Gaspard Ulliel en zone dangereuse dans "Eva" : "J’ai besoin de me réinventer à chaque film"

Publié le 2 mars 2018 à 8h00
Gaspard Ulliel en zone dangereuse dans "Eva" : "J’ai besoin de me réinventer à chaque film"

RENCONTRE – Un après avoir reçu le César du meilleur acteur pour son rôle bouleversant dans "Juste la fin du monde" de Xavier Dolan, Gaspard Ulliel change radicalement de registre dans "Eva", le thriller sulfureux de Benoît Jacquot. Sa partenaire Isabelle Huppert, son métier, ses projets… Il s’est confié à LCI.

Le 24 février 2017, Isabelle Huppert et Gaspard Ulliel sont en plein tournage de Eva, le nouveau film de Benoît Jacquot, lorsqu’ils décrochent l’un et l’autre un César. L’actrice pour le sulfureux "Elle" de Paul Verhoeven. Son partenaire pour le drame "Juste la fin du monde" de Xavier Dolan. Si la première est venue chercher son trophée ce soir-là Salle Pleyel, le second est resté à Annecy, où se déroule une partie de l’intrigue de ce thriller psychologique, en salles mercredi 7 mars.

"C’est un luxe énorme de pouvoir recevoir un César en restant assis devant son téléviseur, non ?", plaisante-t-il. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’a pas savouré son sacre au contraire. "Quand on voit célébrer son travail de la sorte, c’est rassurant, c’est un gage de confiance", admet-il. "Je ne sais pas comment fonctionne les autres. Mais ça me paraît évident que l’acteur, de manière fondamentale, vit dans une perpétuelle remise en question. Le jour où on ne doute plus, il faut arrêter ce métier."

Isabelle Huppert, c’est une actrice que j’admire, et que je trouve fascinante à observer
Gaspard Ulliel

Dans Eva, Gaspard Ulliel incarne Bertrand Valade, un dramaturge au passé trouble, qui fait la rencontre d’une femme qui va mettre en péril l’existence qu’il s’est construite. Sans révéler le nœud de l’intrigue, sachez juste qu’elle repose sur une terrible imposture. Inspiré du roman noir de James Hadley Chase, déjà porté à l’écranen 1962 par Joseph Losey avec Jeanne Moreau, "Eva" joue sur les zones d’ombres de ses deux protagonistes. Ce qui n’est pas pour déplaire à l’acteur. 

"Parfois on a des personnages sur lesquels on dispose d’une matière infinie sur laquelle s’appuyer", explique-t-il. "Comme par exemple Saint-Laurent (qu’il a interprété pour Bertrand Bonnello, en 2012 – ndlr). C’est une impulsion différente d’un rôle comme celui de Bertrand, totalement fictif et beaucoup plus trouble et opaque. Après, ce n’est pas moins intéressant ou stimulant. Peut-être même plus enrichissant puisque ça pousse à développer son imaginaire, à faire appel à d’autres ressorts, peut-être plus intimes."

L’autre challenge d’"Eva", c’est évidemment ce face-à-face avec Isabelle Huppert, que le comédien avait déjà croisé brièvement au Cambodge sur "Un barrage contre la pacifique" le film de Rithy Panh (2008), d’après le roman de Marguerite Duras. "J’étais content de la retrouver, presque dix ans d'après. Parce que j'ai changé depuis. Et puis surtout avec une matière aussi dense. C’est une actrice que j’admire, et que je trouve fascinante à observer", explique-t-il, visiblement ravi de l'expérience. 

"C’était très judicieux de la part de la Benoît d’aller la chercher pour ce rôle parce qu’elle ajoute un peu plus de trouble, d’ambiguïté. Isabelle est une actrice très 'mentale'", observe-t-il. "Mais elle apporte aussi quelque chose de très simple, de très spontané. En fait elle passe d’un registre à l’autre en un rien de temps. Il y a quelque chose de dissonant chez elle, qu’elle cultive sans doute, et qui fonctionne à chaque fois à merveille."

Je ne sais pas combien de scripts reçoivent les autres acteurs mais c’est vrai que j’en refuse pas mal
Gaspard Ulliel

Moins prolixe que sa partenaire, Gaspard Ulliel cultive lui aussi sa différence au sein du cinéma français. Après des débuts tonitruants au cinéma qui lui ont valu trois nominations au César du meilleur espoir masculin, qu’il a remporté pour le rôle de Manech, dans "Un long dimanche de fiançailles" en 2005, le natif de Boulogne a flirté avec Hollywood le temps d’un nanar, le Hannibal Lecter de 2007. Et enchaîné une série d’échecs au tournant de la décennie, tout en prêtant sa belle gueule à la mode et à la pub, sous la direction d'un certain Martin Scorsese notamment.

A désormais 33 ans, celui est devenu papa d’un petit garçon début 2016 choisit désormais ses rôles avec soin, quitte à moins tourner que certain de ses confrères. "Je ne sais pas combien de scripts reçoivent  les autres acteurs mais c’est vrai que j’en refuse pas mal. Parce que ça me semble important d’avoir une certaine exigence, quelque chose dont j’ai peut-être manqué par le passé. Aujourd’hui j'ai besoin d’une rencontre avec un cinéaste, d’un projet qui me permette d’avancer. J’ai besoin de me mettre en danger, d’explorer des zones nouvelles. De me réinventer à chaque fois."

La prochaine, ce sera dans "Un peuple et son roi", fresque historique sur l’Ancien Régime réalisée par Pierre Schoeller, l’auteur de l’excellent thriller politique "L’Exercice de l’Etat" (2011), qu’il a tourné l’été dernier. Avant de lui-même passer derrière la caméra ? "J’y songe. La mise en scène, c’était mon envie première", raconte ce fils d’une styliste et d’un designer. "A vrai dire je suis assez terrifié à l’idée. Plus j’avance et plus ça me paraît inaccessible. Peut-être que je suis juste dans le déni et que je me protège", sourit-il, un brin rêveur. Un risque à prendre ? 

>> "Eva" de Benoît Jacquot. Avec Gaspard Ulliel, Isabelle Huppert, Richard Berry. En salles le 7 mars


Jérôme VERMELIN

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