PV : l'obligation de désignation d'un salarié après une infraction routière désormais plus difficile à contester

Maître Jean-Baptiste le Dall (édité par L. V.)
Publié le 11 janvier 2019 à 18h44, mis à jour le 15 janvier 2019 à 16h49

Source : JT 13h Semaine

LA CHRONIQUE AUTO - Avec quatre arrêts du 11 décembre 2018, la Cour de cassation vient considérablement compliquer la tâche des entreprises qui contestaient les avis de contravention dressés pour non désignation du salarié ayant commis une infraction routière. Maître Jean-Baptiste le Dall, avocat en droit automobile, décode pour nous les dessous de cette nouvelle jurisprudence.

L’obligation de désignation des salariés par l’employeur après la commission d’une infraction au Code de la route au volant d’un véhicule de société a déjà fait couler beaucoup d’encre et nous avons eu l’occasion d’en parler encore récemment dans la chronique auto de LCI.

Le 18 novembre 2016, était publiée la loi de modernisation de la justice du XXIème siècle qui venait, entre autres, retoucher le Code de la route.  Ce texte a ainsi instauré l'obligation pour les chefs d'entreprise de donner à l'administration identités et références de permis de conduire des salariés ayant commis une infraction au volant de l'un des véhicules de la société. Deux ans après, les interrogations juridiques autour de cette obligation étaient toujours nombreuses chez beaucoup de patrons, parfois incapables de désigner le responsable d’une infraction. 

Une obligation de désignation inscrite dans le Code de la route

C'est pourtant ce que leur impose depuis deux ans l'article L.121-6 du Code de la route :

"Lorsqu'une infraction constatée selon les modalités prévues à l'article L. 130-9 a été commise avec un véhicule dont le titulaire du certificat d'immatriculation est une personne morale ou qui est détenu par une personne morale, le représentant légal de cette personne morale doit indiquer, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou de façon dématérialisée, selon des modalités précisées par arrêté, dans un délai de quarante-cinq jours à compter de l'envoi ou de la remise de l'avis de contravention, à l'autorité mentionnée sur cet avis, l'identité et l'adresse de la personne physique qui conduisait ce véhicule, à moins qu'il n'établisse l'existence d'un vol, d'une usurpation de plaque d'immatriculation ou de tout autre événement de force majeure. Le fait de contrevenir au présent article est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe."

Depuis l’entrée en vigueur de ces dispositions début 2017, les avis de contravention pour non désignation des conducteurs fautifs ont été nombreux. Mais, à la surprise générale, ces avis n’ont pas été adressés au chef d’entreprise mais à la personne morale. En d’autres termes, à l’entreprise. C’est ce problème de destinataire de l’avis de contravention qui a permis à de nombreuses juridictions de faire droit aux contestations émises à l’encontre de ces avis de contravention pour non désignation du conducteur. 

Il est difficile de reprocher à quelqu’un la violation d’une obligation qui incombe à autrui

Et cela a notamment été le cas de le Cour d’appel d’Angers qui a clairement expliqué que "dès lors que l'article L.121-6 du Code de la route, qui a créé l’obligation de fournir des renseignements sur le conducteur, énonce que c'est sur le représentant légal de la personne morale que pèse cette obligation et non, comme cela aurait pu être envisagé et formulé, sur la personne morale par la voie ou prise en la personne de son représentant légal, l’absence de respect de cette obligation est une infraction qui ne peut être imputée qu'au représentant légal et non à la personne morale titulaire du certificat d'immatriculation ou détentrice du véhicule. Il peut être observé que cela n'exclut pas qu'une autre personne morale soit poursuivie, des lors qu'elle serait la représentante légale de celle qui est propriétaire ou détient le véhicule, l'article L.121-8 ne prévoyant pas de transmission en chaîne de cette obligation jusqu'à une personne physique, ce qui implique qu'il est possible que soit prononcée, en répression de cette contravention de non transmission d'informations, une amende quintuplée." (Cour d’appel d'Angers, arrêt correctionnel n° 5/I2,  du 20 septembre 2018, n° PG 1 18/00496).

Au lendemain des arrêts rendus par la Cour d’appel d’Angers, la Cour de cassation n’avait pas eu à proprement parler l’occasion de se pencher sur ce mécanisme d’obligation de désignation du conducteur. Avaient néanmoins été portées à la connaissance de la Cour de cassation des questions prioritaires de constitutionnalité (QCP), par lesquelles il est possible à l’occasion de poursuites pénales d’interroger le Conseil constitutionnel sur la conformité de telle ou telle disposition. 

Mais avant d’arriver devant le Conseil constitutionnel, ces  QPC doivent passer le filtre de la Cour de cassation qui ne transmet pas systématiquement toutes les questions. Pour ce qui concerne l’obligation de désignation, c’est tout de même une demi-douzaine de QPC qui a été bloquée par la Cour de cassation. Certains observateurs avaient pu, à l’époque, voir dans ces rejets successifs le signe avant-coureur de l’échec programmé des contestations émises à l’encontre des avis de contravention pour non-désignation du conducteur. 

Néanmoins, la lecture attentive des attendus (c'est-à-dire les paragraphes des décisions) utilisés à ces occasions par la Cour de cassation laissait espérer que la chambre criminelle confirmerait la position de la Cour d’appel d’Angers. La Cour de cassation rappelait, par exemple, le 4 avril 2018 que "l'obligation d'indiquer le nom du conducteur ne s'impose qu'au représentant de la personne morale qui a pris la responsabilité de lui remettre le véhicule ayant servi à commettre l'infraction" (Crim., n°18-90001). 

Un salve de quatre arrêts pour sauver le dispositif de désignation

C’est donc avec surprise que les juristes ont découvert la salve d’arrêts rendus par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 11 décembre 2018 (Cass. Crim. 11 déc. 2018, numéros 18-90020, 18-81320, 18-82820, 18-.82631). Avec ces quatre arrêts, la Cour de cassation est venue conforter la position de l’administration en permettant la poursuite des personnes morales (des entreprises donc), ou plus précisément en censurant les tribunaux qui avaient relaxé des personnes morales : 

"Vu l’article L. 121-6 du code de la route, ensemble l’article 121-2 du code pénal ; Attendu que le premier de ces textes, sur le fondement duquel le représentant légal d’une personne morale peut être poursuivi pour n’avoir pas satisfait, dans le délai qu’il prévoit, à l’obligation de communiquer l’identité et l’adresse de la personne physique qui, lors de la commission d’une infraction constatée selon les modalités prévues à l’article L. 130-9 du code de la route, conduisait le véhicule détenu par cette personne morale, n’exclut pas qu’en application du second, la responsabilité pénale de la personne morale soit aussi recherchée pour cette infraction, commise pour son compte, par ce représentant ; Attendu que, pour renvoyer la société X des fins de la poursuite, le tribunal énonce que les faits ne peuvent être imputés à la personne morale mais à son représentant légal ; Mais attendu qu’en statuant ainsi, le tribunal de police a méconnu les textes susvisés et le principe précédemment rappelé."

D’un point de vue juridique, en théorie rien ne s’oppose à ce que la responsabilité pénale de l’entreprise soit recherchée. Alors qu’au départ, une telle responsabilité ne pouvait être engagée qu’à partir du moment où un texte le prévoyait spécifiquement, les choses sont beaucoup plus souples aujourd’hui. 

Néanmoins la responsabilité de la personne morale implique l’identification précise de la personne qui aurait agi pour son compte et dans son intérêt. On pourra évidement s’interroger sur cette identification dans les cas où l’envoi d’un avis de contravention avec obligation de désignation ne serait suivi d’aucun paiement ou d’aucune contestation. Qui, réellement au sein de l’entreprise, n’aurait rien fait à la réception d’un tel avis ? Mais surtout les faits qui peuvent permettre la mise en cause de la responsabilité pénale de l’entreprise doivent avoir été accomplis dans son intérêt. Et l’on ne pourra que s’interroger sur l’intérêt pour une entreprise de devoir s’acquitter d’une amende au montant quintuplé alors que quelqu’un d’autre (certes son représentant légal) aurait pu lui éviter une addition qui peut s’avérer assez lourde. On rappellera que le montant d’une seule amende forfaitaire majorée s’élève déjà à 1875 euros. 

De telles considérations pourront être débattues devant les juridictions qui auront à connaître à l’avenir de ces contestations d’avis de contravention pour non désignation du conducteur. Les juristes les plus désabusés ne manqueront pas de regretter une décision d’opportunité, la responsabilité de la personne morale permettant à l’évidence une rentabilité financière bien plus forte du dispositif. 

Un objectif de rentabilité financière ?

On pourra, à ce titre, relire la réponse du ministère de la Justice à la question d’un parlementaire : "Ce choix (de viser la personne morale) permet également un levier dissuasif plus efficace, par la possibilité d’infliger une amende quintuplée, la loi du 18 novembre 2016 ayant pris le soin de préciser à l’article 530-3 du code de procédure pénale, que ce quintuplement s’appliquait aux amendes forfaitaires " (Question écrite n° 01091 de Jean-Louis Masson, réponse publiée au JO Sénat du 15 févr. 2018). 

Obligé de désigner des salariés pour des infractions commises avant l’entrée en vigueur de la loi ?

Et ces mêmes juristes pourront découvrir avec une certaine perplexité que la Cour de cassation a validé l’émission d’avis de contravention avec obligation de désignation pour des infractions ayant été commises avant l’entrée en vigueur des dispositions de la loi 18 novembre 2016.  En clair, des excès de vitesse commis par des salariés avant l’entrée en vigueur de la loi ont pu entraîner l’émission d’avis de contravention avec obligation de désignation du conducteur après l’entrée en vigueur de la loi. En telle hypothèse de nombreuses juridictions avaient relaxé les prévenus. Tel a, par exemple, été le cas du tribunal de La Roche-sur-Yon qui expliquait qu'une "infraction commise le 17 décembre 2016 ne peut permettre l'application d'un texte entré en vigueur postérieurement" (jugement du 30 mars 2018). 

Néanmoins, pour la Cour de cassation aucun problème : "L''avis de contravention pour non désignation du conducteur a été dressé le 8 juin 2017, soit postérieurement à l'entrée en vigueur de l'article L.121-6 du code de la route le 1er janvier 2017 ". Au-delà des grands principes de non rétroactivité, le simple bon sens milite contre l’envoi de tels avis de contravention. Certes, ils ont été émis après l’entrée en vigueur de la loi. Mais c’est justement l’entrée en vigueur de cette loi qui avait pour objectif de contraindre les sociétés à se mettre en état de désigner les salariés fautifs. Si par définition cette question d’application de la loi dans le temps ne changera pas grand-chose à l’avenir pour les conducteurs, la position de la Cour de cassation semble traduire, avec cette série de quatre arrêts, une volonté claire de venir sauver un dispositif mal conçu et mal appliqué. 

Maître Jean-Baptiste le Dall, docteur en droit et vice-président de l'Automobile club des avocats, intervient sur son blog et sur LCI. 


Maître Jean-Baptiste le Dall (édité par L. V.)

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