Des maires interdisent sa vente aux mineurs : le "proto", ce gaz hilarant en vogue, est-il dangereux pour la santé ?

par Charlotte ANGLADE
Publié le 19 juillet 2019 à 13h33, mis à jour le 19 juillet 2019 à 17h43

Source : Audrey and co

DROGUE - Il était très populaire dans les années 90, lors des free parties et des technivals. Alors que le dernier rapport annuel de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) faisait état d'un retour du "proto", ou protoxyde d'azote, dans le milieu de la fête, deux maires du Nord viennent d'interdire sa vente aux mineurs. Bon marché, cette drogue est en effet très prisée des jeunes. Nous avons demandé à une neurologue quels effets cela pouvait avoir sur la santé.

"Mon premier 'balloon', c'était il y cinq ou six ans. Mes potes m'en ont proposé en soirée. Maintenant j'en pends à peu près cinq fois par an, raconte Anna, une Parisienne de 25 ans. T'es défoncé pendant 30 secondes à peu près. Tu pars un peu dans le cosmos, tu te marres et t'es un peu désorienté." Comme elle, histoire de planer quelques secondes, de plus en plus de jeunes utilisent ces "balloons", des ballons de baudruche remplis de protoxyde d'azote ou "proto", un gaz hilarant également utilisé comme anesthésique en milieu hospitalier. 

Le rapport annuel de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), publié en décembre 2018, notait la résurgence du protoxyde d'azote, notamment en soirées "médecine" à Bordeaux, Lyon, Paris et Lille. Selon une enquête de la mutuelle étudiante Smerep publiée l'an dernier, le "proto" est même la troisième drogue la plus utilisée par les étudiants, derrière le cannabis et le poppers. Un phénomène face auquel les responsables politiques commencent à prendre des mesures : deux maires de la métropole lilloise, ceux de Wattrelos et La Madeleine, viennent d'ouvrir la voie en interdisant par arrêté la vente de protoxyde d'azote aux mineurs, rapporte La Voix du Nord.

Car ce gaz hilarant, tout à fait légal, se trouve très facilement dans le commerce. "Ça s'achète dans les hypermarchés, explique Anna. Ce sont les petites capsules que l'on met dans les bonbonnes de chantilly par exemple." Ensuite, il suffit de transvaser le protoxyde d'azote dans un ballon de baudruche grâce à un "cracker", un mini-siphon coloré que l'on peut trouver sur internet pour une dizaine d'euros. Ne reste plus qu'à tout aspirer, expirer dans le ballon, aspirer à nouveau et ainsi de suite.

Des dangers importants en cas de forte consommation

"On le fait surtout en groupe en soirée. Une fois que tout le monde a son ballon gonflé, on se réunit et on fait le décompte. La plupart du temps, on prend des double ou des triple doses", dit Anna. "C'est sympa parce que tu fais ça à plusieurs, et ce n'est pas ultra dangereux", croit-elle savoir. Pas dangereux, ce ne sont pas tout à fait les termes employés par le docteur Philippa Lavallée, neurologue à l'hôpital parisien Bichat. Selon elle, la consommation de gaz hilarant, déjà identifiée chez les dandy anglais des XVIIIe et XIXe siècles, est "globalement sans danger", sauf en cas de consommation trop importante. Soit une utilisation quotidienne à forte dose.

Car au-delà des nausées, maux de tête et vomissements qu'il peut causer, le protoxyde d'azote peut être à l'origine de troubles du rythme cardiaque ou de la tension, mais aussi d'une carence en vitamine B12. Celle-ci peut provoquer des affections de la moelle épinière qui peuvent entraîner "des troubles moteurs et sensitifs des quatre membres qui, en l’absence de traitement rapide, sont définitifs", informe la neurologue. "Les premiers cas ont été rapportés dans les années 70 par les dentistes, les anesthésistes et les infirmières qui utilisaient ce gaz comme anesthésique 'léger', notamment aux Etats Unis."

Il y a quelques mois, le docteur Philippa Lavallée a admis dans son service un trentenaire atteint de tétraplégie et d'incontinence liées à l’inhalation répétée de protoxyde d’azote. "La consommation était intense et quotidienne suite à une déception amoureuse", précise le médecin. Sa carence en vitamine B12 a par chance été diagnostiqué tout de suite par une jeune urgentiste, ce qui lui a permis de recevoir "immédiatement un traitement vitaminique". A sa sortie de l'hôpital, l'homme ne gardait que des troubles de l’équilibre modérés.

Quand l'environnement peut démultiplier la dangerosité de la consommation

La consommation dans une voiture fermée ou l’inhalation la tête dans un sac hermétique peuvent cependant conduire à des accidents mortels, avertit le docteur Philippa Lavallée. Cela "diminue la quantité d’oxygène en même temps que celle de protoxyde d’azote augmente, ce qui peut conduire à des épisodes de suffocation". L'inhalation du gaz directement depuis le goulot de la capsule peut également causer un pneumomédiastin, c’est-à-dire une rupture du poumon par hyperpression.

Egalement interrogé par LCI, Jean-Charles Dupuy, vice-président de SOS Addictions, conseille de son côté avant tout d'être dans de bonnes conditions en cas de consommation de gaz hilarant. "Si vous n'êtes pas entouré, vous pouvez tomber dans les pommes, vous retrouver n'importe où, avoir un accident de la circulation..."

Si le protoxyde d'azote ne créé pas d'addiction, son très bas coût fait malgré tout de lui une drogue très utilisée chez les jeunes. En Angleterre, dix-sept personnes en sont décédées entre 2006 et 2012, deux en France depuis 2016. Notamment suite à des crises cardiaques résultant d'une surconsommation. 

Dans le cas où vous découvriez que votre enfant est utilisateur de gaz hilarant, "il faut avant tout en parler avec lui, et jamais dans le conflit car cela n'amène à rien", conseille Jean-Charles Dupuy. En cas de forte consommation, le spécialiste des addictions conseille de le diriger vers un centre de soins, d’accompagnement de prévention en addictologie (CSAPA). 


Charlotte ANGLADE

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