléphone, et le harcèlement et les menaces reprennent. "Il savait exactement où j'étais, ce que je faisais." Un jour, Agnès reçoit un SMS. Son agresseur lui souhaite une bonne soirée, en mentionnant la ville où elle se trouvait. "Je n'ai jamais su comment il avait réussi à savoir tout cela. J'ai alerté la gendarmerie et déposé plainte pour harcèlement", raconte Agnès. Pendant un temps, les messages de menaces vont et viennent, depuis un compte sur un réseau social, qu'il s'est créé alors même qu'il est incarcéré. "Il m'a dit qu'il voulait tuer mes amis, mes enfants, que j'étais une femme morte. Il m'a dit qu'il allait sortir de prison et me retrouver". L'homme écope de quatre mois ferme supplémentaires et fait appel. Depuis, il est sorti. Sans avoir effectué ses quatre mois ferme. Agnès ne sait même pas où il habite.

Sa sortie de prison, elle l'a apprise récemment, alors qu'elle tente de se reconstruire, dans une ville à des centaines de kilomètres du lieu de son calvaire, "pour être plus sereine", dit-elle. "Ça m'a mis un coup de savoir qu'il était sorti de prison. Je suis restée enfermée quelques temps chez moi mais je me dis que je suis plus forte que ça. Il a eu le dessus sur moi parce que je fais 40 cm et 30kg de moins que lui, parce que je suis une femme", analyse-t-elle. Désormais locataire d'un appartement dont le bail ne mentionne pas son nom, elle a préféré ne pas faire les démarches nécessaires auprès de la CAF, de la sécurité sociale, de peur d'être retrouvée. "Il a réussi à me retrouver depuis la prison, je sais qu'il pourrait le faire une fois encore. Il n'y a pas de protection pour les personnes dans mon cas", dit-elle. 

"Il faut comprendre qu'on est pas seule"

Toujours secouée par son traumatisme, Agnès n'a pas retrouvé d'emploi. "J'ai encore peur, je regarde toujours derrière moi. Je suis suivie par des psychologues pour évacuer tout ça, pour retrouver le sommeil. J'ai recommencé à prendre ma vie en main, j'ai retrouvé une vie sociale. Je me suis fait de nouveaux amis", dit-elle. Mais son histoire, elle ne la raconte pas. Les enseignants et le directeur de l'école de ses enfants sont au courant, "dans les grandes lignes". Pour les petits, la scolarité est classique, en apparence : les forces de l'ordre surveillent l'école, ils ne font pas de sortie scolaire, leurs visages sont floutés quand il y a des photos de groupe. Des rondes sont effectuées devant chez elle régulièrement. Cela suffit-elle à la sécuriser ? "Je ne me sens pas en sécurité mais je sais que j'ai de quoi me retourner au besoin et que des gens ne me laisseront pas tomber", dit-elle. Forcément, elle pense tour à tour à Madame G. "qui m'a sauvé la vie", répète-t-elle. Ou encore Madame P., qui "a tout mis en œuvre pour [la] protéger et [l]'aider. Elle a été d'un soutien indéfectible". Et les gendarmes, qui lui avaient glissé leurs numéros de téléphone, au besoin.

 "Certes, les moyens des associations sont limités, mais ils existent dans toutes les régions et il faut le savoir. On peut être hébergées, cachées, on peut être à l'abri durant un certain temps, au moins le temps que les monstres soient mis à l'écart de nos vies. Il faut comprendre qu'on est pas toute seule. Il faut que les femmes sachent qu'elles ont de quoi se retourner si elles doivent partir, même sans un centime en poche. Pôle emploi nous permet de démissionner en touchant nos allocations, si on doit partir pour des faits de violences conjugales, il faut le savoir." 

"Je m'en suis rendue compte en partant, j'ai trouvé des personnes qui m'ont aidée à me reconstruire, qui m'ont aidé à me battre", reconnait la jeune femme. Agnès a enfin "retrouvé une vie sociale". "Je me suis fait de nouveaux amis, ça veut dire que la vie continue et je suis persuadée que tous les hommes ne sont pas des monstres", avance-t-elle avant de reconnaître malgré tout : "j'essaye de passer à autre chose mais c'est compliqué". 

 

* Le prénom a été modifié


Amandine REBOURG

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