Antoine Desrosières, réalisateur d'A genoux les gars : "Les abus tels qu'on les montre dans le film ont lieu dans tous les lycées"

Publié le 20 juin 2018 à 18h01
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Source : Sujet JT LCI

BOMBE - Le très culotté "A genoux les gars", en salles ce mercredi, ne craint pas de parler crûment de sexualité et d'abus en laissant la parole à ses jeunes protagonistes, experts "ès tchatche". Au-delà de l'argument choc, il s'agit d'une représentation de l'adolescence en France, à l'abri des tabous et des clichés.

Et si la jeunesse française s'exprimait enfin librement dans un film, tel un réseau social sur grand écran, dans un flux de tchatche, de provoc et de vécu ? Surprise, ce film "à hauteur d'ados" existe, il s'intitule À genoux les gars, il sort en salles ce mercredi et il est explosif.

On y voit deux sœurs très complices se posant une multitude de questions sur les choses de la vie (l'amour, le désir, le sexe etc.) et découvrant autant de cruelles désillusions lorsqu'elles sont confrontées à un chantage à la "sextape". Soit Yasmina, la plus jeune, qui, sous pression de son petit copain, fait une fellation au petit ami de sa frangine dans un parking. Comble du malaise, la scène est filmée, elle risque d'atterrir sur les smartphones de tous et, on le redoute, sur les réseaux sociaux. Honte, colère puis désir de vengeance (comme le laisse entendre le titre du film) se succèdent dans la tête des deux jeunes femmes qui vont tenter de reprendre le contrôle de la situation à l'ère 2.0, tout en assumant leur sexualité dans une société "overdosée" de tabous.  

REGARDEZ. Un premier teaser du film "A genoux les gars" Source : Sujet JT LCI
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S'inspirant d'une histoire vraie d'abus sexuel chez des ados, le réalisateur Antoine Desrosières (47 ans) a donné carte blanche à la jeunesse, à ses formidables comédien.ne.s en verve, Souad Arsane et Inas Chanti, également créditées au générique comme coauteures du scénario. Ensemble, ils ont donné lieu à ce film audacieux qui arrive dans la foulée du mouvement de libération de la parole sur les abus sexuels et de la vague #MeToo

De la sexualité contrariée à l'impact du virtuel dans les vies adolescentes, À genoux les gars tend à démolir tous les clichés tenaces sur la jeunesse française et, en ce sens, par sa franchise, par son audace, il traduit ce que signifie être ado en 2018 avec toutes les nouvelles problématiques que cela revêt.

Revenge porn

Passé le postulat choc dont tout le monde parle (raconter cette affaire de revenge porn et de manipulation psychologique avec légèreté), que nous raconte A genoux les gars sur les adolescents en 2018 ? 

Dans un premier temps, une éducation sexuelle au porno mais aussi une éducation sentimentale absente ; pour autant, le porno n'y est pas désigné comme le démon responsable de tous les maux sociaux : "Réglons surtout le problème d'une société qui reprouve le sexe hors mariage avant de s'attaquer à la consommation de porno, assure Antoine Desrosières. Peut-être qu'il y aurait déjà moins de tabou, peut-être parlerait-on plus facilement du désir, peut-être serait-on moins prisonnier des stéréotypes. C'est pour cela que Yasmina est brutalement propulsée dans la sexualité, au lieu de trouver ce qu’elle désire, elle commence par se conformer à ce qu’elle croit qu’il faut faire. Je n’ai absolument rien contre la pornographie, ce n’est qu’un symptôme de l'époque. Et si elle peut être mauvaise pour l’éducation des jeunes, c’est à cause du tabou sexuel, de la culpabilisation du sexe : quand on aura passé ce cap dans notre société, la représentation du sexe devient peut-être belle et formidable et donc plus bénéfique aux adolescents."

Certains tiquent sur la manière dont les personnages du film parlent mais, à Neuilly, les jeunes parlent comme dans notre film…
Antoine Desrosières, réalisateur de "A genoux les gars"

Derrière le rire de la fiction (car le film n'est pas exempt d'humour, ce qui est gonflé), subsiste le malaise du réel. Antoine Desrosières aimerait bien que l'on prenne la mesure d'une telle histoire d'abus sexuel, moins marginale qu'il n'y paraît : "On lit parfois dans les faits divers des histoires de sextape avec des suicides, mais c’est la partie émergée de l’iceberg des abus. Les abus tels qu'on les montre dans À genoux les gars ont lieu dans tous les lycées, de tous les quartiers, pas seulement en banlieue. Ce qu’on raconte est transversal au milieu social, voire même à l’âge. Ces abus-là sont d'une banalité confondante, cela n’a hélas plus rien d’exceptionnel. N’importe quelle jeune femme les connait." 

REGARDEZ. Un autre teaser de "A genoux les gars"Source : Sujet JT LCI
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D'où la volonté de ne surtout pas confiner A genoux les gars à un "phénomène de banlieue" ou autre : "Certains tiquent sur la manière dont les personnages du film parlent mais, à Neuilly, les jeunes parlent aussi comme dans notre film… C’est une question de génération et non une question de classe sociale ou de religion. Citer une religion revient à toutes les citer, on pointe avant tout leurs méfaits sur le rapport au sexe dans la société. Aussi, dans sa volonté d'universalité, la question que soulève A genoux les gars est simple : pourquoi ceux qui détestent le film réduisent-ils les deux héroïnes à "deux femmes d’origine maghrébine" ? Pourquoi l’universalisme d’un problème social ne pourrait être incarné que par des blancs ?" 

La perception du film par les ados

Selon Desrosières, la manière dont A genoux les gars a été reçu lors des avant-premières démontre sa force de frappe sur la jeunesse dépeinte : "Après une projection, une jeune femme a pris la parole avant de partir au milieu du débat parce qu’elle se sentait très mal. Quelques heures plus tard, elle avait envoyé un très long message sur Facebook à l’une des deux actrices du film dans lequel elle racontait son histoire personnelle et pourquoi ce film l’avait remuée. Elles se sont parlé au téléphone entre minuit et deux heures du matin. Ce n’est pas un cas isolé, des réactions comme ça, on en a tout le temps." 

Antoine Desrosières se souvient également d'une projection marquante dans un lycée quelques semaines plus tôt : "Quand je demandais après la projection aux élèves présents dans la salle de classe s’ils connaissent des cas similaires à celui que l’on voit dans le film, ils me riaient au nez en me disant que non, ça n’existait pas. A midi, je déjeune avec la prof qui me dit que dans la salle, il y avait bien une fille qui taillait des pipes pour 5 euros dans les chiottes du lycée et qu’il y avait bien trois-quatre clients. Quelques jours plus tard, j'ai reçu un mail d’élève m’avouant que le film les avait tous remués intimement et qu’en gros, plus rien ne serait comme avant. Quand j’entends des choses pareilles, j’en ai la chair de poule. Je me dis que le film fait son travail, il ne le fait pas facilement, il ne le fait pas en douceur, il ne le fait pas en caressant dans le sens du poil, il ne le fait pas avec des gens qui sortent indemne de la projection. Et on est qu’au début de ce travail…"

Outil pédagogique

Que le film plaise ou pas, qu'il marche ou pas au box-office, peu importe : À genoux les gars restera dans les esprits. Preuve de l'enthousiasme grandissant : après un passage remarqué au dernier Festival de Cannes (dans la sélection officielle "Un certain regard"), les histoires de Rim et Yasmina vont être développées en web série de 30 épisodes de 10 minutes diffusés de la semaine prochaine à décembre 2018. Un format qui sied pleinement au traitement voulu par Desrosières, en pleine interaction avec le jeune spectateur : "C’est, je le crois, plein d’intérêt : tout à fait inédit comme expérience, la série faisant connaître cet univers et ces personnages aux jeunes, adeptes des smartphones et tablettes, prioritaires pour notre propos. On compte bien que cette mise en lumière les attire en salles pour voir toute l’histoire d’un coup sans attendre décembre… Nous souhaitons ainsi que le film et la série créent une synergie positive qui profite aux deux." 

En d'autres termes, À genoux les gars est, en plus d'être un film, un outil qui ne marche que si les jeunes s’en emparent. D'autant que, conclut Desrosières, "ceux qui en ont besoin sont plus nombreux qu’on le pense".

A genoux les gars, en salles le 20 juin


Romain LE VERN

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