Pour Paul Verhoeven, réalisateur de "Elle", "Isabelle Huppert est un miracle"

Publié le 25 février 2017 à 0h23, mis à jour le 25 février 2017 à 0h30
Pour Paul Verhoeven, réalisateur de "Elle", "Isabelle Huppert est un miracle"

INTERVIEW - Le réalisateur Paul Verhoeven, baptisé "le Hollandais violent", a passé sa carrière aux Pays-Bas et aux États-Unis à bousculer les mœurs et à filmer des personnages féminins extrêmement forts. Avec "Elle", Golden Globe du meilleur film en langue étrangère et César 2017 du meilleur film, il continue en France, offrant un rôle en or à Isabelle Huppert, elle aussi auréolée d'un Golden Globe et César de la meilleure actrice. Retour sur une rencontre artistique fusionnelle et fabuleuse.

 Dix ans après son excellent Black Book, Paul Verhoeven revient en France aux commandes de Elle, une adaptation de Oh…, un roman de Philippe Djian, écrivain déjà adapté au cinéma (37°2 le matin de Jean-Jacques Beineix ou récemment L’amour est un crime parfait des frères Larrieu). C’est le producteur Saïd Ben Saïd qui lui a soumis ce projet et il n’était pas question de l’appeler «Oh»: «Le titre du roman rappelait trop Histoire d’O que le producteur français Pierre Braunberger m’avait d’ailleurs proposé d’adapter immédiatement après Turkish Delight

Pendant les dix années qui séparent Black Book de Elle, Paul Verhoeven était en train de développer un projet de film sur Jésus de Nazareth, un autre sur le milieu des cartels de drogue mexicains intitulé Rogue ainsi qu’une adaptation du roman anticolonialiste de Louis Couperus, La Force des ténèbres. Mais il peinait à trouver les financements nécessaires. Saïd Ben Saïd ne pouvait pas faire meilleur choix. 

J’avais une connaissance très limitée de la France, je connaissais quelques acteurs comme Isabelle Huppert qui est un miracle et je faisais un saut dans l’inconnu.
Paul Verhoeven

Tourner en France, c’est comment quand on a connu Hollywood?
Paul Verhoeven:
Totalement inédit pour moi. J’avais une connaissance très limitée, je connaissais quelques acteurs comme Isabelle Huppert qui est un miracle et je faisais un saut dans l’inconnu. Au final, je ne regrette rien. Le producteur Said Ben Said s’intéressait à mon cinéma et de la même façon qu’il a soutenu David Cronenberg et Brian de Palma, il voulait me proposer d’adapter ce roman de Philippe Djian. Un roman que je ne connaissais pas. Je l’ai lu et j’ai dit oui tout de suite. David Birke, le scénariste, a rédigé un premier scénario et l’avantage, en travaillant avec un scénariste américain, c’est que la construction est très structurée, propre aux traitements américains. Par la suite, je me suis entouré d’acteurs que j’ai castés et choisi le chef-opérateur Stéphane Fontaine dont j’avais repéré le travail sur De battre mon cœur s’est arrêté et Un Prophète de Jacques Audiard. 

je n’ai pas été aussi virulent en France qu’aux Pays-Bas ou aux États-Unis.
Paul Verhoeven

Dans Elle, vous saisissez bien quelque chose de toxique dans la petite bourgeoisie en France, comme Luis Buñuel lorsqu’il est venu en France pour tourner des films dans les années 70…
Paul Verhoeven:
Sans doute mais je vais être très honnête avec vous: je n’ai pas été aussi virulent en France qu’aux Pays-Bas ou aux États-Unis. Dans Elle, je reste très soft même si je me moque beaucoup du jeune couple de voisins bigots joués par Virginie Efira et Laurent Lafitte. C’était avant tout de l’anticléricalisme. Je ne suis pas croyant mais je suis passionné par la vie de Jésus, j’ai écrit d’ailleurs un livre dessus et j’ai essayé de monter un projet d’adaptation. Mais je ne peux pas résumer ce couple de voisins bigots aux Français moyens. Pour la simple et bonne raison que je ne connaissais pas assez bien la France au moment de démarrer le tournage de Elle pour me permettre un jugement. S’il y a des traces de subversion, c’est parce que je me suis contenté de suivre le roman de Philippe Djian qui était déjà costaud. Réaliser Elle reste un défi audacieux en ce qui me concerne, aussi bien en termes de culture que de langage. 

J’aime la provocation, j’aime le politiquement incorrect. Que voulez-vous? J’adore ça, je n’y peux rien!
Paul Verhoeven

De toute évidence, il est hors de question pour vous de céder au politiquement correct, à l’heure où tous les cinéastes subversifs des années 80-90 baissent les armes.
Paul Verhoeven:
J’aime la provocation, j’aime le politiquement incorrect. Que voulez-vous? J’adore ça, je n’y peux rien! Pour ma défense, je n’ai rien inventé sur Elle. Toutes les perversités étaient déjà dans le roman de Philippe Djian. Si quelqu’un n’est pas content et trouve ça indécent, qu’il aille se plaindre auprès de Djian! Je n’ai rien imaginé, je n’ai fait que filmer! (il rit). C’est toute la différence entre l’écrit et le visuel. Devant un film, les spectateurs ont tendance à penser que ce qui se passe à l’écran peut être vrai alors que dans un livre, on peut écrire ce que l’on veut sans souffrir de la moindre contestation puisque ça travaille votre imagination. C’est sans doute parce qu’il donne un visuel à cette intrigue que le film peut s’avérer plus dérangeant que le roman. Il faut abandonner toute explication Freudienne, toutes les options sont ouvertes, c’est au public de décider, d’interpréter ce qu’il voit. 

Propos recueillis par Romain Le Vern


Romain LE VERN

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