"Isoler de force" les cas positifs : une mesure vraiment efficace ?

Publié le 23 novembre 2020 à 9h29, mis à jour le 25 novembre 2020 à 9h14
Un couple devant la tour Eiffel, à Paris, le 2 novembre 2020
Un couple devant la tour Eiffel, à Paris, le 2 novembre 2020

CONTRAINDRE OU PAS ? - En France, les personnes positives doivent se mettre en quarantaine mais rien ne les oblige aujourd'hui à s'y contraindre. Largement utilisée par la Chine, le confinement obligatoire aurait-il pour autant la même efficacité en France ? Pas si sûr.

La question refait surface. Faut-il forcer les malades à se mettre en quarantaine "de force" ? À l'heure où l'isolement des cas positifs fait partie du triptyque tester-tracer-isoler, sur lequel se base toute la stratégie française de lutte contre le coronavirus, les autorités craignent de fait que ce troisième point - l'isolement des cas positifs - ne soit pas assez suivi. Raison pour laquelle le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, a indiqué dimanche que "l'isolement plus effectif des cas positifs" était "clairement un enjeu" et "qu'à titre personne, il trouvait la piste intéressante". Un sujet sensible. Tant sur le fond, car considéré comme liberticide,  que sur la forme, pour son application. Largement utilisée en Chine, la méthode est beaucoup plus controversée en Europe. 

Qui isoler?

Ce débat avait déjà été mis sur la table au printemps dernier, à l'aube d'un premier déconfinement. Il était envisagé de permettre aux préfets de mettre un malade contaminé par le covid-19 à l'isolement forcé s'il refusait de s'y soumettre. L'exécutif n'avait finalement pas retenu cette option, préférant en appeler à "l'esprit de responsabilité" des Français. Mais avait rendu cette consigne obligatoire pour certains voyageurs arrivant en France en provenance d'un pays extérieur à l'espace européen et à l'exclusion de quelques pays jugés sûrs. Aujourd'hui encore, on lit sur le site du ministère de l'Intérieur que pour celles et ceux ne pouvant justifier à leur arrivée d'un test négatif, si le résultat de "l'examen biologique de dépistage virologique" réalisé à l'arrivée s'avère positif, "les autorités peuvent imposer une période d’isolement de sept jours". 

Une mesure possible pour les nouveaux arrivants, tant il est plus simple de demander à des voyageurs de s'isoler qu'à des personnes qui habitent le territoire. Pourrait-on étendre le dispositif à toute la population ? Des limites ont déjà été relevées dans le passé. Le porte-parole du gouvernement lui-même sur Europe 1, notait que dans le cas des personnes âgées, un bon nombre d'entre elles vivent actuellement avec leurs enfants ou petits-enfants et sont donc dans l'incapacité matérielle de s'isoler. Il faudrait donc pour cela s'inspirer de ce qu'avaient fait les pays qui avaient mis en place ce dispositif lors de la première vague. Rappelez-vous, en janvier dernier, à Wuhan, premier foyer de propagation de l'épidémie, des stades et des écoles avaient été réquisitionnés pour être transformés en lieux d'isolement pour les malades présentant des symptômes bénins. Des habitants y avaient également été emmenés de force. En Italie aussi des hôtels avaient été utilisés. Mais cette fois-ci sur la base du volontariat. Ceux qui ne pouvaient s'isoler à domicile étaient envoyés dans ces chambres spéciales, ou bien dans une partie des 7000 centres de soins et de convalescence du pays. En France également, cette mesure avait été prise, localement. 

Coronavirus : des hôtels accueillent des malades du coronavirus sortis de l'hôpitalSource : JT 13h Semaine

Imposer un logement isolé à tous les cas positifs serait-il efficace ? Même les autorités de santé en doutent. Au printemps dernier le chef de la Direction générale de la Santé notait ainsi qu'"en ville" les personnes sont de toute façon déjà contagieuses pour leurs proches au moment où elles sont testées positives. À noter qu'il faut ajouter à cela l'angle juridique. Cette décision ne pourra être prise en Conseil des ministres. Raison pour laquelle le gouvernement renvoie, prudemment, le sujet au débat parlementaire.

S'isoler chez soi sous peine d'amende

C'est donc une autre méthode qui a été préconisée à l'étranger. Contrairement à la France, un cas positif qui ne reste pas à l'isolement risque une lourde sanction. En Suisse, par exemple, il y a une réelle surveillance des mesures de quarantaine, et notamment pour les personnes arrivant sur le territoire. Les autorités cantonales, qui ont à disposition les coordonnées des personnes obligées de se placer en quarantaine après être arrivées sur le territoire par les airs ou par la terre, réalisent des contrôles aléatoires. Quiconque se soustrait à cette obligation commet une infraction à la "loi sur les épidémies" et peut être puni d'une amende pouvant aller jusqu'à 10.000 CHF (9 254 euros). Toujours chez nos voisins limitrophes, la Belgique a créé en juillet, au niveau fédéral, une sanction qui peut aller jusqu'à 4000 euros d'amende et 3 mois de prison. Des peines semblables à celles prévues en Italie. Une personne contrevenant à l'isolement risque depuis cet été de trois à 18 mois de prison, ainsi qu'une amende de 500 à 5000 euros.

L'Angleterre a elle aussi choisi cette voie. Alors que le pays n'avait jusque-là pas pris de mesures coercitives, son Premier ministre a annoncé début septembre la mise en place d'une amende de 10.000 livres sterling (11.000 euros) en cas de non-respect de la quarantaine. À noter que pour remédier à la difficulté de s'isoler tout seul, les autorités demandent automatiquement à ceux qui vivent avec une personne testée positive de s'autoconfiner 14 jours. Reste à noter que s'il existe des sanctions dans ces pays pour non-respect d'une quarantaine, il n'y a pas d'amende prévue si l'on sort sans pouvoir justifier de nos déplacements, comme c'est actuellement le cas en France.

Choisir de mettre en place une sanction, avec contrôles aléatoires, pourrait donc permettre de contourner les obstacles relevés plus haut. Mais le remède pourrait-il être pire que le mal ? C'est l'avis du conseil scientifique. Les experts qui accompagnent le gouvernement dans sa gestion de la crise sanitaire craignent en effet que cette contrainte ne pousse certains malades à ne pas se faire dépister. "Le risque est important, en cas d'obligation d'isolement, de réduire l'adhésion au dépistage et au diagnostic précoce qui a été construite avec un relatif succès ces dernières semaines et mois, en particulier auprès des jeunes", soulignaient-ils dans une publication datée au 3 septembre dernier. 


Felicia SIDERIS

Tout
TF1 Info