Le fétichisme sexuel, c'est le pied ou un objet de souffrance ?

Publié le 23 octobre 2018 à 7h00
Le fétichisme sexuel, c'est le pied ou un objet de souffrance ?

SEXUALITÉ - Le fétichisme, c'est la propension d’une personne à se passionner pour une partie du corps ou un accessoire d’habillement. Sujet de bon nombre de clichés, est-il forcément source de souffrance ou peut-il se vivre de façon épanouie ? Un sexologue nous répond.

Accusé de viols et d'agressions sexuelles en réunion par deux anciennes employées, l'ex-secrétaire d'Etat Georges Tron a été moqué il y a quelques années pour sa fascination fétichiste pour les pieds des femmes (lui parlait de "passion" pour la réflexologie plantaire), qui lui a valu d'être assimilé par certains à un pervers sexuel. Une analyse psychiatrique, réalisée dans le cadre de l'instruction, a révélé que l'homme politique, à nouveau jugé à partir de cette semaine, ne l’était pas, mais la manière dont on a confondu "fétichisme sexuel" avec "perversité" dans cette affaire n’en reste pas moins révélatrice de préjugés sur ceux qui pratiquent cet art. 

De manière générale, le fétichisme sexuel touche davantage les hommes qui ont, selon le sexologue Patrick Papazian, "une conception de la sexualité plus visuelle". Les femmes fétichistes, elles, vont davantage être excitées par un scénario, une situation, une progression, la dimension temporelle de la sexualité ("Des heures des heures de voltige", comme le chantait Alain Bashung dans son chef-d'œuvre Madame Rêve). Pour faire court, les hommes fétichisent "les talons hauts des femmes" ; les femmes, "les mains ou les yeux d’un homme". 

Le sexologue tempère toutefois le constat auprès de LCI, assurant voir de plus en plus de femmes ayant "des tendances fétichistes sur les dessous masculins, ou sur une partie du corps masculin". Il pointe, parmi les préjugés tenaces, le faux amalgame avec le sadomasochisme ("tout ce qui semble un peu différent du rapport sexuel classique, normé, est mis dans le fourre-tout des anomalies sexuelles"). En dépit des accessoires utilisés (liens, fouets, instruments de punition etc...) ou des matières souvent présentes (cuir, latex...), rien à voir donc avec le rituel "panpan-cucul".

Il ne faut jamais hiérarchiser les sexualités, c’est une pente dangereuse, encore moins penser qu’il existe des sexualités qui font forcément souffrir.
Patrick Papazian, sexologue

La première question est de savoir comment on devient fétichiste sexuel. Est-ce lié à la première émotion érotique ? "Les fixations fétichistes sur un objet, ou une partie du corps par exemple, se font souvent dans l’enfance et l’adolescence, répond Patrick Papazian. Par exemple, tel émoi sexuel particulièrement fort peut être associé à un vêtement, à une vision fugace qui cristallise l’excitation... et que l’on cherche à retrouver via cet objet." 

Rien de figé pour autant, les fétichismes peuvent aussi apparaître plus tardivement, dans une vie sexuelle déjà installée : "Développer une passion pour les dessous par exemple, focaliser son excitation dessus pour renouveler un désir un peu défaillant dans le couple, c’est un fétichisme intéressant pour maintenir ou renouveler la flamme." Preuve qu’il existe des fétichismes utiles.

Internet, paradis des fétichistes sexuels

Les fétichismes sexuels sont-ils les mêmes depuis la nuit des temps ou de nouveaux, liés notamment au numérique, ont-ils émergé ? "On a les fétichismes de son temps : actuellement, la facilité de prendre en photo des parties du corps et à les envoyer sur snapchat ou par SMS, ou sur les applications de rencontre, libère beaucoup de pulsions, relève notre sexologue. Mais le média ne fait que révéler ces 'pulsions partielles', comme les nommait Freud. À une époque, les hommes étaient fétichistes des chevilles des femmes car c’était la partie qu’ils pouvaient parfois entrapercevoir sous un vêtement, et leurs premiers émois étaient liés à cet aspect de l’anatomie."

La bonne nouvelle pour les adeptes du fétichisme, c’est qu’Internet et ses médias sociaux ont permis à toutes sortes d'entre eux de se rencontrer et de vivre leurs envies, de se retrouver, au moins virtuellement : "Quand vous étiez dans un petit village avec un fétichisme particulier, vous vous sentiez seul au monde. Grâce à Internet, les communautés fétichistes ont explosé et on peut littéralement trouver son alter ego partageant le même fétiche dans la même ville... ou à l’autre bout du monde." De là à se demander si le rapport que beaucoup de personnes entretiennent aujourd'hui avec leur smartphone ne relève pas du fétichisme ? "Il y a presque de l’érotisme, de la sensualité, une certaine forme de sexualité avec cet objet et ses fonctionnalités". 

Parmi les fétichismes les plus insolites cités par le sexologue (qui a tout rencontré, des pieds aux cheveux en passant par les fétichistes du nombril ou des oreilles), existent le fétichisme lié aux plâtres ("la personne n’étant excitée que par une jambe ou un bras plâtré, notamment pour la rigidité du plâtre, sûrement évocatrice, mais aussi la situation de faiblesse, de dépendance relative de la personne plâtrée") ou encore celui des mannequins de magasin ("la vue d’un mannequin d’exposition en plastique blanc provoquait une excitation sexuelle qu’il n’arrivait pas à obtenir, et il s’était arrangé pour travailler dans un grand magasin et rester un peu plus tard le soir après la fermeture"). 

Vivre son fétichisme en couple

Quand le ou la fétichiste vit en couple, comment son partenaire le vit-il ? "J’ai vu des couples exploser, concède le sexologue. Par exemple, une femme dont le mari était fétichiste des pieds. Il n’était qu’excité par les pieds de sa compagne et cette dernière, trouvant cette situation amusante au début, a fini par fuir car elle se sentait réduite à une seule partie de son anatomie."

Sur un forum de discussion, un internaute exprime son mal-être : "Je suis fétichiste des pieds mais j’ai surtout des problèmes d’érection que je pense liés à ce fétichisme". Est-ce fondamentalement lié ? "Les fétichistes sont des hommes et des femmes comme les autres, ils peuvent avoir des difficultés d’excitation ou de plaisir sexuel indépendantes de leur fétichisme. Si quelqu’un est fétichiste des pieds uniquement, et que les pieds de son ou sa partenaire ne lui plaisent pas, patatras, il y a risque de problème d’érection. Mais si la personne peut un peu diversifier son registre, et être excitée par la situation, par l’ensemble de son partenaire ou d’autres parties de son corps, elle trouvera davantage de ressorts érotiques donc de capacités d’excitation."

Mais si le fétichisme sexuel n’est pas assouvi, y a-t-il un risque ? "C’est rare, car la pulsion fétichiste est tellement forte qu’elle amène généralement l’individu à vivre, au moins partiellement, ses scénarios érotiques. Soigner, c’est quand il y a souffrance : pour soi, ou pour les autres. C’est évident que la sexualité se fait dans un cadre légal et éthique adapté à la société dans laquelle on vit, et qu’un fétichisme inadmissible pour la société doit être soigné. Sinon, s’il n’y a pas de souffrance personnelle ou interpersonnelle, il faut laisser le corps exulter et vivre sereinement ses envies."

Génération de "sexplorateurs"

Au final, une question nous tarabuste : sommes-nous inconsciemment ou non tous des fétichistes sexuels ? Patrick Papazian rétorque : "Indépendamment du sexe, ne sommes-nous pas fétichistes de telle voiture, de tel vêtement pour le porter nous-même, de tel dernier modèle de smartphone ? Nous décomposons le monde en parties accessibles à notre désir et notre compréhension. C’est pareil en sexualité, nous allons nous focaliser sur tel ou tel aspect." 

Et développer des fétichismes multiples, être capable de ressentir de l’excitation pour de nombreux détails ou aspects de la sexualité de se révéler une bonne manière de renforcer ses capacités érotiques : "Nous sommes une génération de "sexploreurs", nous jouons avec les pulsions partielles, nous banalisons le SM soft de 50 nuances de Grey, et nous avons de plus en plus tendance également tendance à "jouer au fétichisme", de temps en temps, pour diversifier notre registre sexuel." Aucun mal à se faire du bien donc. 


Romain LE VERN

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