Fini le pourvoi en cassation pour les conducteurs ? La réforme de la Justice limite ce recours

Maître Jean-Baptiste le Dall (édité par L. V.)
Publié le 23 novembre 2018 à 16h07
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Source : Sujet TF1 Info

MODERNISATION - Les gilets jaunes ne sont pas les seuls à manifester en ce moment. Le mouvement des avocats est certes plus discret mais il traduit une réelle inquiétude des robes noires face au projet de loi de programmation et de réforme de la Justice. Et le droit routier n’est pas épargné. Les explications de Maître Jean-Baptiste le Dall, avocat en droit automobile.

En matière de droit pénal routier, comme plus généralement en matière de droit pénal, le recours à l’avocat n’est pas obligatoire, sauf exception (en matière de droit routier, on pense par exemple à la procédure de comparution sur reconnaissance de culpabilité). Et c’est ainsi qu’un simple particulier peut plaider sa cause devant un tribunal de police ou un tribunal correctionnel, devant une cour d’appel et même devant la Cour de cassation. Bien sûr devant la chambre criminelle de la Cour de cassation, il ne plaide pas à proprement parler, mais son pourvoi sera examiné.

Avec le projet de loi de programmation et de réforme de la Justice examiné en ce moment, c’est la cassation qui risque de devenir inaccessible au commun des justiciables, et de façon plus générale aux conducteurs. Contrairement à ce qui s’était passé dans la plus grande indifférence sous l’ancienne Garde des sceaux, Christiane Taubira (avec la suppression de l’appel en matière de contentieux du permis à points devant les juridictions administratives), ce n’est pas un degré de juridiction qui disparaît totalement cette fois. Mais, dans la pratique, les choses y ressemblent.

Un avocat aux conseils obligatoires pour la Cour de cassation au pénal

Demain, pour avoir accès à la Cour de cassation, les conducteurs, comme d’ailleurs toutes les personnes condamnées en France, devront avoir recours aux services d’un avocat aux conseils. L’avocat aux conseils est le seul avocat qui puisse intervenir devant la Cour de cassation, comme par le passé l’avoué avait le monopole des cours d’appel en matière civile. Pour le conducteur, cette modification est loin d’être anodine, en raison du coût de l'avocat aux conseils. Le choix de porter son affaire devant la Cour de cassation deviendra donc surtout une question d’argent.

A l’évidence, beaucoup de conducteurs ne pourront plus financièrement se permettre de faire valoir leurs droits devant la chambre criminelle. Le particulier qui avait épluché des heures durant le Code de la route, qui chaque semaine lit avec attention la chronique auto, va devoir ouvrir son porte-monnaie pour aller devant la Cour de cassation. Dans la plupart des cas, les honoraires de l’avocat aux conseils dépasseront très largement le montant de l’amende prononcée par la juridiction ayant condamné le conducteur.

Et même le conducteur qui s’était fait assister d’un avocat en première ou deuxième instance pouvait, dans l’hypothèse de nullités soulevées par biais de conclusions, porter seul son affaire devant la Cour de cassation en reprenant à son compte les écritures produites dans son intérêt par son avocat. Lui aussi sera confronté au poids financier de l’avocat aux conseils. On pense également aux conducteurs qui pouvaient être informés par des associations de défense des automobilistes ou des motards qui pouvaient s’engager seuls dans l’aventure de la cassation, eux aussi devront passer par l’avocat aux conseils.

Or, sans vouloir généraliser, les tarifs pratiqués par un avocat aux conseils sont sensiblement plus élevés que ceux qui sont demandés par un avocat pour la prise en charge d’une affaire devant un tribunal correctionnel ou une Cour d’appel.

Un contentieux privé de la Cour de la cassation

Les étudiants en droit connaissent bien la différence entre une Cour d’appel et la Cour de cassation, on leur rabâche suffisamment en première année : la juridiction d’appel juge à nouveau les faits tandis que la Cour de cassation ne juge que le droit. En clair, la Cour de cassation va s’assurer de la bonne application de la loi et permettre une unification de la jurisprudence qui peut, parfois, fortement varier d’un tribunal à un autre. Dans une prochaine chronique seront, par exemple, évoquées les verbalisations pour non-désignation de conducteur par les entreprises pour les infractions commises au volant de véhicules de société. Deux ans après la publication, en novembre 2016, de la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, de nombreuses contestations juridiques demeurent sans réponse.

Avec un accès conditionné par le recours à l’avocat aux conseils, la Cour de cassation pourrait rester longtemps à l’écart du droit routier, peu de conducteurs ayant les moyens d’y aller. Pour être tout à fait complet, certains conducteurs pourront toujours y aller : outre les plus fortunés, les bénéficiaires de l’aide juridictionnelle pourront ainsi toujours se faire accompagner devant la Chambre criminelle. Et dans un autre registre, les conducteurs ayant souscrit un contrat de protection juridique avec leur compagnie d’assurance pourront voir toute ou partie de la facture de l’avocat aux conseils pris en charge -bien évidemment, cette option n’est pas offerte gratuitement par la compagnie.

Un seul son de cloche devant la Cour de cassation

Peut-être encore plus grave que la barrière financière, le contrôle par la Cour de cassation du contentieux routier risque de se retrouver fortement déséquilibré. Le parquet pourra systématiquement porter devant la Cour de cassation les décisions lui déplaisant. A terme, avec la réforme, ne risquent donc d’être soumises au contrôle de la chambre criminelle que les jurisprudences favorables aux conducteurs.

Bien au-delà du droit routier

L’idée n’est pas nouvelle, nos élus trouvent le coût de la Justice trop élevé. La justice française est pourtant loin d’être la mieux lotie en Europe. Le Conseil de l'Europe pointait, par exemple, en 2016 la France à la 23e place en matière de pourcentage du PIB consacré à la justice. Au lieu de tenter de combler le retard par rapport à nos voisins européens en allouant à la Justice un budget suffisant, le gouvernement privilégie une autre piste : éloigner le justiciable de son juge. Avec cette réforme, la voie choisie est clairement celle de l’argent. 

Confrontés à une avalanche de hausses tarifaires (carburant, forfait post-stationnement, péage urbain, coût du contrôle technique) aux perspectives d’interdictions de circulation pour des véhicules encore en parfait état de marche, à la multiplication des radars… les automobilistes ont certainement d’autres combats à mener que la lutte pour le respect de leurs droits. 

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Heureusement, même si la plupart des conducteurs l’ignorent, c’est aussi pour eux que les avocats se mobilisent contre le projet de loi de programmation et de réforme de la Justice. Nous rappellerons que ce texte va bien au-delà du droit routier avec de nombreuses modifications en procédure civile et en procédure pénale, avec par exemple la création d’une juridiction chargée de l’indemnisation du préjudice corporel des victimes d'actes de terrorisme ou l’arrivée des amendes forfaitaires délictuelles pour l’usage des stupéfiants (amendes forfaitaires délictuelles qui avaient été imaginées pour le droit routier il y a deux ans).

Maître Jean-Baptiste le Dall, docteur en droit et vice-président de l'Automobile club des avocats, intervient sur son blog et sur LCI.   


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