Qu'est-ce que la "sapiosexualité" ?

Publié le 27 septembre 2019 à 16h30

Source : Sujet JT LCI

OBSÉDÉS DU Q.I. - Explorée depuis peu par les médias après des déclarations du DJ Mark Ronson et de Marlène Schiappa, la "sapiosexualité" consiste à être sexuellement ou sentimentalement attiré par des personnes intelligentes, instruites, charismatiques. Le sexologue Patrick Papazian nous éclaire sur ce phénomène.

Pour les sapiosexuels, l'intelligence rend sexy. Et une personne plastiquement somptueuse peut devenir un véritable repoussoir si elle est incapable de construire une phrase en français avec sujet, verbe et complément. Ainsi, dans notre monde virtuel d'images clinquantes, les adeptes de la sapiosexualité revendiquent le droit d'être attirés par ce qui se trame au-delà des apparences, de considérer l'intellect comme un aphrodisiaque et les discussions philosophiques comme des préliminaires. 

C'est le cas de Marlène Schiappa qui, dans une interview parue le 6 août dernier dans Le JDD, au détour d'une question sur l'héroïne de son roman flashant sur Alain Juppé, avouait être, comme elle, attirée par l'intelligence. Un terme récemment revenu au cours d'une interview du célèbre DJ britannique Mark Ronson dans l'émission "Good Morning Britain", ce dernier ayant été hâtivement assimilé à cette mouvance avant de s'en détacher. La sapiosexualité est d'ailleurs désormais un objet d'étude. En 2018, des chercheurs de l’Université de Western Australie ont tenté de déterminer un profil type chez les sapiosexuels. Après s'être intéressés à 383 étudiants âgés de 18 à 35 ans, ils ont évalué qu'environ 8% de la population mondiale pourrait être sapiosexuelle, dont une majorité de femmes. 

Plus souvent une phase qu'une sexualité affirmée

Qu'est-ce qui peut inciter un homme ou une femme à se déclarer "sapiosexuel(le)" ? Pour le sexologue Patrick Papazian, contacté par LCI, "être sapiosexuel constitue l’ultime transgression dans un monde dominé par l’image de la réalité et non la réalité, le jugement et non la pensée, l’obsolescence et non la patine (que l’intelligence peut donner ou révéler aux humains)." Ce qui semble presque étonnant, c’est qu’un mot existe pour qualifier cette attirance : "Avant, chacun disait 'je rêve d’un homme ou d’une femme beau, intelligent, romantique...' ; le fait que le sapiosexuel se fasse connaître, se revendique même, témoigne du recul de l’intelligence dans le classement des attributs attendus !"

Si nous ne sommes pas qu’un corps, nous ne sommes pas non plus seulement un esprit.
Patrick Papazian, sexologue

Reste qu'il y a une ambiguïté dans le fait de se qualifier "sapiosexuel" selon le sexologue : "Généralement, les personnes sapiosexuelles revendiquent un désintérêt pour les qualités poussées par la pression sociale, la beauté, la plastique, l’argent. Pour elles, seul l’esprit compterait, mais ce sont souvent les mêmes personnes qui choisissent des partenaires répondant aux canons de l’époque", constate-il. Du coup, "se revendiquer sapiosexuel présente le double avantage d’affirmer sa rébellion ('je ne suis pas avec lui seulement parce qu’il est beau...') et de témoigner son intelligence en creux ('si je suis capable de repérer les personnes intellectuellement séduisantes, je dois l’être aussi'). Bref, le sapiosexuel souffre souvent d’un complexe d’infériorité d’intelligence et trouve ici un moyen détourné de se 'renarcissiser', à ses propres yeux et aux yeux des autres. Parmi mes patients, certains affirment cette sapiosexualité mais une discussion avec eux met généralement à jour des failles dans cette construction. Tout simplement parce que si nous ne sommes pas qu’un corps, nous ne sommes pas non plus seulement un esprit." 

Pour le sexologue, il s'agit davantage d'une phase que d'une sexualité affirmée : "Dans mon expérience, il s’agit souvent d’un 'passage', ce n’est pas le même phénomène que les asexuels ou les pansexuels qui revendiquent pleinement leur sexualité. Parfois, certains patients cachent derrière leur statut sapiosexuel un trouble du désir : leur libido est en berne et ils pensent donc que le corps ne frétillant plus, l’esprit va les sauver. Un peu de travail en sexothérapie leur permet de rétablir l’équilibre."


Romain LE VERN

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