"Ce vaccin n'est quand même pas anodin" : faut-il se méfier du Gardasil ?

par Charlotte ANGLADE
Publié le 26 novembre 2018 à 10h50, mis à jour le 3 décembre 2018 à 9h31

Source : JT 20h Semaine

POUR OU CONTRE ? - En France, seules 17 % des jeunes filles sont vaccinées contre les papillomavirus, responsables de nombreux cancer, dont celui du col de l'utérus. Le taux de couverture vaccinale y est ainsi l’un d’un des plus bas en Europe. La faute, entre autres, à une méfiance concernant de possibles effets secondaires. LCI a interrogé une maman hésitante, un pédiatre et une oncologue. Ils nous livrent chacun leur point de vue.

"Je détiens un pouvoir qui peut effectivement lui éviter des tracas, mais qui peut aussi engendrer quelque chose de grave." Au téléphone, Virginie, maman de Shana, 12 ans, semble ne pas savoir sur quel pied danser. Alors que sa fille est en âge de recevoir des injections de Gardasil, ce vaccin qui lutte contre les papillomavirus (HPV) responsables de nombreux cancers ano-génitaux et ORL, elle hésite pour l'instant à donner son approbation au pédiatre.

"C’est vraiment cette idée d’effets secondaires qui me fait peur. Il y a quelques années, j’ai vu des témoignages de jeunes filles à la télé. Elles avaient eu des maladies auto-immunes ou neurologiques à la suite du Gardasil. Je crois qu’il y avait même le témoignage d'une mère qui parlait de cette responsabilité de parents, que je trouve justement assez tétanisante. On voyait qu'elle s’en voulait", se souvient Virginie. Et d'ajouter : "Mon pédiatre m’énerve quand il me dit qu'il n'y a que 'trois cas' par an dans le monde et que c’est donc un vaccin sans risque. Moi, je n’ai pas envie d’être dans les 'trois cas' !"

Le Gardasil, un bouc émissaire jusqu'ici innocenté

Pourtant, c'est vrai. Sur les centaines de millions de jeunes filles vaccinées depuis 2006, date du lancement de la première version du Gardasil, rares sont les cas d'effets indésirables. Fin 2013, des patientes avait bien déposé une plainte, accusant le vaccin d'avoir entraîné l'apparition de différentes pathologies, mais celle-ci a été classée sans suite. "Sclérose en plaques, thyroïdite… Il y a eu des cas rapportés mais quand on les a analysés, on s’est aperçu que les jeunes filles vaccinées n’avaient pas plus ce type de maladies que celles qui n’étaient pas vaccinées. Donc on peut dire que ces pathologies ne sont pas liées au vaccin", assure à LCI Robert Cohen, pédiatre et coordinateur de la plateforme InfoVac dédiée à l'information sur la vaccination.

Et si, en 2015, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) estimait "probable" une augmentation du risque de syndrome de Guillain-Barré après vaccination, à raison d'un à deux cas déclarés pour 100.000 filles vaccinées, une étude d'ampleur menée récemment au Canada, où un programme de vaccination a été lancé dès 2008, réfute tout lien de cause à effet entre le Gardasil et l'apparition de maladies auto-immunes. Publiées en mai dernier dans le Canadian Medical Association Journal, ces recherches ont été effectuées sur 300.000 jeunes filles au Canada.

Un vaccin aux effets secondaires "pas anodin"

Aujourd'hui, de nombreuses autorités, dont l'Organisation Mondiale pour la Santé ou encore la Haute Autorité pour la Santé, soutiennent après analyses et enquêtes que ce vaccin est parfaitement toléré et sûr. Selon Robert Cohen, seules des douleurs locales survenant sur la zone piquée ainsi que quelques malaises vagaux à cause de ces douleurs comptent parmi les effets secondaires. Des désagréments auxquels peuvent aussi s'ajouter gonflements, rougeurs, démangeaisons, saignements, maux de tête, nausées, malaises, fatigue, diarrhées, douleurs abdominales et maux de gorge, fait remarquer Véronique Chabernaud, oncologue et consultante en santé." Et d'ajouter : "L’enfant peut aussi, dans certains cas, faire l’objet de tremblements ou de rigidité". Pour elle, et même si les données semblent rassurantes sur les effets secondaires à long terme, "ce vaccin n'est quand même pas anodin".

De 3.000 à 6.000 nouveaux cancers par an dus aux papillomavirus

C'est d'ailleurs pour cette raison que Virginie, qui se réclame "de la vieille école", invoque la simplicité de l'option du frottis. "Je me base sur ma propre génération et je me dis que finalement, on a pu se protéger, même si ce n'est peut-être pas à 100%, des cancers du col de l’utérus avec le frottis. Je pense que je préfère dire à ma fille de se faire faire un frottis tous les ans et qu’elle soit très sérieuse là-dessus plutôt que de lui faire administrer un vaccin avec lequel je ne sais pas si elle peut avoir des effets secondaires."

Mais, rappelle le docteur Robert Cohen, également infectiologue et praticien au CHI de Créteil, le frottis ne va détecter une lésion cancéreuse qu'une fois celle-ci apparue, tandis que le vaccin tue la quasi-totalité des virus qui pourrait engendrer la formation de celle-ci. D'autre part, les papillomavirus visés par le Gardasil ne sont pas responsables que du cancer de l'utérus. Ils peuvent aussi engendrer des cancers de la vulve, de l'anus, de la langue, de la bouche, etc., qui ne seront pas détectables grâce au frottis.

Des bénéfices espérés, mais pas si certains

Pour Véronique Chabernaud, il est cependant important de rappeler que pour l'heure, nous n'avons aucun recul sur l'efficacité du vaccin. "Le problème, c’est qu’on l’aura dans vingt ans. […] Les cancers se développent plutôt entre 40 et 60 ans et on vaccine des jeunes filles de 9 à 15 ans." Ainsi, il est à l'heure actuelle impossible d'affirmer si le vaccin préviendra, ou pas, et dans quelles proportions, les cancers liés aux HPV. "Même le site de Sanofi indique que la vaccination 'a le potentiel', et donc non la certitude, de réduire le nombre de cancers anaux-génitaux et les condylomes génitaux causés par le HPV", note-t-elle. "Il y a un petit côté boule de cristal".

Malgré tout, le "bénéfice [du vaccin] est clair" et ne fait aucun doute pour le pédiatre. "En tout, il y a en France 3.000 à 6.000 nouveaux cancers par an, dont la moitié qui concernent le col de l'utérus. Quand on sait que vous avez 400.000 filles qui naissent chaque année, si vous faites le ratio, plus d’une sur cent va développer un cancer", insiste-t-il. L'oncologue, elle, rappelle que "cette vaccination reste la décision des parents, en sachant que le bénéfice-risque reste incertain, mais que les données de sécurité sont rassurantes".


Charlotte ANGLADE

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