Mais que pensent les journalistes des blogueurs ciné ?

Publié le 22 janvier 2014 à 17h57
Mais que pensent les journalistes des blogueurs ciné ?

ENQUETE - La blogosphère cinéma française est l'une des plus actives et prolixes d'Europe si bien que de nombreux distributeurs s'y penchent. Face à cet engouement, Metronews a interrogé un panel de journalistes sur ces critiques en ligne.

Depuis quelques années, la blogosphère cinéma française, l'une des plus denses d'Europe, intéresse de plus en plus les distributeurs, qui voient en elle un moyen de communication formidable. Sans pour autant se détacher, en audience, des médias traditionnels, certains blogueurs disposent d'un lectorat large. Et il y en a pour tous les goûts : des blogs parodiques, des blogs de critiques de vieux films, des blogs spécialisés dans les blockbusters... et plus si affinités. S'ils ne sont pas prescripteurs, force est de constater qu'ils volent quelques clics aux supports historiques. Face à leur vitalité et leur dynamisme, Metronews a interrogé des journalistes de cinéma sur cette émergence. Les blogueurs sont-ils une menace ? Ont-ils une légitimité ? Réponses...

Romain Blondeau (Les Inrocks)
"La plupart des blogs et revues en lignes que je connais sont à mon sens assez conservateurs. Ils reproduisent tous les schémas classiques de la presse – reprise de dépêche, critique, interview…-, sans chercher à inventer de nouvelles formes de journalisme ou à profiter des libertés, en termes d’espace et de technologie, à leur disposition. Et souvent, leur idée est de revenir au papier, comme si Internet n’était qu’une zone transitoire, un peu bâtarde. Tout ça ne me semble ni très neuf ni très inventif."

Christophe Narbonne (Première)
"Le blogueur cinéma n’est pas l’ennemi du journaliste cinéma, qui n’est pas l’ennemi du blogueur cinéma. Le problème, c’est que le premier a parfois tendance à se prendre pour le second, qui, lui, ne se prend par pour le premier, ce qui peut générer de l’incompréhension et de l’amertume ! Les aspirations des uns et la légitimité ressentie comme telle par les autres semblent incompatibles et, pourtant, elles se rejoignent sur un point : l’amour du cinéma. C’est ça qui compte, et pas la primauté d’une « corporation » sur une autre, perception qui, au final, est contre-productive et confuse pour le lecteur."

Alain Spira (Paris Match)
"C’est bien connu, en France, il y a autant de critiques de cinéma que de (télé)spectateurs ! Grâce au web, chacun peut faire connaître son point de vue sur le 7ème art. Mais un avis, tout le monde en a. En revanche, très peu savent l’exprimer avec professionnalisme, voire pertinence. Du coup, les blogs sont trop souvent les cafés du commerce de la cinéphilie. Se demander si les blogueurs font de l’ombre aux journalistes reviendrait à se poser la question de savoir si les automobilistes concurrencent les pilotes… C’est pourquoi un blogueur qui s’exprime sur le Net n’a, à mes yeux, ni plus ni moins de légitimité que s’il écrivait pour la page Courrier des lecteurs d’un journal. Sans rien retirer au fait que leurs propos sont souvent dignes d’intérêt, les blogueurs restent des amateurs. Même si quelques-uns ont bien plus de talent et de rigueur que certains journalistes."

Noémie Luciani (Le Monde)
"N’ayant pas étudié le journalisme, j’ai fait mes armes de critique dans l’espace libre du blog, qui m’a aidée à définir un style, distinguer des affinités et des faiblesses. Je pense que le 'problème' des blogs est purement numérique : il y en a une infinité, dont une petite partie seulement sait être exigeante au-delà des plaisirs nombrilistes du défouloir et de l’exhibition d’opinion, pour apprendre de la liberté dont elle dispose. Mais ces rares excellents ne sont pas toujours les plus lus."

Philippe Rouyer (Positif)
"Puisque chacun ou presque peut tenir son blog, il est inévitable que tous les blogs ne se valent pas. C’est donc par le contenu qu’il produit que le blogueur peut gagner une légitimité. Son travail ressemble à celui du journaliste à la différence qu’il n’est pas ou peu payé pour le faire et qu’il n’est donc pas soumis aux mêmes impératifs. Après, l’amateur peut-il égaler ou dépasser le professionnel ? Pourquoi pas. Il me semble d’ailleurs que les meilleurs blogueurs basculent vite dans les publications professionnelles, quand ils n’y travaillent pas déjà. Il m’arrive de jeter un œil sur les blogs de gens que je connais, mais cela reste occasionnel. Il faut dire que je ne fréquente pas non plus les réseaux sociaux, faute de temps."

Olivier Benkemoun (I-télé)
"Tout le monde peut avoir un avis sur un film. C’est la source même de la discussion. La critique appartient à tout le monde. Les blogueurs font courir le buzz. Raison pour laquelle les studios les choisissent. La question de leur impact est discutable. Mais ils ont la chance d’être lu et sont une pierre de plus dans le complexe édifice marketing que constitue la promotion d’un film. Pour moi, ce ne sont pas des journalistes mais des transmetteurs d’infos. Ils jouent pour leur propre égo et ne font souvent que copier-coller des infos glanées de sites en sites. Je ne lis que les blogs animés par des journalistes et ceux qui prennent le temps de revenir sur des classiques du cinéma. Des blogueurs cinéphiles passionnés qui contrairement aux journalistes de news ont le temps de décortiquer, d’analyser, de disséquer."

Stéphane Boudsocq (RTL)
"La question n’est pas de savoir si l’avis des blogueurs cinéma est pertinent, où s’ils représentent un 'danger' pour les professionnels de la profession. Les blogs sont un nouveau média, une nouvelle façon de parler du cinéma, comme de la mode, de la cuisine, de la politique ou du sport. Certains journalistes  utilisent d’ailleurs ce vecteur pour approfondir leurs papiers 'traditionnels' ou leurs rendez-vous dans les médias. Pour quelle raison alors les blogueurs ne pourraient-ils pas en faire de même ? Ceci étant dit, il faut évidemment que les informations ou sentiments exprimés dans un blog aient un minimum de pertinence et de fondement… Pour les attachés de presse, le phénomène est d’autant plus intéressant qu’il leur permet de toucher un public souvent plus jeune et de démultiplier les moyens d’atteindre le public, la cible, lors de la promotion d’un film."

Marie Sauvion (Marie France)
"Face au rouleau compresseur de la promo, même les journaux ont du mal, donc je me demande si les blogs sont armés pour résister. Les attachés de presse leur font-ils la cour parce qu'ils sont plus dociles ? Plus originaux ? Plus prescripteurs ? Plus modernes ? Plus "viraux" ? J'ai grandi en lisant des critiques, dans Télérama ou Première, pour ne citer qu'eux, et j'attendais leur avis avec impatience, quitte à ne pas être d'accord du tout à l'arrivée. Ça me passionnait, comme j'imagine que certains se passionnent aujourd'hui pour la critique de tel ou tel blogueur. Je n'ai pas le temps d'en lire, je reste fidèle au papier, c'est peut-être une question de génération. Une question de plume, aussi. Quand il m'arrive de tomber sur un blog, au détour d'un réseau social, je suis rarement séduite par l'écriture. Or, pour moi, c'est essentiel dans une critique, au-delà de l'avis qu'elle formule sur un film."

Baptiste Liger (Lire)
"Il est difficile de ne pas toujours en revenir à la sacro-sainte phrase de François Truffaut selon laquelle 'tout le monde a deux métiers : le sien et critique de cinéma'. Alors, pourquoi pas les blogueurs ? La subjectivité fait qu’il y a, par essence, une égalité entre les spectateurs – ce qu’a accentué la libéralisation médiatico-numérique. Ceci dit, les critiques dits « professionnels » ont dû dès lors évoluer dans leur rôle – qui dépasse le jugement de valeur et l’enthousiasme - : l’information et sa hiérarchie, le tri, l’analyse, le contrepoids ou le complément de la communication."


La rédaction de TF1info

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