LA CHRONIQUE AUTO - Covoiturage avec le véhicule de l'entreprise : risque-t-on le licenciement ?

Maître Jean-Baptiste le Dall (édité par L. V.)
Publié le 12 décembre 2019 à 10h55

Source : JT 20h WE

POINT JURIDIQUE - De plus en plus encouragé par les pouvoirs publics, notamment pendant les périodes de grève, le covoiturage peut aussi s’avérer un bon plan pour limiter les dépenses. Mais peut-on le pratiquer aussi au travail avec le véhicule de fonction mis à disposition par son entreprise ? L’éclairage de Maître Jean-Baptiste le Dall, avocat en droit automobile.

Outre la perspective d’économies de carburant ou de péage, le covoiturage pourrait devenir demain un moyen de zapper les embouteillages. De nombreux projets envisagent en effet de faciliter la circulation des véhicules utilisés dans le cadre de cette pratique en leur réservant l’accès à certaines voies. La possibilité de contrôle par radars automatisés du nombre de passagers est également évoquée. 

Le covoiturage a donc clairement le vent en poupe -et encore plus pendant les périodes de grève des transports en commun. Mais peut-on pour autant utiliser dans ce cadre la voiture de sa société ? Les dernières jurisprudences devront amener les salariés à la plus grande prudence.  

Le covoiturage, c’est légal !

Est-ce légal ? C’est pour le juriste la première question qui a pu se poser et à laquelle la Cour de cassation a apporté une réponse positive dès 2013 à partir du moment où "les sommes versées par les personnes transportées ne permettent pas de considérer qu'elles avaient, au-delà des frais induits par l'utilisation des véhicules, rémunéré l'activité des conducteurs au regard du nombre de passagers transportés et des trajets effectués" (Cour de cassation, chambre commerciale, 12 mars 2013, n°11-21908).

La question s’est également vite posée de la légalité de ces nouveaux modes de consommation de l’automobile lorsque l’on roule dans une voiture de société. La jurisprudence a, au départ, un peu tâtonné.

Un premier regard favorable de la part des tribunaux

Au départ, certaines juridictions s’étaient rangées du côté du salarié covoitureur. Tel avait par exemple été le cas au printemps 2016 du conseil des prud’hommes de Nantes qui avait tout d'abord donné gain de cause à un employé licencié mais ayant pris soin de reverser ses gains (610 euros d’après son avis d’imposition) à deux associations caritatives : les Clowns Stéthoscopes et Surf Rider.

Mais la jurisprudence semble désormais prendre un virage défavorable au salarié. C’est en tout cas la position de différentes juridictions d’appel et notamment celle de la cour d’appel de Rennes, qui n’a pas du tout eu la même vision de cette affaire que le conseil des prud’hommes de Nantes. 

La jurisprudence désormais moins permissive

L’arrêt de la cour d’appel de Rennes, qui reprend peut-être plus largement les faits qu’en première instance, permet une vision différente du dossier. Ainsi la simple lecture de la lettre de licenciement montrera l’importance des faits (cour d’appel de Rennes 31 août 2018, RG n° 16/05660).

La lettre de licenciement en question : 

"Nous avons le regret de constater que, depuis quelques temps, vous utilisez votre véhicule de fonction, sans aucune autorisation, à des fins lucratives. Vous proposez ainsi des trajets payants, à des personnes étrangères à la société, sur le site de covoiturage Blablacar. A cette fin, vous êtes inscrit sur ce site depuis le 9 mai 2011 et avez publié au total 112 annonces. Vous avez par exemple profité de réunions de travail organisées par votre manager les 16 et 17 février 2015 au sein de l’établissement de Bouguenais, situé en Loire atlantique, pour proposer des trajets payants, à des personnes extérieures à la société, sur le site Blablacar. Vous avez ainsi proposé de prendre le lundi 16 février 2015 en début de matinée, 3 passagers, de la gare de Bordeaux jusqu’à un arrêt du réseau des transports en commun nantais situé dans l’agglomération de Nantes. Le lendemain, vous avez proposé sur le même site le trajet inverse dans l’après-midi. L’annonce qui avait été rédigée proposait ce trajet à 3 passagers payants. Interloquée par votre comportement lorsqu’elle en a eu connaissance, la société a décidé de faire constater votre offre de transaction sur le site Blabacar par un huissier dûment assermenté."

Pas d’assurance pour un tel covoiturage

Dans cette procédure, l’employeur avait versé au dossier un certain nombre d’éléments, à commencer par "les conditions particulières du contrat d’assurance Marsh 'flotte automobile' qui spécifie(nt) que les véhicules assurés sont utilisés pour des déplacements privés ou professionnels mais ne servent en aucun cas à des transports onéreux de marchandises ou de voyageurs, même à titre occasionnel".

Ces considérations en matière d’assurance ont été prise en compte par le juge d’appel qui n’a pas manqué de souligner que "le fait pour un responsable d’agence de pratiquer le covoiturage avec un véhicule de fonction à l’insu de son employeur, en l’exposant à un risque compte tenu de l’absence de couverture de cette activité par l’assureur, constitue une faute justifiant le licenciement."

Et les sous ? L'opération doit avoir un caractère non lucratif

Dans cette affaire, le salarié avait plaidé qu’il avait fait des dons à des associations pour écarter l’idée d’une volonté d’enrichissement de sa part. Et effectivement il avait pu faire la preuve de versement à des associations particulièrement dans le vent (au sens propre comme au sens figuré), en l'occurrence donc les Clowns Stéthoscopes et Surf Rider.  Seulement voilà, la cour d’appel a sorti sa calculette et a repris les comptes. Elle a constaté qu’effectivement des reçus attestaient "de reversements à des associations pour des montants de 120 euros en 2012, 170 euros en 2013, 120 euros en 2014 et 200 euros en 2015". Mais  on pouvait d’un autre côté estimer le pactole touché par ce salarié "à plusieurs milliers d’euros, de sorte qu’il a nécessairement réalisé des bénéfices".

Évidemment avec de tels gains, l’image du salarié licencié en prend tout de suite un coup. Mais là n’est sans doute pas le plus grave, du point de vue du droit en tout cas. Si la jurisprudence a en effet depuis longtemps tranché la question de la légalité du covoiturage, il demeure toutefois impératif qu’il ne devienne pas une activité lucrative. Or, à partir du moment où l’activité est opérée avec un véhicule dont les coûts sont assumés par l’entreprise, le salarié ne vient pas couvrir ses frais mais arrondir ses fins de mois. Or le Code des transports est très clair sur ce point : le covoiturage à titre lucratif est prohibé. 

Comme le précise en effet l'article L. 3132-1 du Code des transports, "le covoiturage se définit comme l’utilisation en commun d’un véhicule terrestre à moteur par un conducteur et un ou plusieurs passagers, effectuée à titre non onéreux, excepté le partage des frais, dans le cadre d’un déplacement que le conducteur effectue pour son propre compte. Leur mise en relation, à cette fin, peut être effectuée à titre onéreux". A noter que le caractère non lucratif de l’opération est rappelé sur le site Internet permettant la mise en relation des covoitureurs. Ce que n’a pas manqué de souligner la Cour d’appel de Rennes.

Une pratique déjà retoquée

La cour d’appel de Riom avait déjà conclu au caractère fautif de l’utilisation d’une voiture de société de fonction en matière de covoiturage à but lucratif (cour d’appel Riom 13 septembre 2016, RG n° 15/02104). A cette époque, elle avait toutefois jugé que les faits "n’avaient pas le caractère grave et sérieux impliquant la rupture du contrat de travail" et n’auraient pas dû entraîner une sanction aussi lourde qu’un licenciement.

Un covoiturage pas forcément interdit mais…

Clairement, la lecture de ces arrêts d’appel devra amener le salarié voulant se lancer dans le covoiturage à ne pas le faire dans le dos de son entreprise. L’employeur peut cependant tout à fait valider cette pratique, avec la mise en place d’une police d’assurance spécifique. Le salarié devra néanmoins prendre garde à ne pas faire de cette activité une véritable source de revenus.

Maître Jean-Baptiste le Dall, docteur en droit et vice président de l'Automobile club des avocats, intervient sur son site et sur LCI. 


Maître Jean-Baptiste le Dall (édité par L. V.)

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