"Je ne retrouverai plus jamais l’odorat" : atteint d'anosmie, il raconte son "calvaire"

Publié le 27 février 2020 à 13h12, mis à jour le 28 février 2020 à 18h27
"Je ne retrouverai plus jamais l’odorat" : atteint d'anosmie, il raconte son "calvaire"
Source : iStock

TÉMOIGNAGE – La journée mondiale de l’anosmie, une pathologie méconnue qui se caractérise par l’absence d’odorat, s'est tenue jeudi. Touché par ce trouble invisible mais très handicapant, Bernard Perroud, président de l’association française pour l’anosmie et l’agueusie (la perte du goût), raconte son quotidien à LCI.

L’odeur des aliments, des fleurs, de la mer... Cette sensation indispensable à la vie, des centaines de milliers de Français ne l’ont plus. Ils sont touchés par ce que l’on appelle l’anosmie, un trouble marqué par l’absence d’odorat. Plus encore que les odeurs, les personnes touchées perdent une partie du goût des aliments. A l'occasion de la journée mondiale dédiée à cette pathologie qui s'est tenue jeudi 27 février, LCI a interrogé Bernard Perroud, président de l’association française pour l’anosmie et l’agueusie. Lui-même touché par ce trouble, il témoigne.

LCI : L’anosmie est particulièrement méconnue. Comment se caractérise-t-elle ?

Bernard Perroud : C’est tout simplement une absence d’odorat. Il en existe deux types : l’anosmie acquise, qui survient au cours de la vie, et l’anosmie congénitale, avec des enfants qui naissent sans système olfactif. Cette dernière concerne environ une naissance sur 40.000.

Qui peut être concerné par cette pathologie ?

Potentiellement tout le monde. L’anosmie acquise peut découler d’un traumatisme crânien, d’une attaque virale, de tumeurs... C’est un handicap qui touche près de 3 millions de personnes en France. Tous les âges sont concernés, il n’y a pas non plus de différences en fonction du genre. Cela peut donc toucher n’importe qui et n’importe quand.

Une vie se construit autour des odeurs
Bernard Perroud

Vous faites partie des personnes atteintes par ce trouble, comment est-ce survenu ?

En 2007, à Tahiti, j’ai fait une banale chute en arrière dans un escalier. Je suis tombé très lourdement sur l’arrière du crâne. Passé ce premier choc, je suis parti au travail, où je me suis rendu compte que je n’avais plus d’odorat. Je suis immédiatement allé voir un ORL. Des examens ont été passés et le couperet est tombé : je ne retrouverai plus jamais l’odorat. C’était très difficile à encaisser.

Qu’est-ce que cela a changé dans votre quotidien ?

Cela m’a valu des années de dépression, car une vie se construit autour des odeurs, qui sont aussi des souvenirs. Dès qu’il s’agit de marcher dans les bois ou de passer à côté d’une boulangerie, le nez est à la base de nos appétits et de nos enthousiasmes. C’est donc vraiment difficile de vivre sans.

Ce trouble affecte également le goût...

Oui, j’ai eu de grosses difficultés à me nourrir, parce que j’avais perdu 80% des composantes du goût. Il ne me restait que 4 saveurs essentielles : le sucré, le salé, l’amer et l’acide. Au bout de quelques années, j’ai réussi à rééduquer mon goût à travers des exercices très personnels, car il n’existe aucune méthode. Par exemple, je mange la viande et les légumes à part, pour essayer de capter chacune des saveurs.

Aujourd’hui, cela va mieux. Je suis content de passer à table, ravi d’aller au restaurant, j’ai retrouvé des sensations gustatives... Les yeux bandés, je suis capable de reconnaître de nombreuses saveurs : la tomate, des charcuteries, certains légumes...

C’est comme si la vie était devenue en noir et blanc : il y a quelques nuances mais il manque l’essentiel
Bernard Perroud, président de l'association française pour l'anosmie et l'agueusie

Quel regard la société porte-t-elle sur ce trouble ?

Elle s’en fout, elle ne connaît pas le problème. Beaucoup minimisent, en disant que ce n’est pas parce que nous n’avons pas l’odorat que nous ne pouvons pas travailler. Mais quel est notre intérêt de travailler si nous n’avons plus du tout goût à la vie ? C’est également très compliqué de se mêler aux autres. De plus, les personnes impactées ont souvent honte de ne plus avoir d’odorat. Nous n’arrivons pas à fédérer les trois millions de personnes atteintes par ce trouble. Pour beaucoup, elles se cachent. Nous arriverons à faire changer les choses, mais cela va prendre beaucoup de temps.

Vous parlez de perte du goût à la vie, cela arrive jusqu'à ce point ?

Complètement, parce qu’il y a une limitation des activités. Personnellement, je vis au bord de la mer, mais je ne ressens aucune odeur. Si je marche avec quelqu’un qui n’a pas ce trouble, cette balade va le ressourcer. Moi cela va plutôt me frustrer, puisqu’il me manque une grosse partie de l’ambiance. C’est très particulier à vivre. Traverser un marché pour un anosmique est un calvaire. C’est comme si la vie était devenue en noir et blanc : il y a quelques nuances mais il manque l’essentiel.

Où en est la médecine à ce sujet ?

Elle ne fait pas spécialement de progrès parce qu’elle se repose sur la science. Mais la science n’a aucun budget pour traiter de l’odorat. Un des deux centres de soins et de diagnostic qui existent en France va d’ailleurs fermer car pour eux, l’anosmie n’a pas d’intérêt. 


Idèr NABILI

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