Une eau embouteillée devient noire après électrolyse : cette vidéo prouve-t-elle qu'elle est polluée ?

par Claire CAMBIER
Publié le 11 février 2020 à 21h55, mis à jour le 12 février 2020 à 15h00
Une eau embouteillée devient noire après électrolyse : cette vidéo prouve-t-elle qu'elle est polluée ?

A LA LOUPE - Dans une vidéo vue plus d'un million de fois en moins de 24 heures, un internaute assure prouver scientifiquement que l'eau de source de la marque Cristaline est polluée par des pesticides. En réalité, la couleur provoquée par l'électrolyse, la technique ici utilisée, ne permet pas de déterminer la présence de polluants. Explications.

De l'eau en bouteille vendue sur le marché français et à l'étranger contiendrait des pesticides et serait source de cancer. C'est ce qu'affirme un internaute dans une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux. Vue plus d'un million de fois depuis ce lundi 10 février, elle enregistre près de 25.000 "likes" et 15.000 retweets en moins de 24 heures.

Pour prouver ses dires, l'homme, qui n’apparaît pas à l'écran, présente deux verres d'eau, de deux marques différentes. A gauche, un échantillon de la marque Cristaline, à droite, un échantillon de Wattwiller. Des bouteilles sont visibles en arrière plan, mais il reste impossible de savoir si les contenus correspondent réellement. L'homme utilise ensuite un appareil électrique, un électrolyseur, dont il trempe les embouts dans chacun des verres. 

"Ça c’est un électrolyseur, explique-t-il, il va brûler les fines particules dans l’eau, tout ce qui est pesticides." Le but de ce "test scientifique" : prouver que l'une des deux eaux embouteillées est polluée. Au bout de quelques minutes, le verre de gauche prend une teinte noirâtre, des particules en suspension sont alors visibles. De l'autre, l'eau devient orangée voire marron. A gauche, l'électrolyse de l'eau de source Cristaline démontrerait que celle-ci "est bourrée de pesticides" - les particules noires -, tandis que celle de la marque Wattwiller contiendrait au contraire des minéraux - "potassium", "calcium" et "magnésium" - dont serait dépourvue la Cristaline.

Peut-on s'y fier ? Non, répondent les experts. De telles expériences ont déjà été menées par le passé et largement relayées sur les réseaux sociaux. En novembre dernier, un internaute incriminait déjà la marque Cristaline dans une vidéo qui avait fait le buzz. Nos confrères de l'AFP avaient demandé l'avis d'un directeur de recherche au CNRS (LEPMI de Grenoble), spécialisé dans l'électrochimie et la science des matériaux.

Plus vous avez de minéraux, plus la réaction est violente, et plus le résultat est marquant.
Fréderic Maillard, chercheur au CNRS

L'électrolyse "ne sert pas à mettre en évidence une pollution d'eaux, mais plutôt leur capacité à conduire le courant", grâce aux minéraux qu'elles contiennent, détaillait Fréderic Maillard. L'appareil utilisé était alors identique, on peut d'ailleurs s'en procurer facilement sur Internet pour quelques euros. Il "dispose de deux électrodes : une anode et une cathode. A chaque électrode, l’électrolyse produit un dégagement gazeux." "Au niveau de l'anode de fer notamment, l’électrolyse va conduire à une oxydation du métal, et à la création d'ions de Fer Fe2+", des ions qui sont justement de couleur verdâtre. 

"Plus vous avez de minéraux, plus la réaction est violente, et plus le résultat est marquant. Mais ça ne veut dire en aucun cas que l'eau est particulièrement polluée. Elle contient certains minéraux dont notre corps a besoin", concluait-il.

La qualité de l'appareil peut également jouer, la couleur foncée peut ainsi tout aussi bien venir de dégradations d'une électrode constituée d'aluminium. "La composition des électrodes joue, soulignait Emmanuel Maisonhaute, du laboratoire Interfaces et Systèmes Electrochimiques de l'université Sorbonne-Université. Si vous faites la même électrolyse avec une électrode en platine vous aurez un peu de couleur, mais pas de dépôt noir", confirmait-t-il. 

Par le passé, un vidéaste avait déjà alerté sur ce type de fausses expériences scientifiques, destinées selon lui à "faire peur" et à pousser les consommateurs à acheter des électrolyseurs. En 2012, il avait réalisé cette même expérience et démontré que la couleur dépendait des minéraux présents dans l'eau. Une eau claire déminéralisée restait claire malgré l'électrolyse. En y ajoutant du sel, la même opération conduisait à une coloration verdâtre. "Faire une électrolyse de l’eau et dire que telle couleur, c’est ça comme produit chimique, c’est faux", martelait-il déjà.

Une eau contrôlée par les autorités sanitaires

Contacté par LCI, le groupe Alma, qui possède la marque Cristaline, tient à rassurer : "Toutes substances chimiques sont rigoureusement proscrites de nos lignes d’embouteillages. Nos eaux de sources sont soumises à des contrôles permanents, en interne par notre laboratoire certifié COFRAC et en externe par les laboratoires commandités par les Agences Régionales de la Santé." Et de noter : "nos eaux de source Cristaline proviennent exclusivement de grandes sources agrées par Cristaline sur différents sites en France. Elles sont toujours captées en profondeur, elles garantissent une origine géographique clairement identifiée, une composition connue et clairement indiquée sur l’étiquette. Prélevée dans son état naturel, l’eau de source Cristaline est mise en bouteille directement sur le lieu de la source."

Le laboratoire de qualité de la marque tient à souligner, lui aussi, que la vidéo n'a aucune valeur scientifique : "Un électrolyseur est un appareil constitué de 2 électrodes (1 anode et une cathode) servant à décomposer des molécules en fonction de leur polarité, par transfert d’électrons sous l’action d’un courant électrique continu. Il ne sert ni à mesurer l’électricité de l’eau, ni la qualité de l’eau, ni quoi que ce soit d’autre. Il ne fait partie d’aucun système d’analyse de l’eau reconnu."

L'agence nationale de sécurité sanitaire se veut d'ailleurs rassurante. "Tout comme l’eau du robinet, les eaux embouteillées font l’objet d’une surveillance par les producteurs et les distributeurs, et d’un contrôle par les autorités sanitaires, indique l'Anses. Par ailleurs, du fait de leurs caractéristiques, ces eaux font l’objet d’une réglementation spécifique. Dans ce contexte, l’Anses fournit des outils d’évaluation de la qualité de ces eaux pour les pouvoirs publics et mène des recherches."

Certains internautes ne s'y sont pas trompés. "Un électrolyseur ne permet pas de voir si une eau est potable ou pas mais sa concentration en minéraux", remarque ainsi un internaute en commentaire du post Twitter. "Il faudrait faire des tests pour identifier la molécule, ajoute un autre. La couleur ne veut absolument rien dire." Et de souligner que si la couleur noire renvoie dans l'imaginaire à la dangerosité d'un produit, "les molécules les plus dangereuses n'ont pas de couleur."

L'article a été mis à jour ce 12/02/2020 à 14h45 avec la réaction du groupe Alma, détenteur de la marque Cristaline.

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Claire CAMBIER

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