RENCONTRE - Huit ans après son premier film, Amanda Sthers revient avec "Madame", une comédie qu’elle a écrite sur mesure pour la comédienne espagnole Rossy de Palma. L’occasion pour LCI de s’entretenir avec la romancière et cinéaste, qui vit désormais aux Etats-Unis. Et livre un regard sans concession sur ce pays qui est encore secoué par l'affaire Weinstein.
Difficile de lui dire non. Lorsque Rossy de Palma, fan de son travail, contacte Amanda Sthers pour lui dire qu’elle rêve de travailler avec elle, la jeune femme se retrouve pourtant face à une situation inédite. "J’avais déjà écrit sur mesure pour quelqu’un, en l’occurrence Le vieux juif blonde pour Mélanie Thierry, au théâtre. Mais jamais à la demande de quelqu’un, explique-t-elle. Sur l’instant ça m’a flatté mais je n’ai pas tout de suite trouvé le sujet exact. On a mis cinq ans à se parler, à se connaître. Mais elle a frappé à la bonne porte. Moi, j’aime l’étrangeté chez les gens, chez les acteurs, et Rossy a cette particularité qui n’est pas que physique. C’est une femme très à part, une vraie personnalité. Du coup, j’ai mis un peu de temps à trouver le bon personnage pour elle. J’ai exploré des pistes qui faisaient écho à des choses de sa vie mais ça ne me parlait pas. Et puis un jour c’est devenu évident."
J’ai déjà participé à des dîners où certaines classes sociales en méprisaient d’autres
Amanda Sthers
Ce personnage sur mesure, c’est l'héroïne de Madame, Maria, une domestique espagnole que ses riches patrons américains, fraichement installés à Paris, obligent à participer à un dîner mondain afin de ne pas se retrouver 13 tables. Le hic, c’est que l’un des convives va tomber follement amoureux de cette invitée de dernière minute. L’occasion pour Amanda Sthers d’orchestrer une satire mordante de la bourgeoisie et de ses conventions. "J’ai vécu des dîners au cours desquels je ne me sentais pas à ma place ou dans lesquels j’ai vu des gens se sentir mal à l’aise, raconte-t-elle. J’ai aussi participé à des dîners où certaines classes sociales en méprisaient d’autres. Dans les niveaux de notoriété notamment. Vous êtes à une table de festival, quelqu’un est là un peu par hasard et on lui fait sentir qu’il n’est pas à sa place. Un dîner, c’est une microsociété où se joue, à petite échelle, ce qui se passe dans le monde."
Depuis un et demi, Amanda Sthers a élu domicile en Californie avec Oscar et Léon, les deux enfants qu’elle a eu avec le chanteur Patrick Bruel. Un pays qui lui a inspiré un livre, Les Erections Américaines (Flammarion), consacré à la tuerie de Newton, en 2012. Et sur lequel elle livre un regard sans concession. "C’est très compliqué de considérer l’Amérique comme un tout. Les Etats-Unis de Trump ont beaucoup de mal à englober New York ou la Californie qui a voté massivement pour Hilary Clinton et ne se sent pas appartenir au reste du pays actuel", observe-t-elle. "Ce qui est commun d’après moi, c’est la dureté du capitalisme, et la difficulté à passer d’une classe sociale à une autre, à moins d’être un élève brillantissime à l’école. Ou très très bon en sport et d’obtenir une bourse. Pour le reste, il n’y pas d’accès à l’éducation comme il y a en France. Il y a très peu de redistribution sociale et je voulais aussi en parler dans le film."
J’avais entendu des bruits sur Harvey Weinstein mais je l’imaginais comme quelqu’un de lourd, un peu 'pushy' avec les femmes, pas comme un violeur
Amanda Sthers
Difficile d’évoquer l’Amérique avec Amanda Sthers sans aborder les scandales sexuels qui secouent Hollywood. "J’avais entendu des bruits sur Harvey Weinstein mais je l’imaginais comme quelqu’un de lourd, un peu 'pushy' avec les femmes, avoue-t-elle. En revanche jamais je n’avais entendu dire que c’était un violeur. Apparemment, Rose McGowan le disait depuis longtemps et se dire qu’un type comme lui puisse rester impuni pendant plus de 20 ans, c’est assez troublant. Je trouve ça exceptionnel que des femmes aient le courage de parler. En même temps, j’ai toujours un petit peu peur de cette chasse aux sorcières et des dérives qui peuvent aller avec. Il faut trouver le bon équilibre."
De là en tirer un prochain livre ou scénario ? "Je ne crois pas, parce que ça ne m’est pas arrivé et je pense que c’est une expérience difficile à raconter de l’extérieur, tempère-t-elle. En revanche, je trouve ça important que ça libère encore plus de choses. Que ça permette de parler de ces petits harcèlements quotidiens et de ces difficultés permanentes pour les femmes de réussir, d’accéder à des postes de pouvoir. Il y a, je crois, 3% de réalisatrices à Hollywood. Quand on a la chance de pouvoir tourner comme c’est mon cas, il faut redistribuer. Et donc, j’adore avoir des plateaux avec beaucoup de femmes, des assistantes, par exemple, qui vont, elles aussi, un jour, faire des films. C’est aux femmes de donner du pouvoir aux autres femmes."
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>> Madame, de Amanda Sthers. Avec Rossy de Palma, Toni Collette, Harvey Keitel... En salles mercredi 22 novembre.