"Plus une personne doute de son couple, plus elle va l’afficher sur les réseaux sociaux" : la grande illusion de l'amour 2.0

Publié le 19 novembre 2018 à 16h28
"Plus une personne doute de son couple, plus elle va l’afficher sur les réseaux sociaux" : la grande illusion de l'amour 2.0

LEURRE 2.0 - "Qu'est-ce qui pourrait sauver l'amour ?" chantait Balavoine dans les années 80. Certainement pas les réseaux sociaux où étaler sa vie de couple ne rime pas forcément avec preuve d’amour. Loin de là.

"Plus une personne doute de son couple, plus elle va l’afficher sur les réseaux sociaux", concluait en 2014 une enquête publiée dans le Personality and Social Psychology Bulletin, révélant l'impact que nos réseaux-trop-sociaux peuvent avoir sur l'amour à l’ère du règne de l'image. Un phénomène qui ne cesse depuis d'aller crescendo, alimenté quotidiennement par le flot de photos idylliques et de messages débordant de tendresse postés sur Facebook ou Instagram. 

Pour Alexis de Maud’huy, auteur de "Se protéger des addictions aux écrans" (Jouvence éditions), on construit sur les réseaux sociaux sa "propre télé-réalité". Un règne des apparences amoureuses dont le thérapeute fait remonter le point de bascule à Facebook, qui a permis à chaque individu connecté de publier le statut de sa vie amoureuse ("en couple", "c'est compliqué"...) auprès de gens le connaissant à peine. 

Glamour à mort du couple

Ces dernières années, Instagram  ("le site le plus préjudiciable pour la santé mentale" selon le thérapeute) a carrément amplifié cette tendance à l'exhibition de sa vie et de son couple, en donnant l’impression que certains vivent une vie de rêve : "La question de toutes les photos faites en couple dans le cadre des voyages pendant les vacances se pose, souligne au passage Alexis de Maud’huy. En les publiant sur Instagram, on devient le directeur artistique de sa propre vie. Et en voulant être le directeur artistique de son couple, on ne vit plus son couple, on met en scène ce que l'on vit." 

La poésie telle qu’elle est insidieusement proclamée par Instagram serait donc un leurre ? "Ce sont des photos totalement standardisées où l’on va reprendre les photos déjà vues ailleurs. Ce qui compte au final, quand vous publiez une photo de votre couple, c’est le nombre de 'like'. Ce n’est même plus la thématique de la photo qui importe, mais sa popularité." Une course qui n'est pas sans danger, pointe Alexis de Maud’huy en prenant l'exemple des nombreux burn-out de stars comme celui de Selena Gomez : "Les problèmes de santé émotionnelle des gens liés aux réseaux sociaux reposent sur cette idée de compétition." 

Les réseaux sociaux doivent rester un moyen de se connaître et d’approfondir la relation. Dès lors qu’ils ne servent qu’à renforcer l’égo de l’un ou de l’autre, la relation est mise en péril.
Rémy Oudghiri, sociologue, spécialiste des pratiques de consommation et des tendances émergentes

Les photos de couple posent bien la question du couple, jusque dans le consentement de l'autre à apparaître sur ces photos publiées. Mais quand on met la photo d’un autre, n'est-ce pas au fond pour nourrir son propre narcissisme ? "C’est surtout pour nourrir son insécurité. On croit nourrir ce narcissisme, mais au fond c’est le contraire, on construit la blessure narcissique", nous répond Alexis de Maud’huy, qui relève par ailleurs que ces photos risquent de perdurer après une rupture : "Le conjoint devient instrumentalisé et on lui fait prendre des risques." Egalement sollicité par LCI, le sociologue Rémy Oughiri estime de son côté que "les réseaux sociaux ont deux effets : ils peuvent rapprocher les deux partenaires en leur permettant de partager leurs passions, leurs hobbies, et créer une proximité affective, mais ils peuvent aussi ébranler la relation en instillant le doute, en suscitant la jalousie."

Instagramaniac

Alors, que faire lorsqu'on réalise à quel point on est devenu accro aux like ? "La question qu'il faut d'abord se poser est "est-ce que c’est un compte privé ou un compte public ?", assure Alexis de Maud’huy. Il y a une vraie différence entre What’s app (groupe intime) et Instagram (groupe public). Si votre compte est ouvert à tous, alors votre photo peut être retravaillée, peut même finir en "meme". Et une fois que c’est parti, c’est parti." 

La survie d’un couple demande du temps long alors que la logique des réseaux est celle du temps court
Rémy Oudghiri, sociologue, spécialiste des pratiques de consommation et des tendances émergentes

Surtout, "une forte exhibition peut créer une bulle artificielle qui ne correspond plus à la réalité", selon Rémy Oudghiri : "L’essentiel est d’équilibrer l’affichage sur les réseaux sociaux avec une proximité dans la vie quotidienne, de rester maître de sa gestion des réseaux sociaux et de ne pas se laisser happer par la quête du buzz qui finit par rendre dépendant. Les réseaux sociaux doivent rester un moyen de se connaître et d’approfondir la relation. Dès lors qu’ils ne servent qu’à renforcer l'ego de l’un ou de l’autre, la relation est mise en péril." 

Ainsi, le risque est grand de voir se creuser un fossé entre les deux partenaires, chacun évoluant dans une vie parallèle qui n’a plus rien à voir avec la vie réelle : "Un paradoxe notable que montrent les études est que plus on interagit sur les réseaux sociaux, et moins on est capable d’empathie et de disponibilité pour l’autre, poursuit Rémy Oudghiri. La vie en réseau et la vie de couple entrent en collision directe. Enfin, la survie d’un couple demande du temps long alors que la logique des réseaux est celle du temps court. Bref, comme le disait le sociologue Zygmunt Bauman, on est entré dans l’ère de 'l’amour liquide', c’est-à-dire un amour qui ne s’inscrit pas dans la durée, qui est mouvant, inconstant." Et les réseaux sociaux de jouer un rôle réel dans cette configuration...


Romain LE VERN

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