4000 satellites en orbite : comment éviter les bouchons et les accidents dans la "banlieue" proche de la Terre ?

Publié le 25 mars 2019 à 14h10, mis à jour le 26 mars 2019 à 10h20

Source : JT 20h WE

INTERVIEW - De plus en plus de satellites orbitent autour de la Terre, augmentant de fait le risque de collisions et d'embouteillages dans l'espace. Pour en savoir plus, LCI a contacté Christophe Bonnal, expert à la direction des lanceurs du Centre national d'études spatiales (Cnes).

Il y du trafic là-haut ! Et ce n’est pas prêt de s’arranger. Si le rythme des lancements de fusées reste régulier, environ une centaine par an, le nombre de satellites mis en orbite a, quant à lui, considérablement augmenté ces dernières années. L'an dernier, près de 450 engins ont ainsi été lancés dans l'espace (contre 370 en 2017). 

L'orbite terrestre, autrefois sanctuarisée, devient de fait de plus en plus encombrée et les grandes puissances s’y confrontent, sans réussir à se concerter. Pour en savoir plus, LCI a contacté Christophe Bonnal, expert à la direction des lanceurs du Centre national d'études spatiales (Cnes). 

LCI : L’espace est infini, certes. Mais la multiplication des lancements de satellites ne risque-t-il pas d’engendrer un embouteillage dans la banlieue proche de la terre ?

Christophe Bonnal : Là-haut, nous ne manquons pas de place. L’espace est infiniment vide. Et il n’y a pas tant de choses que cela au-dessus de nos têtes. Aujourd’hui, on dénombre environ 4000 satellites en orbite terrestre. Parmi eux, 1700 sont encore actifs. La zone où le trafic est le plus dense se situe entre 700 et 1100 km d’altitude. En schématisant grossièrement, si vous découpez l’espace en cube de 100 kilomètres de côté, vous trouvez au maximum un objet de plus de 10 centimènes de côté dans chacun d’eux.

Néanmoins, cela n’empêche pas les risques de collision… 

Dans cette zone, entre 700 et 1100 km, les conditions de navigation sont difficiles. Les collisions entre objets spatiaux y sont de ce fait plus fréquentes. Une équipe du Cnes surveille 24 heures sur 24 et sept jours sur sept les 26 satellites français. En cas de risque de collision, nos ingénieurs sont en mesure d'activer à distance les propulseurs de l'engin pour le déplacer. s. Mais les télescopages entre satellites actifs sont rares étant donné qu’ils sont suivis en temps réel. Une équipe du Cnes surveille par exemple 24 heures sur 24 et sept jours sur sept les 26 satellites français. En cas de risque de collision, nos ingénieurs sont en mesure d'activer à distance les propulseurs des engins pour les déplacer. 

Le problème, ce sont les satellites en fin de vie, car ils ne sont plus en mesure d’activer leurs propulseurs pour changer de cap et éviter une collision. Pour se faire une idée, lors d’une collision avec un objet d’un millimètre, l’énergie développée est de 1 kilojoule, l’équivalent d’une  boule de bowling lancée à 100 km par heure. Récemment, l’étage supérieur d’un lanceur a été percuté par un débris spatial et s’est transformé en 600 fragments de tailles variables. 

La France est le seul pays à avoir adopté une loi pour réguler l’envoi de satellites
Christosphe Bonnal

En vertu du traité international de l’espace de 1967, l’espace est une ressource libre et commune. Autrement dit, n’importe qui a-t-il le droit de lancer un satellite ? 

A l’heure actuelle, il n’y a absolument aucune limitation sur le nombre de satellites pouvant être envoyés dans l'espace. Il suffit d’avoir un lanceur à disposition et d'enregistrer son appareil auprès de l'ONU. La seule exception concerne les satellites de télécommunications. Dans ce cas, il faut déposer une demande auprès de l’autorité internationale des télécommunications (UIT), qui dépend des Nations unies. Ce n’est pas une question de manque de place. Le but est d’éviter que deux satellites voisins ne se parasitent en utilisant la même fréquence.

Une fois là-haut, chacun fait-il encore ce qu'il veut ? 

La France est le seul pays à avoir adopté une loi pour réguler la "population" des satellites, une fois dans l'espace. Les autres pays ont simplement mis en place des codes de bonne conduite, avec un ensemble de recommandations, notamment pour déterminer le devenir d’un engin spatial en fin de vie. Malheureusement, ce corpus qui est très mal appliqué et il n’y a pas de gendarme pour contrôler. Sur cinq satellites qui sont aujourd'hui placés en orbite, un seul respecte la législation et quatre autres ne l'appliquent pas.

Quelque 450 cubesats ont été lancés l’an dernier. Ces mini-satellites, de la taille d’un Rubik's Cube, ont l’avantage d’être peu coûteux. On en prévoit 500 de plus d’ici la fin de l’année. 

Vous pouvez vous en procurer pour moins de 10.000 euros. C’est une technologie formidable, car elle permet à des universitaires de placer en orbite leurs propres engins spatiaux. Ces mini-satellites présentent néanmoins quelques inconvénients. Tout d’abord, ils ne sont pas équipés de propulseurs. De ce fait, ils sont incapables de dévier leur trajectoire en cas de risque de collision. Pour ainsi dire, ils se comportent comme des débris spatiaux. En outre, nous avons parfois du mal à suivre leurs déplacements en raison de leur taille réduite.

Au lieu de redescendre dans l’atmosphère et de se consumer, les cubesats peuvent rester en orbite pendant des centaines, voire des milliers d’années
Christosphe Bonnal

Ces satellites low-cost vont continuer à proliférer dans les années qui viennent. Est-ce un sujet d’inquiétude au Cnes ? 

N’importe quel étudiant peut aujourd’hui fabriquer son propre cubesat. Vu qu’il n’y a pas de lanceur dédié, c’est un peu de l'auto-stop. Ils montent à bord du lanceur qui veut bien les embarquer. Et ils sont parfois largués à des altitudes trop élevées. Lorsqu’ils arrivent en fin de vie ou s’ils tombent en panne, au lieu de redescendre dans l’atmosphère et de se consumer, ils peuvent rester en orbite pendant des centaines, voire des milliers d’années. Ils deviennent alors des débris spatiaux et peuvent occasionner des collisions. 

Pourtant, ces cubesats n'échappent pas à la réglementation. Mais beaucoup d'entre eux ne sont pas enregistrés, car les détenteurs ne connaissent pas la réglementation en vigueur. Nous venons justement de réaliser un document avec l’International Academy of Astronautics pour rappeler les règles de base à respecter. Les règles de débris de cubesats pour les nuls, en quelque sorte. Il y a relativement peu de lanceurs dans le monde. La solution serait de convenir d’un accord commun qui dirait : à toute charge utile, prière de nous montrer un dossier de conformité. 

A cela, il faut ajouter ces gigantesques flottes de satellites qui vont être déployées par une poignée d’entreprises privées...

C.-B : Ce sont des réseaux de satellites qui communiquent entre eux. Jusqu’à présent, ils étaient constitués d’une centaine d’engins, tout au plus. Désormais, on parle de méga-constellations. L’entreprise américaine One Web a ainsi pour ambition de déployer 600 satellites d’ici trois ans afin de proposer un accès internet haut débit depuis l’espace. Plusieurs sociétés ont des projets similaires dans les tiroirs. Boeing a annoncé l’envoi de 2400 satellites. Samsung table quant à lui sur 4000, tandis qu’Elon Musk parle carrément de 12.000 engins. Nous allons nous trouver face à une multiplication par un facteur de dix ou vingt du nombre de satellites actifs au-dessus de nos têtes.

Qui dit plus de satellites en orbite, dit aussi encore plus de débris spatiaux. Et donc de risque de collisions ?

C.-B : Nous estimons que la situation est encore acceptable. Si les entreprises à la tête de ces méga-constellations respectent scrupuleusement la réglementation internationale, il n’y aura aucun problème. Pour cela, elles devront désorbiter leurs satellites et procéder aux contrôles de risque de collision, comme elles l’ont promis. Dans ce cas-là, mes collègues du CNES à Toulouse pensent  que leur empreinte sur la population orbitale sera négligeable. 

On pourrait également imaginer que des camions poubelles de l’espace se charge de les évacuer. Qu’en dites-vous ?

C.-B : Plusieurs projets son déjà à l’étude. Je ne serais pas surpris que les entreprises aient déjà noué des partenariats dans ce sens. OneWeb, par exemple,a installé une poignée sur ses satellites, de sorte à pouvoir les remorquer si l’un d’eux tombait en panne. Il faut imaginer une sorte de camionnette Darty de l’espace qui, en cas de besoin, irait réparer ou remorquer les satellites. Cela reste encore très futuriste mai ce n'est pas irréaliste.


Matthieu DELACHARLERY

Tout
TF1 Info