LA CHRONIQUE AUTO - Pourquoi le retour des 90 km/h est (très) incertain

Maître Jean-Baptiste le Dall (édité par F.A.)
Publié le 13 septembre 2019 à 16h08, mis à jour le 13 septembre 2019 à 16h24

Source : JT 20h Semaine

RÉCAP' DE L'ÉTÉ – Vous étiez sur la plage et vous n’avez pas suivi les dernières nouveautés en matière de sécurité routière ? On vous rappelle ce qu'il s'est passé pendant les vacances. Cette semaine, Maître Jean-Baptiste le Dall, avocat des automobilistes, fait le point sur la polémique liée au retour des 90 km/h.

Nombreux sont les observateurs à penser que l'abaissement à 80 km/h sur le réseau secondaire a très largement contribué à l'essor du mouvement des Gilets jaunes. Et même si les actes du samedi ont pu s'essouffler, le mécontentement suscité auprès des conducteurs est toujours très vivace. Sur le terrain, les élus locaux ont été largement interpellés par leurs électeurs. Le 80 km/h ne passe pas, malgré les mois qui, eux, passent. 

C'est clairement ce qui a poussé le Premier ministre à annoncer la fin de cette mesure. Mais si Edouard Philippe a pu faire mine de reculer sur le sujet, il a surtout "refilé la patate chaude" aux conseils départementaux et aux maires avec une mise en garde : si les résultats en matière de  mortalité routière devaient décevoir, ils en porteraient l'entière responsabilité... Le locataire de Matignon s’est notamment  montré très attaché à conserver le "plus haut niveau de sécurité routière possible". "Je suis convaincu que les présidents de conseils départementaux le sont aussi, mais ce sont des décisions qui sont lourdes et qu'il faut assumer en conscience", a-t-il lancé.

Le 6 juin 2019, un amendement a donc été adopté à l'Assemblée nationale dans le cadre du projet de  loi d'orientation des mobilités (Loi LOM), dont les députés ont repris l'examen cette semaine. L'article 15 bis B prévoit ainsi de permettre aux présidents de conseils départementaux et aux maires de déroger à la limitation à 80 km/h.  A première vue, la bataille du 80 semble donc gagnée pour les automobilistes. 

Mais les choses ne sont pas aussi simples que cela. Le CNSR (Conseil National de la Sécurité Routière), qui travaille sur la liste des conditions exigées par le gouvernement, a en effet fixé la barre très haut pour autoriser un relèvement de la vitesse. Pour parler clairement, ses critères, disponibles dans le document "Dérogation à la vitesse maximale autorisée de 80 km/h sur route bidirectionnelle sans séparateur central : éléments d’aide à la décision" rendent même totalement illusoire un retour.

Dans ce document, le CNSR écarte déjà toute possibilité d’un retour aux 90 km/h en présence d’un "risque fort d’aggravation de l’accidentalité en cas de relèvement de la limitation de vitesse". Ne sont donc pas compatibles avec une dérogation au 80 km/h :

- une V85 Poids lourd (ndlr : vitesse en-dessous de laquelle circulent 85 % des poids lourds) supérieure à 80 km/h (y compris la nuit),

- une V85 Véhicule léger (vitesse en-dessous de laquelle circulent 85 % des voitures) supérieure à 90 km/h (y compris la nuit)".

Le CNSR se soucie également des "mobilités douces ou lentes" qui doivent être préservées. Le retour aux 90 km/h n’est donc pas envisageable si le tronçon comporte des arrêts de transport en commun ou est traversé par des chemins de grande randonnée ou des "véloroutes". La présence de riverains ou la possibilité d’accès par des engins agricoles exclue encore un relèvement de la vitesse. 

Nombreuses exigences

Mais les exigences du CNSE ne s’arrêtent pas là. Le comité d’experts entend aussi limiter le retour aux 90km/h à certaines voies.

 "L’infrastructure devra présenter les caractéristiques minimales suivantes :

- pour éviter les chocs frontaux, à défaut d’une séparation physique des deux sens de circulation, interdiction de dépassement matérialisée par deux bandes blanches avec alerte sonore,

- pour éviter les sorties de route, des accotements revêtus de largeur minimale 1,50 m et une alerte sonore en rive,

- pour réduire la gravité des accidents, une zone de sécurité et le traitement des obstacles latéraux (pas d’obstacles non protégés dans les 4 m du bord de chaussée, les 1,50 m d’accotements revêtus étant inclus dans ces 4 m),

- pour éviter les chocs en intersection, interdire la traversée et le tourne-à-gauche".

Or, sur le terrain, rares sont les chaussées pouvant répondre à toutes ces exigences. Et l’incompatibilité du 90 km/h avec la présence éventuelle d’un engin agricole ne manquera pas d’interpeller alors même que la grogne des conducteurs est forte dans les campagnes … par définition fréquentées par ces engins.

Le gouvernement conforté par le Conseil d'Etat

Les exigences du CNSR représentent également un coût financier important pour des collectivités déjà fortement sollicitées. Certains responsables politiques locaux ont ainsi immédiatement dénoncé une mesure dans les faits inapplicables (ce fut par exemple le cas du président du département de Seine-et-Marne). 

Mais il n’est pas sûr que le gouvernement recule véritablement car, entre temps , le Conseil d’Etat a définitivement tranché sur la question des 80  km/h. Le 24 juillet, il a validé le décret n°2018-487. La remise en cause sur le terrain du droit n'est donc plus à espérer ou à craindre. 

Maître le Dall, docteur en droit et vice-président de l'Automobile club des avocats intervient sur son site et LCI.fr.


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